Un documentaire de Jean-Yves Guilleux
Aujourd'hui le budget alloué aux musiques de film semble être devenu le parent pauvre de l'industrie cinématographique. Les B.O ressemblent de plus en plus à des compilations de titres déjà entendus ailleurs. Les « emprunts » postmodernes plombent la création, c'est à se demander si la majorité décideurs des machines à rêves (bien sûr il y'a des exceptions) possèdent une once de culture musicale.
Au plus jeune age, les musiques des Fantômas me plongeaient dans une joie extatique et j'imaginais des aventures avec mes action Joe, la musique du générique en tête. Bien sûr à l'époque je ne savais pas qui étais Michel Magne. Plus tard j'ai découvert l'auteur de ces musiques. Je suis passé par une phase « films de Jean-Yanne » surtout : Tout le monde il est beau, Moi y'en a vouloir des sous, Showbizness et Les chinois à Paris. Les plus grandes heures de l'association Michel Magne / Jean-Yanne restant les B.O des deux premiers films suscités. L'humour, la classe et la démesure Magnienne y sont comme concentrés. J'avais compris que Michel Magne était bien plus qu'un compositeur de B.O sympa pop dont certains titres comblaient de joie les branchagas de quelques modes éphémères. Bertrand Burgalat m'avait fait découvrir « L'amour de vivre », une touchante autobiographie de Magne.
Les musiques de Michel Magne. À lui plus qu'à certains autres qui n'en sont restés qu'aux empreints « kitsch top délire », à coté de la plaque réservée aux soirées de l'ambassadeur.
Quasiment trente ans après la disparition du maître, gloire doit être rendu à Jean-Yves Guilleux pour avoir réalisé un documentaire aussi passionnant qu'émouvant Michel Magne fantaisiste pop disponible sur l'édition en Blueray des Tontons flingeurs. Au fil d'entretiens avec des fan activistes (Bertrand Burgalat, Stéphane Lerouge de sa famille, Marie-Claude Magne, sa fille, sa première femme) et des témoins (Dominique Blanc-Francard, Robert Hossein, Georges Lautner, Costa-Gavras) se dessine en creux le portrait d'un être multiple. Michel Magne est à la fois le compositeur de musiques expérimentales et de la série des Angélique. Simultanément plasticien et potache. Un être à vif et un avant-gardiste. Michel Magne, fantaisiste pop permet aussi de toucher du doigt la folie que fut le château d'Hérouville où enregistrèrent -avec Dominique Blanc Francard aux consoles- Pink Floyd, le Grateful Dead, Elton John, David Bowie, Marc Bolan, Gong, Nougaro, Vassiliu et Dashiell Hedayat, pour ne citer qu'eux. Si tout ce beau monde se pressait au studio d'Hérouville c'est qu'en plus du cadre enchanteur, du matériel et des ingénieurs à la pointe, planait sur le château l'ombre d'un véritable artiste. Un musicien plus doué pour générer des atmosphères créatrices uniques, emmener dans des sphères baroques ses hôtes que de gérer les affaires courantes.
«J'aimerais bien m'associer avec toi au Château d'Hérouville».
(Johnny Hallyday, Hérouville, juin 1971)
Le documentaire regorge d'histoires que je ne déflorerai pas ici, si ce n'est un mythique concert improvisé du Grateful Dead devant un public autochtone et rural involontairement lysergisquifié.
Michel Magne, ce sont les confettis jetés lors d'un concert, un discours d'Hitler passé à l'envers (pour lui faire « ravaler ses paroles »), une messe composée pour Magma, un mariage en costume avec les paysans d'Hérouville, une trilogie électronique autour des éléments (un conseil: ne jamais composer de disques autour des éléments cela semble porter malheur, pensez aussi au Smile de Brian Wilson) et un cousin de Mickey crucifié sur l'autel des conflits moyen-orientaux. Ce documentaire permet de comprendre tout cet univers mental iconoclaste.
Des artistes comme Michel Magne ont su se faire rejoindre l'art et le commerce avec une facilité apparente. Comme si les contraintes permettaient par l'opposition de forces contraires d'allumer une étincelle unique qui n'aurait pas pu exister autrement.
Le monde a besoin de plus d'artistes visionnaires comme Michel Magne et de moins de gestionnaires. Peut-être qu'un jour le conservatoire de Paris sortira du XIX ème siècle et considérera enfin la pop et les musiques de films comme des arts majeurs. En attendant, reste le visionnage de ce documentaire pour tous les futurs aspirants compositeurs.