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"Les zones blanches de la carte du temps": entretien avec Christian Gatard

Par Mgallot

Le métier de Christian Gatard consiste à flairer l'air du temps et à dessiner le monde dans lequel nous vivrons demain.

Son dernier ouvrage, Nos 20 prochaines années est un essai prospectif stimulant, sérieux et loufoque à la fois, une page dans la réalité, l'autre dans la fiction.

Rencontre avec un auteur imaginatif et généreux.

Comment est née l’idée de ce livre ?

L’idée, c’était de partir à l’aventure. Autrefois on partait à la découverte des zones blanches de la carte du monde. Les grands découvreurs, les grands navigateurs ont fait rêver des générations entières. Ils sont partis explorer les terra incognita, ils se sont émerveillés des différences, se laissant surprendre par des mondes encore impensables. Ils ont donné aux cartographes de quoi dessiner les contours du globe. Les choses du futur sont un peu de cet ordre et c’est ce qui m’a tenté : partir reconnaitre les zones blanches de la carte du temps.

C’est d’autant plus excitant que du côté de la géographie de la planète les frontières et les topographies bougent à nouveau. De nouvelles zones sont en passe de retourner à un anonymat barbare à cause de la folie des hommes. Explorer le futur c’est aussi questionner les certitudes, trouver des repères, montrer leur fragilité. Les incertitudes, les menaces, les fractures font de la prospective un sujet chaud. Des continents entiers de certitudes sont peut-être en train de s’enfoncer dans l’abyme. Les zones blanches de la carte du temps sont de plus en plus mystérieuses. La perplexité est générale. C’est cette perplexité qui m’a décidé.

Tu te définis comme un explorateur contemporain ?

Mes livres sont toujours un voyage. Fictions, récits ou essais, ou encore installations artistiques, blog, site web ou même entreprises commerciales, mes activités et mes publications ont toutes un point commun : la curiosité.

Je suis parti avec une hypothèse. Un peu comme l’explorateur qui a entendu parler d’une cité mystérieuse et qui veut en avoir le cœur net. J’avais le sentiment que les annonciateurs d’apocalypses et autres messagers de catastrophes nous bourraient le mou et avaient plus à vendre du papier que d’arguments absolus à présenter. Non pas que je ne prends pas au sérieux les dangers qui menacent la planète mais j’ai le sentiment qu’on en fait l’arbre qui cache la forêt et que la forêt a encore de quoi tenir le coup un moment.

J’avais envie de mener une enquête pour comprendre l’idée que les uns et les autres se faisaient de la vie à venir, dans toutes ses composantes, pas d’écrire un livre sur l’écologie, pas plus que sur la technologie. Je me suis donc mis en route. Je suis allé explorer le réel et le fictif, le palpable et l’imaginaire, les contes et les légendes qui se préparent pour les années qui viennent.

Ton éditeur a joué un rôle prépondérant ?

L’angle d’attaque m’avait été proposé par mon éditeur, Jean Daniel Belfond, le patron des Editions Archipel. Il avait griffonné au crayon le titre du livre sur la nappe en papier du restaurant où nous déjeunions. Le lendemain je lui remettais trois feuillets qui résumaient ce que j’allais faire, le surlendemain on signait le contrat.

Pour toi, qu’est-ce que la prospective ?

La prospective est dans l’air du temps et il y a plusieurs approches. Les prospectivistes ont plutôt tendance à penser loin avec une distance temporelle assez confortable pour ne pas avoir à toujours en rendre compte.

Les tendanceurs pensent à ce qui peut se passer l’année prochaine, ou à la rigueur la suivante. La mémoire est courte et on ne leur tient pas rigueur de leurs hypothèses même si elles sont fantaisistes.

Dans un cas comme dans l’autre, vision à long terme, vision à court terme, ce qui intéresse les lecteurs, c’est, je crois, qu’on leur raconte des histoires. Belles ou effrayantes, à la limite peu importe. Ce qui compte c’est qu’on en fasse des contes, des mythes à venir : tenir en haleine, créer du suspense ! D’autant plus que ce qui va être le plus étonnant dans les années qui viennent c’est la confusion systématique entre la réalité et la fiction, entre le vrai et le faux…

Nos 20 prochaines années est à mi-chemin entre la réalité et la fiction ?

Dans cette aventure très personnelle et pas du tout académique de Nos 20 Prochaines Années, il y a eu une double approche.

Tout d’abord la durée elle-même : 20 ans ce n’est pas beaucoup. C’est le choix d’une narration sur une ligne de crête en perpétuel (des)équilibre entre le temps d’aujourd’hui et un temps très proche qui autorise à prolonger certaines des courbes qui se dessinent en ce moment tout en tenant compte des surprises et des impertinences de l’histoire qui fait qu’on est sûr de rien vraiment.

La seconde idée a été de mener une enquête libre, buissonnière, sans contrainte, d’autant que j’avais donc carte blanche. La méthode de l’enquête c’est parce que c’est mon métier – je dirige une société d’études qualitatives internationales spécialisée dans l’analyse des attitudes et des comportements. J’ai interrogé les gens, les experts, les observateurs de la société, les artistes, les consommateurs pour essayer de comprendre comment ils voyaient le futur.

Le résultat, le livre, c’est une mise en musique, c'est-à-dire que j’ai imaginé à quoi pouvait ressembler le futur dont ils me parlaient

Est-ce que pour imaginer le futur, tu es allé chercher dans le passé ?

