Magazine Culture

Patrice Nganang : La république de l'imagination

Par Gangoueus @lareus
Patrice Nganang : La république de l'imaginationAmerican Dream. Il n’existe pas une nation au monde où la puissance du rêve dans le désir d’accomplissement de soi n’ait un plus grand espace d’expression que les Etats-Unis d’Amérique.

Patrice Nganang : La république de l'imaginationTout est possible à celui qui rêve et surtout à celui qui croit à son rêve. C’est peut-être ou sûrement à cause de la puissance de cette approche que les rêves de nombreux afro-américains furent été embastillés à la fin de l’esclavage et pendant la ségrégation raciale. Toute forme d’accomplissement était détruite avant qu’elle ne prenne consistance. C’est dans ce contexte, dans les années 60, que James Baldwin a écrit son célèbre essai La prochaine fois, le feu. La lettre à son neveu qui introduit l’ouvrage est un appel limpide à ne pas renoncer à ses rêves, à ne pas ressembler à cet homme qui vivait sous terre dans une nouvelle célèbre de Richard Wright, personnage condamné à écumer la puanteur des égouts car l’air de la surface n’était pas pour lui.

Ce sont cinq lettres que Patrice Nganang adresse au benjamin de sa famille. Ce dernier a abandonné tout espoir concernant l’Afrique. Et, il veut rejoindre son frère aîné en Occident où ce dernier exprime librement son savoir comme enseignant et auteur. Fuck Africa ! pense-t-il comme ceux de sa génération restés sur le continent. Il est possible de se réaliser en Occident. Cette perspective n’est pas envisageable sur le continent africain. Selon le benjamin.
C’est un dialogue intéressant que nous propose Nganang. Plutôt un monologue où l’auteur de Temps de chien et de textes qui explorent la condition des sous-quartiers africains, argumente sur le bien-fondé de continuer de se projeter positivement vers le continent africain, que tout départ ne doit point être le fruit d’une démission, d’une fuite ou d’une résignation mais plutôt le fruit d’un désir de se construire et d’être force de proposition. Sans composer avec l’infamie. S’abreuver à la source de l’Occident comme, il y a quelques milliers d’années, les grecs s’inspiraient de l’Egypte antique. Pour que le présent de l’Occident soit l’avenir de l’Afrique.
Se projeter positivement et relever les défis de la modernité à l’instar de sultan bamun Njoya qui créa une bibliothèque idéale au début du siècle dernier en ayant façonné une écriture propre et correspondant au besoin de la culture de son peuple.
Se projeter positivement et rêver d’un avenir où le camerounais ne serait plus un laisser pour compte de l’humanité comme le clama Ruben Um Nyobé aux Nations unies au début des années 50 avant d’être traqué par l’administration coloniale dans les maquis du littoral camerounais. Traqué, abattu, dépouille emprisonnée dans un sarcophage de béton afin que le rêve de liberté de cette illustre figure de la résistance africaine soit à jamais hermétiquement scellé.
Identifier et combattre avec abnégation les aspects retors de l’infamie. En particulier, puisqu’elle relève de notre responsabilité, la faillite de l’intelligentsia africaine. Ces élites qui ne rêvent plus, qui ne formalisent même plus leur ambition pour l’Afrique, se cantonnant à l’affirmation de parcours singulier au détriment de la démarche collective que Nganang prône de tous ses vœux. Il y a selon Nganang dans cette attitude, une répétition de l’histoire à l’instar de l’historique trahison de Charles Okala à l’endroit de Ruben Um Nyobè. Alain Mabanckou porte selon l’essayiste camerounais une très lourde responsabilité, en particulier dans la tonalité de sa lettre à Jimmy. Cette désignation, ce « wanted! » de Nganang laisse songeur. Non, pas que cela ne soit pas fondé, chacun pourra se faire un avis sur l’argumentation proposée, mais cette forme de condamnation symbolique d’un individu alors que la question touche toute une génération d’auteur(e)s africain(e)s dont la liste est longue a quelque chose d’embarrassant. Nombreux sont ces écrivains à l’instar de Kossi Efoui ou Kangni Alem qui refusent l’idée d’être étiquetés « porte-parole de... » et qui revendiquent l’idée d’être écrivain avant d’être africain, l’idée d’être écrivain tout court. C’est un choix, est-il synonyme d’infamie? Ou l'infamie repose-t-elle dans un détournement de la pensée explosive de Baldwin?
Il n’empêche que le propos de Patrice Nganang est engageant. Il a la virulence du fameux essai de James Baldwin et en appelle à la recherche au plus profond de nous-mêmes du refus de l’abdication, au refus du compromis avec l’infamie, à la recherche des figures marquantes de l’histoire de notre continent qui ont refusé toute forme de compromis, de résignation et qui l’ont parfois payé dans leur chair.
Ces lettres écrites loin de son continent sont les mots d’un auteur dont la pensée la plus profonde est tournée vers l’Afrique et qui est porteuse d’un regard nouveau. Puisse le benjamin les comprendre. African dream.

Photo Patrice Nganang - Copyright © Beowulf Sheehan/PEN American

Patrice Nganang, La république de l'imagination

Edition Vents d'ailleurs, 126 pages, 1ère parution en 2009



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gangoueus 8178 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines