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Un lien étroit...catégorie "Mes écrits" (Fictions)

Publié le 07 novembre 2009 par Antigone

Des bourrasques, du gris, de la pluie.

Marie essuya du bout de l’index les traces de buée que la chaleur de son haleine venait de former sur la vitre de son salon. « Quel temps stupide ! » Puis, elle se ravisa et dessina dessous, en trois mouvements rapides, le sourire d’une bouche et deux énormes yeux ronds.

De l’autre côté de l’impasse, son voisin, Paul, venait de sortir de son garage, le dos légèrement vouté.

Elle observa un moment la lourdeur de ses mouvements, alors qu’il déchargeait lentement la camionnette rouge qui encombrait son entrée. « La camionnette de son fils », pensa-t-elle, puis aussitôt « son dos le fait encore souffrir. ».

Elle essuya du revers de la manche son dessin et contempla les tâches brunes de ses propres mains à elle, la fragilité nouvelle de sa peau, cette preuve visible que le  temps filait à toute vitesse vers la fin.

Vingt-cinq ans qu’elle habitait cette impasse, cette maison. Vingt ans qu’elle s'avouait aimer son voisin d’un amour profond et sans issue. Dix ans qu’elle était veuve.

Marie s’était depuis longtemps enlisée dans le confort sans surprises de l’amitié. Tout plutôt que de risquer la souffrance, tout plutôt que de briser le fragile équilibre de leur vie, tout plutôt que de s’entendre opposer un refus, un rejet.

Sur ce principe vain qu’un amour se doit d’être vécu, su, elle avait tenté le tout pour le tout, il y a bien longtemps, un beau jour de juillet. « Je vais quitter mon mari », avait-elle dit à Paul, alors qu’il l’aidait à réparer la roue de bicyclette d’Isabelle, sa fille à elle, tout juste âgée de treize ans.

Elle avait attendu une réaction de sa part, fouillant ses traits, une faille, la justification de ce sentiment d’intimité qui se dégageait d’eux alors qu’ils se tenaient ainsi, penchés ensemble sur le même objet. Elle n’avait pas rêvé, elle n’était pas folle, elle ne pouvait être la seule à éprouver une telle attraction impérieuse.

« Tu es certaine ? Peut-être devrais-tu essayer encore ? Tenter de vous retrouver. Ce n’est sans doute qu’un passage. Pense aux enfants, Marie, ils sont encore si petits… »
Elle n’avait rien pu lui dire de plus. Elle s’était éloignée, repliée sur elle-même, comme giflée.

Et aujourd’hui, vingt ans plus tard, elle était là à l’observer, incapable de bouger, de déménager, alors que ses enfants la pressaient de le faire, incapable de vivre sans l’homme qu’elle aimait. Son meilleur ami.

Le mari de sa voisine.

Gêné par le vent et la pluie, Paul s’adossa un instant à la camionnette de son fils, puis leva les yeux vers elle, l’aperçu, lui fit un signe discret de la main. Sa bouche forma un bonjour muet qu’elle reçu sans sourciller. Comme souvent, son visage paisible à lui, s’immobilisa un temps de plus de trop, ce temps qu’elle savait ne lui appartenir qu’à elle, mais qu’elle ne tentait plus d’interpréter.
Elle recula d’un  pas vers l’obscurité de son salon.

Une main sur sa bouche. L'autre sur le coeur.


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