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Un livre de René Bonnet : Contes et récits de la ville et de la campagne

Par Jean-Michel Mathonière

René Bonnet : Contes et récits de la ville et de la campagne ; avant-propos de Jérôme Radwan. Châteauneuf-sur-Charente, Éditions Plein Chant, 1982, 140 pages.

Un livre de René Bonnet : Contes et récits de la ville et de la campagne

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Les Éditions Plein Chant sont dirigées par Edmond Thomas, un amoureux des livres oubliés et de la littérature prolétarienne, dont le représentant le plus connu demeure Henry Poulaille (1896-1980). Edmond Thomas est lui-même l’auteur d’un ouvrage remarqué lors de sa publication : Voix d’en bas, la poésie ouvrière du XIXe siècle, qui parut chez François Maspéro en 1979. Les Éditions Plein Chant sont aujourd’hui installées route de Condé 16120 Bassac (tél. 05 45 81 93 26). Ses publications sont soignées et émanent d’un éditeur-imprimeur qui, selon ses propres termes « a transformé, chaque fois, un informe ensemble tapé au kilomètre en une œuvre d’art typographique ».

Parmi ses publications, il faut signaler, bien qu’il soit paru il y a… vingt-sept ans mais toujours disponible, l’excellent petit livre de René Bonnet (1905-1988). Né à Paris d’un père scieur de long émigré du Limousin, R. Bonnet apprit le métier de charpentier et demeura gâcheur (contremaître) toute sa vie. Il apprit aussi à écrire et à publier des nouvelles, récits, contes et articles dans les journaux, ainsi qu’une Petite histoire de la charpenterie et d’une charpente, à la Librairie du Compagnonnage en 1960. Il a fréquenté les Soubises mais aussi les Indiens de la rue Mabillon. Il n’était pourtant pas compagnon. Il n’appréciait guère leurs rites (voir sa note page 21). Bonnet était un « renard », plus sensible au syndicalisme actif de la charpente parisienne des années 1900-1940. À ce titre, il fut un familier d’Henry Poulaille, fils de charpentier parisien lui aussi, et auteur du Pain quotidien et des Damnés de la terre, auxquels je consacrerai aussi prochainement une note de lecture.

René Bonnet est un écrivain méconnu. Je n’ai pas le souvenir qu’une note de lecture ait figuré dans les journaux des sociétés compagnonniques à la sortie de son livre. Les compagnons d’aujourd’hui sont sans doute très peu à le connaître et encore moins à le lire. Pourtant, ses Contes et récits de la ville et de la campagne sont délectables. D’abord parce qu’il n’existe presque aucun livre sur la vie quotidienne des ouvriers charpentiers du XXe siècle. Les écrivains contemporains qui posent un regard sur les charpentiers ne s’attachent guère qu’à ceux du Moyen Age, et les font évoluer sur les chantiers mythiques des cathédrales, dans un passé largement recomposé. Rien de tel chez René Bonnet. Dans son livre, où sont réunis plusieurs textes publiés durant l’entre-deux-guerres et jusqu’en 1980, il décrit la vie quotidienne des ouvriers charpentiers, leurs inquiétudes devant le chômage, leurs humiliations, leurs mouvements de révolte, mais aussi de tout petits « faits divers », fondés sur l’observation, la sensibilité et une grande lucidité sur le déclassement de l’ouvrier qualifié au sein du monde moderne. Le plus souvent, Bonnet s’identifie à un personnage nommé Dégabriel. Les nouvelles qui se rapportent à la charpente sont intitulées : Concours de charpente (1936), L’ami des compagnons (1950), Le marchand de crayons (1937), Médaillé (1939), Entendu au chantier (1934), Accident (1935), Débauche (1938), Grève du 30 novembre 1938 (1938), Le Père la Critique (1950), Bœuf gros sel (1920-1930), Trop honnête (1930), Grand-père La Volige (1932, 1950), Vieux frère (1950), Le Vantard (1950), Petite tête (1960), Je me souviens (1981). Les sept autres nouvelles ont aussi pour théâtre les ateliers ou la campagne.

Voici un extrait du début de la nouvelle intitulée « Concours de charpente », qui décrit un examen professionnel organisé par la Ville de Paris, en vue du recrutement de trois ouvriers. Mais il y a 115 candidats…

« Ah ! si leur vieux professeur de trait, le père Martin, avait été là, ce qu’il aurait été heureux ! Lui qui leur avait appris le dessin lorsqu’ils avaient une quinzaine d’années, les eût-il reconnus seulement ? Son plaisir se serait évanoui bien vite lorsqu’il aurait appris que Dégabriel, qui avait obtenu tous les prix : excellence, premier prix de trait, médaille de la société centrale des architectes, etc., travaillait comme cimentier boiseur. Que Pourrot, qui était d’une adresse inouïe et avait eu des prix de coupe en petit, faisait le taxi. Qu’Aubry, qui dessinait presque aussi bien que le grand maître Mazerolle, était chômeur depuis six mois et que depuis trois ans il travaillait quinze jours, deux mois au plus, puis à la pêche à nouveau.
« Brave père Martin, il aurait été certainement peiné de voir ses élèves les plus consciencieux, les mieux doués, dans l’impossibilité d’employer leur savoir acquis aux cours du soir après des journées de dur labeur.
« L’expérience de la vie avait chassé chez eux l’enthousiasme qui les animait lorsqu’ils apprenaient à travailler. Ils croyaient alors pouvoir exercer un métier où il fallait déployer de l’initiative et connaître le trait.
« Aujourd’hui ils pensaient : demain, peut-être, je serai sur le pavé ou à faire le manœuvre dans un autre métier. »


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