8 mai 1945, la France libérée de la Wehrmacht subissait son destin et s’employait à dominer le nôtre. Terrible répression, des milliers de morts. Les islamistes d’alors somnolaient sous le fez turc. Assimilationnistes, ils restèrent respectueux envers la « générosité de la glorieuse France » tant qu’elle tolérait ou protégeait les rites musulmans. Ferhat Abbas perturbait le sommeil des morts dans les cimetières sans pour autant trouver de réponses à ses questions sur la nation algérienne. Sa culture bourgeoise le sommait d’écrire « …J’ai visité tous les cimetières, j’ai questionné des morts, l’un après l’autre, sur la nation algérienne et nul n’avait une réponse » Voila un homme, devenu premier président du gouvernement provisoire algérien qui s’était rendu dans l’au-delà avant d’y être officiellement invité. En marge, les partisans de l’identité berbère s’activaient à préparer l’insurrection. La chanson patriotique “Ekker a mmis umazigh” (Debout, fils d’Amazigh) conçue en hymne appelait à la lutte armée contre la France. Avant les événements du 8 mai 1945, Benaï Ouali, un militant berbère acquis depuis longtemps au principe de la lutte armée contre la France, propageait les thèses anticolonialistes. Il développera le PPA en Kabylie. Au premier congrès du PPA-MTLD (février 1947), il intégrera le comité central. Avec ses amis, Amar Ould Hamouda et M’barek Aït Menguellet, ils avanceront, honorant la mémoire de leur ami Mi Laïmeche, décédé une année plus tôt en août 1946, l’impératif de la prise en charge de la question identitaire. Ce qui ne sera pas du goût de Messali. Bien que la dimension berbère soit reconnue par une grande partie des cadres du PPA-MTLD, l’Algérie de Messali a une mémoire courte. Elle est née avec l’invasion arabe. Sectaire, Messali Hadj voyait dans la berbérité le syndrome d’une contre-révolution périlleuse pour la "Umma ". On parlera de la "crise berbériste" alors qu’il s’agissait d’un complot anti-berbère ! Messali ne cessera jamais de dénoncer les militants de la cause berbère. L’administration coloniale lui tendra la perche. Elle procédera à l’arrestation de Amar Ould Hamouda, Saïd Oubouzar et bien d’autres. Ils seront frappés d’ostracisme et poursuivis par l’anathème jusqu’au fond de leur cellule. Les services de renseignements français joueront la carte Messali. Ils exploiteront avec quelques succès l’attentat en août 1949, commandité par la direction du PPA, contre un militant berbère, Ali Ferhat, pour faire diversion et isoler le courant progressiste. La propagande coloniale distillait dans la conscience algérienne la menace d’un mouvement séparatiste : le Parti du Peuple Kabyle, le PPK. Une bénédiction pour Messali, il va exposer une lettre qu’aurait écrite de prison Benaï Ouali dans laquelle il prêtait allégeance à la fantomatique organisation. Ce faux, distribué dans les rangs du PPA, isole les tenants de l’aile radicale, laïcs, patriotes, partisans de la lutte armée ils seront accusés de sécessionnisme. A partir de l’année 1952, plusieurs militants de la cause amazighe seront assassinés. Ali Rabia, Amar Ould Hamouda et M’barek Ait Menguellet, taxés de berbéro-communistes, seront éliminés physiquement en 1956. Benaï Ouali, pourtant mis en garde par le colonel Ouamrane, sera exécuté, lui aussi, en 1956. Les responsables politiques du FLN se cantonneront dans le silence devant ces crimes fomentés et perpétrés par des officiers supérieurs de I’ALN dont Krim Belkacem. Excité par la ruse et la jubilation, Ahmed Ben Bella, de son lieu de détention, applaudira la mise à mort, le 27 décembre 1957, de l’idéologue de la plate-forme de la Soummam, Abane Ramdane. En 1981, dans son journal El Badil, il manifestera encore une fois son animosité envers Abane « le laïc qui a contaminé le mauvenient révolutionnaire ». Il récidivera en 2002 sur la chaîne El Jazeera en accusant Abane d’être un « traître » 1962, le mythe de l’Algérie française rendait l’âme, l’Algérie nouvelle naissait et les espoirs que l’on croyait permis seront étouffés. Ben Bella, premier Président prescrit à l’Algérie, ne voyait « pas de socialisme ni d’avenir pour le pays sans l’arabisation ». L’hymne à l’indépendance n’avait pas encore retenti que Ben Bella nous reniait par trois fois. Il déclarait de Tunis : « Nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes » II crut nécessaire de surajouter, « nous sommes dix millions d’Arabes » D’instinct, la Kabylie s’oppose à celle dérive panarabiste. La contestation initiée par Krim Beikacem, entre autres, sera prise en charge par Aït Ahmed qui lui donnera une coiffure socialisante version Tito. La lutte des clans sera à l’origine du Front des Forces Socialistes (FFS) et fera de la Kabylie le théâtre d’opérations militaires. 