Un film de Radu Mihaileanu (2009) avec Mélanie Laurent, Aleksei Guskov, Miou-Miou & François Berléand.
Résumé le
7e Art : A l'époque de Brejnev, Andrei Filipov était le plus grand chef d'orchestre d'Union soviétique et
dirigeait le célèbre Orchestre du Bolchoï. Mais après avoir refusé de se séparer de ses musiciens juifs, dont son meilleur ami Sacha, il a été licencié en pleine gloire. Trente ans plus tard,
il travaille toujours au Bolchoï mais... comme homme de ménage.
Un soir, alors qu'Andrei est resté très tard pour astiquer le bureau du maître des lieux, il tombe sur un fax adressé au directeur : il s'agit d'une invitation du Théâtre du Châtelet conviant
l'orchestre du Bolchoï à venir jouer à Paris... Soudain, Andrei a une idée de folie : pourquoi ne pas réunir ses anciens copains musiciens, qui vivent aujourd'hui de petits boulots, et les
emmener à Paris, en les faisant passer pour le Bolchoï ? L'occasion tant attendue de prendre enfin leur revanche...
Une chronique de Vance
Parfois, la musique sauve tout. Qu’elle soit des sphères ou céleste, baroque ou classique, enjouée ou triste, mélodieuse ou expérimentale, symphonique ou atonale (encore que, là, il faut avoir une oreille exercée, n’est-ce pas ?), religieuse ou profane… Bon an mal an, la musique est devenue partie prenante de toute production cinématographique, allant bien plus loin qu’un simple accompagnement sonore : elle peut illustrer comme préparer une scène, en renforcer certains éléments moteurs (l’émotion, le drame, le suspense), elle peut aussi, parfois, raconter l’histoire. Les spectateurs qui se souviennent de l’introduction de Fantasia savent de quoi je parle. L’impact des plus grands succès de Spielberg doit beaucoup à John Williams, et Excalibur n’atteint son apogée que grâce à la synergie éblouissante entre la réalisation d’un Boorman inspiré et les crescendos des envolées de Wagner. Des œuvres comme Tous les matins du monde, la Leçon de Piano, Farinelli ou les Choristes ont vu exploser le chiffre de vente de leur bande originale et quel fabuleux tremplin qu’Amélie Poulain pour les compositions de Yann Tiersen !
La musique dite « classique » aime le cinéma. Elle s’y sent à l’aise, dans son élément. Elle sait mettre en valeur ou tempérer, illuminer ou voiler les performances des acteurs et les virtuosités du cadreur. En un hommage permanent.
Le cinéma le lui rend bien. A la rigueur, il ne suffit que d’une histoire assez banale, bardée d’émotion brute, presque niaise et de l’associer aux œuvres d’un grand compositeur pour obtenir une réussite populaire, voire critique. Dans l’absolu, la recette est assez aisée. Pourtant, loin de moi l’idée de cracher dans la soupe. Le film de Valentine Davies sur la vie de Benny Goodman (the Benny Goodman Story, 1955) n’a pas sur le papier de quoi se gargariser : Steve Allen et Donna Reed y interprètent correctement des rôles presque sur mesure. Mais l’ombre du roi du swing transcende la pellicule, et on en retient surtout ces airs entraînants, qui restent gravés. Pareil pour James Stewart dans cette biopic d’Anthony Mann sur Glenn Miller (the Glenn Miller Story, 1954) : malgré la présence de l’excellente June Allyson, c’est avant tout la musique qu’on retient, et pas la fausse neige qui dégouline des voitures les soirs de Noël. Evidemment, Amadeus, c’est encore un cran au-dessus : la séquence sublime où Mozart dicte sur son lit de mort les mesures de son Requiem à Salieri est une ode extraordinaire à la musique. Un hommage.
