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Trois rois, de Jean-Pierre Chambon (lecture d'Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Chambon, trois rois Voilà un livre étrange : un OLNI, objet littéraire non identifié. On hésite entre pastiche et sérieux, entre ésotérisme et fantaisie, entre amusement et poésie. En fin de compte, on se dit qu’il s’agit d’un long jeu de la rêverie à partir d’anciens royaumes d’Asie Mineure. Mais l’écriture ne vise pas le lyrisme flamboyant et verbeux d’un Saint-John Perse, elle se déplace sur des registres très différents. Dans la note liminaire, le narrateur simule la froideur de l’historien pour présenter les textes des « manuscrits afférents aux trois rois ». La ficelle du manuscrit retrouvé n’est pas neuve, mais d’autant plus drôle que l’historien ne sait rien et que le ton docte de son discours sonne tout à fait creux : « Disons, pour faire bref, que les découvertes apparaissent comme évolutives et que les recherches sont loin d’avoir épuisé toutes les possibilités de surprises. » (p.8)
La première moitié du livre est ensuite constituée de poèmes en vers libres développant un imaginaire antique et mésopotamien, sans trop de précision. Le sacré, les nouvelles du royaume, la morale publique, la vie du roi…
« Avec une suite discrète / peu nombreuse / et sans apparat / j’ai fait la route jusqu’au lieu saint // A l’entrée de la roche obscure / suinte l’eau de la source / je me suis recueilli // Avant de me retirer j’ai ordonné / qu’on disposât chaque jour / sur la pierre humide une fleur consacrée / et que fût perpétué le rite » (p.14)
« Au centre / de la chambre occluse // Je suis assis / sur la chaise d’or // Le son d’un gong / accompagne ma rêverie // Entre mes doigts / tourne un bâton noir et noué // figurant l’essieu du monde «  (p.29)
Le registre est solennel, sauf à le croire crypté ; il serait presque crédible même si le roi ici ressemble finalement davantage au « roi d’un pays pluvieux » de Baudelaire qu’à un monarque assyrien.
Les cinq dernières séquences du livre sont de courts récits en prose à mi-chemin entre simili-histoire et évidente légende. Ainsi pour le retour de la reine Zélia : «  On vit un beau matin arriver le long d’un chemin une longue file d’hommes et de femmes progressant à quatre pattes. Dans cette attitude, ces processionnaires étaient occupés à débarrasser scrupuleusement le chemin des pierres et graviers qui l’encombraient. A l’autre extrémité de cette sorte de chenille humaine, la reine Zélia, belle comme un papillon, marchait d’un pas souple et tranquille. » (p.44) Je ne sais pourquoi un tel passage me ramène au Voyage en orient de Nerval ou à Salambô, en tout cas vers un imaginaire orientaliste xixe. Il en va de même, en versant plus loin dans la légende ou le rêve, avec le roi Baradamos qui s’était fait graver la maquette de son château « dans l’ivoire des dents de sa mâchoire inférieure. » (p.47) Ainsi, lorsqu’il était en campagne, il pouvait amuser le soir ses généraux en se posant une braise sur la langue, provoquant l’illumination de son palais miniature, lorsqu’il souriait.
Les deux dernières séquences sont d’un onirisme plus sombre, autour de l’angoisse de se perdre dans le miroir (p.53) ou dans le labyrinthe (p.63) à l’intérieur duquel l’architecte a l’impression « d’avoir été propulsé dans les circonvolutions de (s)on cerveau ».
Livre étrange, décidément. On a le sentiment qu’à partir d’un projet ludique, l’auteur a laissé de plus en plus le champ libre à ses hantises personnelles, tout en conservant un décor plus ou moins oriental. Cela donne un livre inclassable, qui vaut poétiquement par ce qu’il déplace ou déroute : frontières de formes et de genres, habitudes de lecture, attentes…
Contribution d’Antoine Emaz

Jean-Pierre Chambon
Trois rois
Harpo &, 2009
20 € - sur le site de la librairie Ombres blanches


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