422 personnes périront. Aït Ahmed sera arrêté et, selon toute vraisemblance, autorisé, par la suite, à s’évader, en 1966. Le terrain était propice à la prise du pouvoir par le courant militariste. La gangrène fascisante s’en empare avec l’arrivée de Mohamed Boukherouba de l’armée des frontières. Par populisme ou par superstition, il prend pour nom Houari Boumediene, nom de deux marabouts de l’Ouest. Toutes ses tentatives visant à réduire à néant la conscience berbère resteront vaines, même s’il conditionne, par ordonnance à partir du 26 avril 1968, le recrutement des cadres à la maîtrise de la langue arabe. Bravant les chantages du régime, des étudiants, créent un cercle culturel berbère à la cité de Ben Aknoun. En 1968, commencera alors le cycle de conférences animées par l’écrivain Mouloud Mammeri et en 1969, Saïd Hanouz et Mohand Arab Bessaoud lanceront à Paris l’Académie « Agraw Imazighen ». Quoiqu’artisanale, l’institution verra son champ d’activité s’étendre à tout le sous-continent nord-africain. En signe de parade, Boumediene arborera son orgueil devant les nations quand il abritera en juillet 1969 le Festival Culturel Panafricain, il invitera toutes les cultures du continent à chanter le fier guerrier de nos contrées... Par contre, il interdira de scène la chanteuse et romancière kabyle, Taos Amrouche. Tous les artistes Kabyles feront l’objet de la même discrimination. Dans le microcosme politique, le silence est sidéral. La fameuse UNEA, l’Union Nationale des Etudiants Algériens, pourtant liée au courant socialo-communiste, n’émettra aucune objection... Son « soutien critique » au pouvoir ne la préservera pas des foudres du dictateur au cigare. Dissoute en 1971, ses membres seront arrêtés et torturés. Les sigles n’échapperont pas à la folie d’arabisation. La Jeunesse Sportive de Kabylie est transformée en Jamïat Sariï al Kawakeb. L’aberration ! La réforme du sport est dictée par le seul souci d’arabiser l’environnement et par là, les consciences. Cet acharnement conduira l’armée aux côtés des gendarmes et policiers à réprimer la population de Larbaa Naït Irathen,(Kabylie) lors de la fête des cerises en juin 1974. La foule était mécontente d’être forcée à écouter, au centre de la Kabylie, seulement des chansons en arabe, La chanson kabyle connaissait pourtant un essor enviable avec un répertoire de qualité, enrichi par les talentueux, Ferhat Mehenni, Idir, Aït Menguelat, et bien d’autres. Le mépris officiel envers la culture berbère interdit l’enregistrement à l’état civil des noms autres que musulmans. Les nouveaux venus devaient naître d’abord arabes et musulmans pour devenir ensuite algériens, quand ils en auront la conviction. Des lycéens sont exclus pour le seul « crime » d’avoir accueilli une pièce de théâtre de Kateb Yacine dans la langue de leurs ancêtres. Cette haine fera basculer un fils de chahid, Mohamed Fliaroun, dans la violence. Avec trois de ses amis, Smaïl Medjeber, Kaci Lounès et Hocine Cheradi, il dirigera les attentats à la bombe contre le siège du journal El Moudjahid (seul quotidien en langue française) et les tribunaux militaires d’Oran et de Constantine. Leur objectif était d’attirer l’attention sur le problème et non de faire des victimes. Evidemment, Boumediene suivait de très près le mouvement de Haroun. Ses services, en sous-main, « l’encouragèrent » afin de diaboliser la Kabylie. Haroun et ses amis seront condamnés le 2 mars 1976 par la Cour de Sûreté de Médéa à la peine capitale. Ils ne seront graciés qu’après 12 