Ici (trêve de digression – oui parce que si Cachou digresse par de petites parenthèses opportunes, moi c’est carrément par paragraphes entiers !), il n’est pas question de Mozart (quoique une oreille experte reconnaîtra une de ses créations), ou de Wagner, mais de Tchaïkovski. Un des plus grands compositeurs de musique, et sans doute le plus connu de tous les musiciens russes, orchestrateur hors pair, puisant dans le romantisme, les mélodies orientales et slaves comme dans le répertoire européen mais surtout dans une sensibilité exacerbée le savoir-faire qui lui permettra de créer d’inoubliables ballets et suites. Le film n’est pas à la gloire de l’artiste (encore que… à entendre Andréi et la soliste interprétée par Mélanie Laurent, il s’agisse d’un Himalaya de la musique), mais se focalise sur une œuvre en particulier, ce Concerto pour violon en ré majeur qu’Andrei, à sa grande époque, fut obligé d’abandonner en plein milieu d’un concert, sur ordre du Kremlin. La proposition du Châtelet devient donc pour lui l’occasion de laver le déshonneur qui s’était abattu sur lui (imaginez un représentant du Parti monter sur scène pour lui casser la baguette de Chef d’orchestre) et d’accomplir un acte à la fois salvateur et vindicatif. Ce morceau l’a hanté, au point de ruiner sa vie, péniblement soutenue par une femme qui n’a pourtant pas froid aux yeux et un ami qui s’est recyclé comme chauffeur d’ambulance. Folie, tout de même. Le Bolchoï n’est plus ce qu’il était, mais reconstruire un orchestre symphonique avec tous ces rebuts de la société soviétique, c’est un défi insurmontable et le risque de s’exposer à de terribles sanctions. Mais c’est le genre de défis qu’aime le cinéma, des gageures où l’humain s’expose et se confronte à ses propres démons, déjouant les pièges du destin. Les spectateurs y sont facilement sensibles, surtout si l’on sait jouer les cordes de l’émotion. Et quand Andrei, en passe d’accomplir la première partie de son incroyable challenge (reformer l’orchestre et accepter l’invitation en se faisant passer pour les interprètes actuels, tout en jouant sur l’aura passée mais pas trop ternie de son propre nom) insiste pour engager comme soliste une jeune française surdouée à la carrière internationale, on s’interroge, mais on se doute que ce choix n’est pas seulement celui d’un grand admirateur. C’est elle, ce sera elle, et personne d’autre. Habilement, la réalisation nous met sur les fausses pistes classiques, et la tension s’entretiendra toute seule, scandée par les inévitables gags relatifs à la découverte de Paris et de ses charmes par une cinquantaine de Russes misérables.
Franchement, on rit souvent, même si ça n’a rien de neuf. On sait que tout tend vers ce concert et, même lorsque les éléments semblent contre lui, on se doute qu’il aura lieu. Parce qu’il le faut ! Comment pourrait-il en être autrement ?
Entretemps, on aura pu apprécier le jeu très juste, sobre et un peu illuminé, d’un Alexei Guskov hanté par son passé inachevé, par une œuvre hantée qui le mine, hantée par des fantômes dont il se sent responsable. Lorsqu’il en vient à en parler à la soliste avec ferveur mais aussi cette retenue liée à la barrière de la langue, l’émotion point, les sourires s’estompent. Pour Mélanie Laurent, inoubliable dans Je vais bien, ne t’en fais pas (merci Twin !), on a cette impression qu’elle avance progressivement dans son interprétation, un peu timorée au début (et cette blondeur l’affadit un peu), puis vraiment somptueuse au point d’orgue du film. La vache ! La salle entière versait des larmes. Et respirait, en communion avec ces musiciens qu’on n’attendait plus. Impossible d’y échapper, on se sentait piégé par cette émotion et on oubliait quelques facilités, quelques prières un peu déplacées, quelques traits légèrement forcés (notamment sur les Juifs) pour s’ébaubir sans retenue.
Outre les comédiens cités, je tenais à mentionner la performance de Valeriy Barinov dans le rôle d’Ivan Gavrilov, un nostalgique des grandes luttes du Parti qui accepte de soutenir le projet d’Andrei pour des raisons obscures qu’on ne comprendra qu’à la fin. Sa manière de s’exprimer dans un français précieux et décalé est inimitable, il faut le voir transiger pour imposer les conditions à un François Berléand un peu trop caricatural dans le rôle du directeur du Châtelet.
Très beau spectacle familial avec une dernière demi-heure somptueuse. On en ressort comblé.
Ma note : 4,5/5