Sans aller jusqu’à dire que le passé explique tout (pour éviter la polémique et laisser un peu d’espoir à l’idée de la liberté existe) je constate que le passé historique, les cycles, le retour de grands schèmes explicatifs sont toujours convoqués avec gourmandise par mes « informateurs » pour reprendre le vocabulaire des ethnographes ou des explorateurs. Je ne suis pas sûr que tout le monde s’en rende bien compte – moi le premier – mais on navigue sur le fleuve du temps en faisant des escales dans des espaces/temps assez hétéroclites. Passé (s), présent (s), futur (s) s’expliquent l’un l’autre, se renvoient la balle, jouent l’un avec l’autre : la Renaissance fascine et on compare Bill Gates à Laurent de Médicis, on recherche le Jardin d’Eden chez Disney, on suggère que l’enfance est l’état naturel du bonheur ou qu’on vivait mieux avant le téléphone portable. Ces grands poncifs sont omniprésents et demain on en aura d’autres. Ce sont ces nouvelles mythologies qui m’ont intéressé. Il ne s’agit pas d’être dupe et de s’inscrire dans un éternel retour des choses mais peut-être d’accepter avec enthousiasme que l’espèce humaine digère et recycle ses propres expériences.

Quand j’étais enfant, l’an 2000 nous apparaissait comme une époque magique où on se déplacerait en volant, où on vivrait sous la mer, etc. Selon toi, y a-t-il un lien entre prospective et utopie ?

La prospective est une navigation entre utopie et dystopie. L’utopie étant plutôt le versant positif du paysage, le côté ensoleillé de la vallée et la dystopie son versant obscur et froid. L’utopie c’est une vision positive du futur et la dystopie son contraire. Quand tu imaginais que tu allais vivre sous la mer tu rêvais d’un monde facile et ludique. Tu t’imaginais peut-être aussi en fée clochette. Tous les espoirs sont encore permis. Tous les rêves sont encore dans nos caddies. Les utopies se construisent sur le désir , sur des rêves bienveillants. Les dystopies se fabriquent dans l’obscurité des cauchemars.

Y a-t-il une « prévision » qui te fait particulièrement plaisir et que tu as envie de voir se réaliser ?

L’allégeance subversive : c'est-à-dire le fait d’accepter le monde tel qu’il est et de vouloir le changer de l’intérieur plutôt que de continuer à croire à une révolution utopique et liberticide.

Si tu avais écrit le même livre il y a 20 ans, y a-t-il une évolution de la société que tu aurais vu venir ?

Le rôle du philosophe et de l’artiste dans la bonne gouvernance mondiale. L’intérêt du public et des élites pour les sciences occultes.

Et une que tu n’aurais pas vu venir ?

L’intégrisme et le fondamentalisme d’une part, le triomphe des réseaux sociaux à la Facebook d’autre part.

Forcément, quand on lit ton livre, on pose l’addition mon âge + 20 et on se demande : que serai-je ? où serai-je ? Est-ce que se projeter dans 20 ans a parfois été aussi angoissant pour toi ?

J’ai des chances d’en être encore. Je vais pouvoir vérifier. J’aurai dans les 80 ans. Ce sera à peu près l’équivalent d’une soixantaine d’années d’aujourd’hui. Mon âge actuel, donc. Autrement dit tout en vieillissant à un rythme à peu près naturel, j’ai des chances grâce aux progrès de la médecine et avec un peu de conviction et de bonne humeur, de vieillir plus jeune. Je vais peut-être mourir en pleine santé. De toute façon la mort ne me fait pas trop peur. C’est peut-être un peu arrogant mais la mort m’apparait être l’ultime curiosité. C’est peut-être ce qui m’a convaincu de faires quelques contributions au Dictionnaire de la mort qui va paraître chez Larousse en début d’année prochaine.

Ton livre est paru en septembre : il se vend bien ?

Il est toujours en pile à la Fnac et chez Virgin. Il y a un bon buzz sur le net et j’ai fait quelques médias mais le but du jeu est ailleurs.

J’ai lancé l’idée d’un café prospective qui a la forme d’un roadshow. Je présente les hypothèses et les scénarios que j’ai mis au jour dans un diaporama très illustré, très ludique et un peu facétieux. Je le commente, je l’enrichis et j’actualise en permanence.

Tu as commencé ce « roadshow » ?

Les premières expériences sont assez enthousiasmantes. Cela tient de la conférence, du one-man-show et de la séance de lanterne magique. Pour une entreprise privée c’est un exercice assez tonique de réflexions stratégiques, d’autant plus que je prépare dans chaque cas, pour chaque entreprise, un diaporama adapté.

Pour le grand public je fais venir des invités et nous abordons des thèmes que nous inspirent tel ou tel événement …ou précisément tel ou tel invité.

Tu tires quel bilan de la parution de ce livre ?

Toute cette expérience est un concept hybride entre l’essai, le récit, l’utopie, le thriller, la chronique, la SF, le texte alchimiste, le roman.

Bref un genre qui s’est inventé au fur et à mesure et qui ressemble peut-être à ce que sera la littérature prospective de demain : une expérience impliquée et impliquante, une sorte d’installation de soi dans un récit qui parcourt sans cesse sur cette ligne de crête entre le réel et l’imaginaire.

Nos 20 prochaines années, 2010-2030 Le futur décrypté (éditions L'archipel)

Agenda et itinéraire du roadshow bientôt en ligne sur le blog de Christian Gatard


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