années de détention. Le régime de Boumediene inaugure la foire des constitutions taillées sur mesure. En juin 1976, l’Algérie est définie « partie intégrante de la nation arabe » par une charte dite nationale. Le feed-back ne tardera pas à venir, ce sera le 19 juin 1977, date commémorative du « redressement révolutionnaire ». Lors de finale de la Coupe d’Algérie de football opposant l’équipe de Kabylie à celle de Hussein Dey, les supporters Kabyles prennent à partie Boumediene, présent dans la tribune officielle, et scandent des slogans hostiles à son pouvoir. Pour la première fois la démocratie est revendiquée dans la rue. Boumediene s’attaquera à la connotation kabyle du club récalcitrant. Il s’attelle à l’intégration immédiate des clubs dans les entreprises sous prétexte de parrainage. La JSK changera de nom encore une fois et devient Jamïa Electronic Tizi-Ouzou (JET), intégrée à la Sonelec, une entreprise nationale. Le génie populaire facétieux transforme JETen... Jugurtha Existe Toujours. En 18 ans d’indépendance, la Kabylie est restée de marbre devant toutes sortes de provocations, privations et d’interdictions. Le dédain, loin de diminuer ou de rabaisser son attachement à son identité, ne fera que l’accroître. L’annulation le 10 mars 1980 de la conférence de Mouloud Mammeri sur « Les poèmes kabyles anciens » qui devait avoir lieu à l’université de Tizi-Ouzou donnera le signal d’une série de grèves et de manifestations qui vont mettre à mal la quiétude du régime arabo-islamique de Chadli... Après le 11 mai, les marches se succéderont à Tizi-Ouzou et s’étendront à Alger. Les forces de répression donneront l’assaut sur l’université de Tizi-Ouzou le 20 avril 1980. Une opération baptisée “Mizrana” est lancée à 4 h du matin par les unités spéciales de l’armée et de la police contre les étudiants à Hasnaoua et Oued Aïssi. La cité de jeunes filles de Medouha ne sera pas épargnée. Les chiens sont lâchés. C’est le bruit de bottes et la matraque. Des professeurs sont arrêtés à leur domicile. Tout le personnel de l’hôpital, médecins et infirmiers, est remplacé par des militaires. Le printemps de 1980 donnera naissance, formellement, au Mouvement Culturel Berbère (MCB). La télévision algérienne, moulée dans le mensonge et la vindicte, appellera au lynchage des Kabyles « traîtres et impies qui ont brûlé et le Coran et l’emblème national » ! Vingt-quatre meneurs seront arrêtés. Inculpés de délits passibles de la peine de mort, ils seront présentés à la Cour de Sûreté de l’Etat de Médéa le 16 mai 1980. Les 24 détenus, seront néanmoins libérés le 25 juin 1980 sous les pressions populaires. En août de la même année, des militants se regrouperont en séminaire à Yakourène, site forestier au cœur de la Kabylie. Le séminaire mettait en relief la problématique de l’identité culturelle du peuple algérien et s’étendait, politiquement, sur des propositions touchant la décentralisation des moyens et des pouvoirs de décision ; c’est-à-dire, la consultation et la participation des travailleurs et des paysans pour tout ce qui relève de leur domaine. La réponse du pouvoir aux exigences de citoyenneté sera, bien évidemment, la diversion puis, à nouveau, l’enfermement des contestataires. Le 23 mai 1981, vingt-deux militants du Mouvement Culturel Berbère, seront encore arrêtés par la police à Alger, sous les chefs d’inculpation suivants : atteinte à la sûreté de l’Etat et à l’unité nationale, constitution de collectif à caractère subversif, complot et rébellion, atteinte à la personnalité nationale, rédaction, détention et diffusion de tracts et de documents séditieux, association de malfaiteurs, port d’armes prohibées, destruction de biens publics. Ils passeront huit mois dans les geôles d’El-Harrach. A partir de là, la bataille politique s’intensifie. Chaque avancée du courant démocratique impose un recul à l’islamo-baathisme. Des droits, des libertés, des avantages sont arrachés à la dictature de Chadli. Sa réaction a été de s’attaquer aux figures de proue du Mouvement berbère. Le 12 octobre 1981, par décision du ministère de la Santé publique, le Dr Saïd.Sadi, médecin à l’hôpital