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Eoliennes : le Juge, la Charte, le droit et la pratique administrative

Publié le 07 novembre 2009 par Arnaudgossement
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La Cour administrative d'appel de Bordeaux a rendu, ce 13 octobre 2009, un arrêt particulièrement intéressant pour l'avenir de l'éolien en France.

Bref rappel des faits. Au début des années 2000, alors que la production d'énergie éolienne ne faisait pas encore l'objet d'une planification territoriale, les Préfets ont procédé à l'élaboration et à la publication de "Chartes éoliennes" disponibles sur les sites internet des Directions départementales de l'Equipement (DDE). Un peu plus tard, la loi « Urbanisme et Habitat » du 2 juillet 2003 disposera que les Régions peuvent mettre en place un Schéma Régional Eolien qui n’aura, cependant, ni valeur de prescription, ni valeur d’autorisation des futurs projets.

Une planification régionale s'est également développée. Dans ce cadre, l'ADEME et la Région Poitou Charentes ont installé un "Comité régional éolien", lequel a piloté la rédaction puis adopté, le 16 mars 2004, une "Charte régionale pour un développement de qualité de la production d'électricité par l'énergie éolienne en Poitou Charentes"

Cette Charte régional procédait notamment d'un rapport intitulé "Des éoliennes en Charente-Maritime" élaboré et publié en février 2004, à l'initiative du Préfet de Charente-Maritime. Plus tard, par délibération du 18 décembre 2006, le Conseil régional de Poitou-Charente, a adopté un schéma régional de l'éolien.

Procédure. L'association France Energie Eolienne, qui défend les intérêts des acteurs de la filière éolienne, a formé un recours tendant à l'annulation du rapport élaboré par le Préfet de Charente-Maritime en février 2004. Ce recours a été rejeté par le tribunal administratif de Poitiers, par jugement du 17 juillet 2008.

L'association France Energie Eolienne a alors interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux laquelle a, à son tour, rejeté la demande d'annulation, et du jugement de première instance, et du rapport de 2004.

La Cour a tout d'abord jugé que, ce rapport de février 2004 n'est qu'un "document d'aide à la décision". En conséquence, il ne s'agissait pas d'une décision administrative faisant grief. Or, seule cette dernière aurait pu faire l'objet d'une demande d'annulation recevable, suivant une jurisprudence administrative bien établie. Il s'agit là d'un principe pouvant recevoir une exception. Ainsi le Préfet est recevable à déferer au contrôle du Juge administratif, la légalité d'une délibération par laquelle un conseil général a émis un simple "voeu" à l'encontre de la culture d'organismes génétiquement modifiés.

L'arrêt rendu le 13 octobre 2009 par la Cour administrative d'appel de Bordeaux précise en effet : "Considérant que le document établi en février 2004 sous forme d'un rapport intitulé des éoliennes en Charente-Maritime élaboré par le préfet de Charente-Maritime et complété par un avenant de juin 2005, s'il préconise notamment des distances de 900 mètres entre les éoliennes et les habitations, pour tenir compte du bruit provoqué par les éoliennes, et des distances de deux kilomètres entre les éoliennes et les monuments historiques, et s'il s'attache à identifier dans les zones sensibles du patrimoine naturel et paysager, des zones rouges et oranges dans lesquelles les implantations d'éoliennes pourraient être interdites, se présente sous forme d'un document d'aide à la décision, pour l'implantation des éoliennes dans le département, notamment dans la perspective de l'élaboration du schéma régional éolien adopté par la région Poitou-Charentes par délibération du 18 décembre 2006".

Aux termes de ce considérant, ledit document n'est donc qu'un "document d'aide à la décision. Plus encore, celui-ci n'est que le préalable à une Charte régionale qui n'est - elle aussi - qu'un document qui "fixe seulement des orientations qui n'ont aucun caractère impératif et qui ne portent pas atteinte au pouvoir d'appréciation des autorités chargées de l'instruction et de la délivrance des autorisations d'urbanisme, comme le prévoit le principe 6 de la charte selon lequel les lieux d'implantation des éoliennes ne relèvent que des collectivités territoriales"

En conclusion la Cour administrative d'appel de Bordeaux juge que le rapport attaqué par l'association France Energie Eolienne "ne constitue donc pas un acte faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir".

A première analyse, cet arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux s'inscrit dans la continuité d'une jurisprudence bien établie et le rejet du recours était donc inévitable. Toutefois, les choses ne sont pas si simples et le recours de l'association permet de mettre en évidence un problème tout à fait réel. La saisine du Juge administratif peut aussi avoir cette fonction pour un requérant.

Dans la première partie du raisonnement de la Cour, celle-ci admet en effet que le rapport du Préfet de février 2004 "préconise notamment des distances de 900 mètres entre les éoliennes et les habitations, pour tenir compte du bruit provoqué par les éoliennes, et des distances de deux kilomètres entre les éoliennes et les monuments historiques, et s'il s'attache à identifier dans les zones sensibles du patrimoine naturel et paysager, des zones rouges et oranges dans lesquelles les implantations d'éoliennes pourraient être interdites".

Il s'agit là d'indications trés précises. Si d'un point de vue juridique, une autorité administrative ne peut se prévaloir des dispositions de ce rapport pour s'opposer à la création et à l'exploitation d'une ferme éolienne, dans la pratique, elle ne manquera pas de se référer à ce document établie sous la direction du Préfet. On voit mal la DDE conseiller des règles précises d'implantation des éoliennes dans un tel rapport pour ne pas s'y référer lors de l'instruction du dossier. En conséquence, on peut tout à fait comprendre que l'association France Energie Eolienne, dont la responsabilité est de défendre la responsabilité de ses mandants, ait souhaité poser cette question au Juge : ce rapport, qui se présente officiellement comme une "aide à la décision" ne vient il pas en réalité encadrer de lanière effective l'implantation d'éoliennes. Partant, étant considérée ladite pratique administrative, ce rapport ne fait-il pas grief ? La Cour répondra par la négative.

Le débat. L'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux est certainement conforme à la jurisprudence traditionnelle en cette matière. Toutefois, son commentaire suppose de s'interroger sur l'avenir de cette jurisprudence au regard de la notion de "pratique administrative".

Il faut rappeler que tout citoyen peut dénoncer, à la Commission européenne, le "manquement" d'un Etat au respect du droit communautaire qui serait révélé par une "pratique administrative". En sens inverse, la France n'hésite jamais à se prévaloir d'une telle pratique pour prétendre à la transposition de normes communautaires. C'est dire qu'une pratique administrative, a fortiori orientée et formalisé par un rapport du type de celui entrepris par l'association France Energie Eolienne, est susceptible d'avoir une valeur juridique, notamment pour l'administration française qui s'en prévaut.

L'objet de ces lignes n'est pas d'épuiser ce débat mais de souligner que le recours de France Energie Eolienne contribue à le poser. 


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