En 2001, le chanteur de The Strokes culminait en haut d'une tour prête à s'effondrer avec un groupe imberbe en guise d'apprentis terroristes. Musique générationnelle. Une décennie plus tard, Casablancas se reconvertit en chanteur de plage à synthés pour les médias torse nus qui veulent du soleil, même en hiver. Drôle d'époque où tout se Converse.
Phrazes for the Young. Instantanément, le syndicat des vendeurs de beignets dégoulinants dehors mais creux à l'intérieur crie au génie. Comme dans les grands virages, certains panneaux balisent pourtant la route : Un chien, le mégaphone, trois enceintes Giorgio Moroder, une drôle d'ambiance K2000, un Dorian Gray à bottines et une guitar héro modèle « touche verte rouge et bleue ». Note to myself : bien montrer qu'ici comme ailleurs le vrai est forcément un moment du faux. Phrazes for the Young serait un objet, il serait une diode espagnole ; converti en humain hybride, surement Droopy violenté par un Dj de Carcassonne. Et pourtant, Casablancas n'a jamais tué personne, encore moins détourné des avions.
Et pourtant, Casablancas écrit des tubes.
Comme tous les grands compositeurs, il n'en écrit pas beaucoup. Ils sont donc placés en (c)ouverture, histoire que le morceau se répète plus longtemps encore que le magnéto interne de votre compagne lorsque vous rentrez tard. 11th dimension est un hit comme on en fait plus, une chanson combinant synthétiseurs, voix filtrée pour les FM et boite à rythme poum-tchak androïde qui doit tout à l'arpeggio caché derrière les nuages. Julian a-t-il envoyé un fax à Sébastien Tellier et Guy-Man, leur a-t-il laissé un verre de lait et le petit mot usuel avant de s'éclipser à l'aurore ? « Faut que je parte tôt les gars, demain je dois conquérir le monde avec trois accords et mon synthé. I'm so tired man».
Etre courte, la grande Histoire des groupes modernes.
Après Albert Hammond Jr, Nicolai Fraiture, Fabricio Moretti, mais avant le roadie, la belle-mère et les copains du collège : Julian Casablancas sort son premier disque individué, quelque chose comme une tête perdue dans un bocal avec des boutons à la place des mains. Fragmenté comme le corps d'un dépressif sur la voie ferrée, la carrière des Strokes ne donne plus vraiment envie de croire en son prochain : Trois albums, tout au plus, et puis un album solo pour dépuceler son égo, quelques rancœurs sur « John qui boit toutes les bières », « la nana du bassiste qui fait chier parce que Steve est tout le temps en tournée », « Peter le chanteur qui veut plus jouer de guitare » et tout un monde est dépeuplé. Celui du groupe, en tout cas : John ne veut plus faire de promo, Albert est très fâché contre Peter qui lui a piqué sa nana et le bassiste a décidé de monter un groupe pour calmer ses frustrations de bassiste qu'aucun journaliste ne veut rencontrer en interview et que même sa nana est bien heureuse maintenant de voir partir sur de longues tournées pour pouvoir se taper Robert le producteur, un mec désormais quarantenaire qui croit plus tellement au groupe. Entre Melrose Place et le CBGB, les Strokes, la mélodie surpuissante du quotidien savon.
A trop vouloir la capter, Phrazes for the young démantèle la notion du plaisir. Des clins d'œil "Country Yamaha, du gringue insoutenable à donner envie de se coincer le phallus dans une porte rouillée, des tics de production qui piquent aux vingt dernières années, une voix stérilisée qui chante le malheur des robots qui swinguent, du blues 2.0 pour les démonstrateurs du stand Casio, des doubles guitares Van Halen ; la démesure américaine des texanes botoxées sans honte. Et pourtant, Casablancas n'est pas encore assez vieux pour draguer les jeunes.
11th dimension, Left & Right in the dark. L'océan a ramené deux chansons sur le sable. A l'intérieur des coquillages, on entend la mer invisible, au loin, on voit déjà les méduses. En amour comme en musique, le plaisir est toujours fuyant.
http://www.myspace.com/juliancasablancas