de Tizi-Ouzou, est muté à Khenchela. Il s’y opposera. Des mutations arbitraires et de même nature toucheront d’autres militants démocrates. Le pouvoir s’enlisait dans sa politique, il appellera les islamistes à la rescousse. Ces derniers voyaient l’aubaine et l’occasion de casser cette Kabylie « impie » et récalcitrante. Le 2 novembre 1982 en signe d’avertissement, un militant berbère, Kamel Amzal, étudiant à l’institut des langues étrangères, est assassiné à l’arme blanche (sabre) dans l’enceinte de la cité universitaire de Ben Akoun par un intégriste, ancien parachutiste de I’ANP qui était venu prêter main-forte à ses amis. Offensif, un groupe de fils de chahid,( fils de martyrs) militants du MCB, crée une association pour défendre la mémoire des chouhada. Plus tard, des clans du pouvoir feront de ces regroupements des associations de prébendes où se disputent les prétendants aux logements, locaux commerciaux et autres lots de terrains. Rapidement, l’association est décapitée par des arrestations. Les islamistes vont frapper au Sud en juin 1985. Ghardaïa. Les Mozabites - berbérophones de rite ibadite- seront agressés par des Chaambas -arabophones de rite malikite- 2 morts, une cinquantaine de blessés sont à déplorer dans les rangs des Mozabites ainsi que la destruction de magasins et d’écoles leur appartenant. Le sectarisme, la suffisance, le mépris de la citoyenneté empêchaient les tenants du pouvoir de constater le changement qui se produit dans la société. Et au sein du Mouvement berbère, une nouvelle stratégie de lutte se précise. En juin 1985, un groupe de militants rassemblés par Saïd Sadi dépose les statuts de la Ligue Algérienne pour les Droits de l’Homme (LADH). Ils seront sérieusement réprimés et emprisonnés par le régime qui dans une campagne de presse les accuse d’être les supplétifs des services de renseignements français. Le poète et chanteur kabyle Lounis Aït Menguellet est arrêté chez lui à Ighil-bbwammas le 5 septembre 1985. Des armes de collection décorant le salon de l’artiste vont devenir des armes de guerre ! Quelques jours auparavant le quotidien gouvernemental « El Moudjahid » s’indignait de l’arrestation par le régime raciste de Pretoria du poète Steve Becko. Le pouvoir algérien dissimule hypocritement sa nature. La révolution est le terme chéri de son vocabulaire conservateur et archaïque, elle n’a jamais effleuré sa mentalité. Au nom du non-alignement, l’Algérie est terre d’asile de tous les politiques opprimés dans leurs pays. Elle offre le gîte aux Carlos et aux Abou Nidal et jette aux serres des tortionnaires, les poètes humanistes comme Bachir Hadj Ali. Aucun enseignement de l’histoire ne montre d’exemple où la force et la coercition aident un pouvoir à dominer durablement sans contestation. Le 5 octobre 1988, des manifestations populaires éclatent à Alger. Elles se propageront à plusieurs régions du pays. La répression sera féroce. 2000 morts en deux jours selon certaines sources. Le Mouvement berbère se refusait à sombrer dans la spirale de la violence. Matoub Lounès et ses camarades du MCB distribuaient des tracts appelant la population à une grève générale de deux jours. Il sera atteint de plusieurs balles tirées par un gendarme sur la route de Aïn El Hammam. Une préméditation qui visait l’embrasement de la Kabylie. Les enfants d’octobre vont ébranler le champ politique en Algérie. Les jours qui suivront verront l’ouverture du régime vers un pluralisme politique, du moins formel. Les 9 et 10 février 1989, les assises du MCB donneront naissance au Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD). Pour la première fois, la revendication identitaire amazighe est portée publiquement sur le plan politique. 25 janvier 1990. Des centaines de milliers de personnes manifestent devant l’APN. A partir de ce jour, nous assisterons à deux variantes du MCB. L’une, se revendiquant du deuxième séminaire, sera chapeautée par le FFS, sous le vocable MCB Commissions Nationales et l’autre, sous la dénomination MCB Coordination Nationale dont la tendance se rapprochera du RCD.
in Vérités, anathèmes et dérives de Djaffar Benmesbah