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Spéculation éditoriale

Publié le 18 novembre 2009 par Mgallot

En septembre, un (grand) éditeur (parisien) pour qui je travaille épisodiquement comme lectrice de manuscrits m'a demandé "en urgence" mon avis sur un roman allemand dont les droits étrangers étaient en train de s'arracher, donnant même lieu à enchères entre éditeurs.

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Le roman s'appelle "Wie die Madonna auf den Mond kam" (Comment la madone arriva sur la lune) et est signé d'un auteur débutant, le journaliste Rolf Bauerdick.

J'ai donc lu ce roman, pas mal du tout au demeurant, à part les 100 dernières pages qui auraient mérité d'être retranchées car elles donnent un côté trop démonstratif à l'histoire.

En deux mots, il s'agit d'un récit loufoque se déroulant pendant la guerre froide dans un village des Carpates. Quelques villageois se sont mis dans la tête d'empêcher les Russes d'arriver les premiers sur la Lune afin de sauver la vierge Marie qui y a trouvé refuge après sa résurrection.

Un ton à la Kusturica, fantasque et grave. Des personnages pittoresques. Une manière ludique de revisiter l'Histoire qui pourrait évoquer le film "Good bye Lenine". Les ingrédients d'un succès public semblent réunis.

A la fin du mois d'octobre, j'apprends que ce roman était sur toutes les lèvres à la foire du livre de Francfort et que les droits sont déjà vendus dans huit pays, dont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Italie... et la France! Si l'éditeur pour qui j'ai lu le manuscrit n'a pas donné suite, en revanche Laffond a acquis les droits pour le marché français.

Un buzz mondial qui, pour un roman allemand, n'arrive pas tous les jours!

Le plus cocasse, c'est que le roman n'était alors même pas encore paru en Allemagne, où son lancement n'a eu lieu que le 6 novembre, avec un tirage initial de 40 000 exemplaires - fait rarissime pour un premier roman d'auteur inconnu.

Alors, pourquoi tant de spéculation?

L'éditrice allemande de Bauerdick a son avis sur la question (traduction par mes soins):

Le roman de Bauerdick est aussi cosmopolite que sa vie. L'intrigue est multiple et haute en couleurs, elle nous ouvre les portes, nous lecteurs, d'un univers étrange et coloré. Quand je discute avec les lecteurs étrangers, je suis toujours confrontée au même cliché selon lequel les auteurs allemands ne sauraient pas raconter une histoire. Pourquoi ce livre s'arrache-t-il? Je ne peux que répondre: "it's so ungerman".

Ce dont je tire deux conclusions:

- premièrement, un livre n'a pas besoin d'être paru pour être considéré comme un best-seller: la spéculation ne touche pas que la sphère financière, elle atteint aussi le domaine culturel;

- deuxièmement, un roman allemand marche à l'étranger s'il ne paraît pas vraiment allemand : un constat plutôt attristant, et qui ne rend pas justice à la diversité et à la qualité de la production littéraire allemande. Herta Müller n'a tout de même pas reçu le Nobel de littérature par hasard.

Les éditeurs misent beaucoup sur Bauerdick. Ne reste plus qu'à voir si effectivement les lecteurs suivront...


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