Magazine Culture

Un cabinet d’amateur

Par Marc Lenot

De temps en temps, ici, quelques mots sur un livre que j’ai lu, toujours dans le domaine (étendu) de l’art et sans prétendre rivaliser avec lui.

Ce petit livre de Georges Pérec décrit la collection de tableaux d’un riche Américain d’origine allemande, qui veut devenir le plus grand collectionneur des Etats-Unis. Le pinacle de sa collection est un tableau qui le représente dans sa galerie face à ses plus beaux tableaux. C’est là la présentation typique du cabinet d’amateur, avec son accumulation de toiles juxtaposées sans hiérarchie, à touche-touche du sol au plafond au point qu’on ne voit plus les murs.

Le morceau de bravoure du livre, c’est que le tableau représentant la collection est lui-même présent dans le tableau, et ainsi de suite. Mais surtout cette mise en abyme se fait avec de légères variations à chaque réduction; des personnages apparaissent ou disparaissent, des objets changent. Et ce jusqu’à la dernière réduction visible où les tableaux ne sont plus que d’infimes traits sur la toile. Cette fantaisie rend fous les visiteurs de l’exposition où est montré ce tableau, jusqu’au crime.

C’est l’occasion pour Perec de faire des listes de tableaux et de peintres, et de nous donner mille anecdotes sur le sujet de tel tableau, la composition de tel autre, la vie de ce peintre ou la manière dont Hermann Raffke l’a acheté ou montré. C’est une démonstration étourdissante d’érudition, face à laquelle, d’abord étourdi, on soulève parfois un sourcil : tiens, je n’avais jamais entendu parler de ce tableau de Vermeer, Le billet dérobé, alors que je croyais assez bien connaître son oeuvre; tiens, il existe donc un peintre nommé R. Mutt qui a peint un Portrait de jeune mariée. Lisant ce livre dans l’Eurostar, je n’ai pu succomber à ce qui aurait été mon impulsion chez moi, compulser mes catalogues ou chercher dans les bases de données. La description des tableaux est faite dans un style semi-pédant, à moitié universitaire. Après tout, avec Pérec, il faut toujours être sur ses gardes.

Je ne vous livrerai pas le mot de la fin, la dernière phrase du livre. C’est un livre auquel j’ai pris beaucoup de plaisir, au premier degré, mais aussi en le replaçant dans la démarche de Pérec depuis La vie mode d’emploi (comme c’est doctement fait ici, avec un éclairage stimulant). Et tout ce phénomène des cabinets d’amateurs (voir ici et les 3 billets suivants) est un phénomène important de l’histoire de la peinture et de la manière dont elle est montrée. Vous voyez en haut Le cabinet d’amateur de Cornelis van der Geent, un tableau de Willem van Haecht, un des plus emblématiques de ce genre.

Georges Pérec, Un cabinet d’amateur, La librairie du XXIème siècle, Editions du Seuil, 1994, 96 pages, 11.43€.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Marc Lenot 482 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines