Jacques Goddet, le visionnaire

A chaque époque, dans tout domaine, il est de ces hommes particuliers qui apposent une marque indélébile sur leur temps, une empreinte immuable gravée dans le grand livre de l’Histoire. Le monde du journalisme sportif ne déroge pas à la règle. Au vingtième siècle, un nom est indissociable de son histoire : Jacques Goddet. Retour sur l’œuvre de ce précurseur, qui a contribué à faire évoluer son métier de manière radicale et fondamentale.

Jacques Goddet voit le jour en 1905, dans une famille marquée par le signe du sport et du journalisme. Son père, Victor, est en effet à l’origine de la création du journal L’Auto, fondé en 1900 avec son compère Henri Desgranges. Après des études en Angleterre, où il parfait sa connaissance du sport, Jacques Goddet, de retour chez lui, se tourne naturellement vers ses premières amours. Il fait ses preuves à L’Auto, et en 1932, il est le seul journaliste français à couvrir les Jeux de Los Angeles sur place. Sa progression est fulgurante. A partir de 1936, il supplée Desgranges, malade, aux postes de chef de rédaction de L’Auto et de directeur du Tour de France. Sa vision du métier est visionnaire pour l’époque. Pour lui, le journaliste doit « dépeindre et faire comprendre, apporter une explication, juger même, donner des idées en tout cas. Cela peut devenir une sorte de mission ». Cet engagement  de tous les instants se perçoit dans des papiers comme le retentissant « Les Jeux défigurés », catilinaire contre les Jeux de Berlin en 1936, passé depuis à la postérité.

Puis viennent les temps difficiles de la guerre. L’Auto continue de paraître sous l’occupation, avant de se voir interdit à la libération, sous prétexte que l’organe de presse subissait le contrôle allemand. Le quotidien revoit le jour le 28 février 1946, sous un autre nom : L’Equipe. Fondé à l’initiative de Goddet, le journal devient rapidement la référence absolue en matière de presse sportive. Parallèlement, l’insatiable Goddet poursuit son investissement sans faille dans cette passion brûlante qu’est pour lui le sport. Profitant de l’essor de la télévision, il met en place une émission, Les coulisses de l’exploit. Tout en restant à la tête du Tour de France, il se lance dans la création de nouvelles compétitions de grande envergure : il est notamment à l’origine des coupes d’Europe de football, de basket et d’athlétisme, de la coupe du monde de ski, de réunions de boxe, de cyclisme sur piste, ou d’épreuves comme la Route du Rhum.
Progressiste convaincu, il soutient le CIO au tournant des années 80 dans sa lutte contre l’amateurisme marron, et dans son combat contre l’ingérence de la politique au pays des anneaux, en particulier au moment des boycotts de Moscou (1980) et Los Angeles (1984).
A partir de 1965, suite à des considérations financières, L’Equipe est rattachée au groupe Amaury. Goddet conserve toutefois son poste de responsable éditorial jusqu’en 1984, et poursuit sur le Tour jusqu’en 1987. Après quoi il prend du recul, tout en gardant un œil expert et avisé sur le sport, jusqu’à son décès en 2000.

Jacques Goddet a, au travers de son action, donné une dimension nouvelle au métier de journaliste. Archétype du visionnaire, ce prophète inspiré a laissé à ses héritiers un legs perpétuel et permanent. En traversant le siècle tel une étoile filante, dont la lumière incandescente balise encore nos routes.