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POURQUOI BOOBA A LA PLUS GROSSE ::: Par Arnaud Sagnard

Publié le 23 novembre 2009 par Gonzai

La taille de leur sexe obsède les hommes, ça les rend ridicules ou attachants. Le nombre de morceaux MP3, de disques vinyles ou de CD qu'ils possèdent les turlupine également. Alors, adultes et adolescents examinent leur collection, comparent, font des classements, il est en effet plus aisé de s'en vanter. J'ai par exemple 71 morceaux du rappeur Booba dans ma bibliothèque iTunes.

POURQUOI BOOBA A LA PLUS GROSSE ::: Par Arnaud Sagnard
Beaucoup d'entre-vous lèvent déjà les yeux au ciel. A chaque fois, la scène se reproduit. « Non » ou au mieux, « Oui, mais ». Mentionner son nom fait souvent fuir le vis-à-vis, d'abord les filles effrayées par sa vulgarité, puis les popeux allergiques au hip hop, les bien-pensants qui méprisent son arrogance et les électreux pour qui le rap est mort depuis longtemps. Aujourd'hui, il est donc loisible de savourer ce plaisir comme si l'on fumait dans un bar. Avec le sourire de celui qui apprécie de déplaire au plus grand nombre. Nous ne sommes pas pour autant une minorité silencieuse. Depuis dix ans, le rappeur de Boulogne vend chaque album à une ou plusieurs centaines de milliers d'exemplaires à une époque où le disque d'or ne récompense plus que 50 000 galettes écoulées. Qu'on l'aime ou pas, Booba vient à soi. Les conducteurs de deux-roues savent que quel que soit le côté du périphérique sur lequel ils circulent, le son qui s'échappe le plus des voitures, c'est lui. Là encore, ses basses font vibrer les vitres et emmerdent les voisins. En ce moment, j'écoute les ébats de son dernier disque, Autopsie volume 3. Entre chaque album, l'artiste publie en effet une mixtape officielle compilant inédits, nouvelles versions et collaborations diverses. Soit une bonne occasion d'expliquer une fois pour toutes pourquoi Booba domine encore le rap de la tête et des épaules mais surtout pourquoi il est l'artiste le plus important au royaume de la chanson française.

Je le retrouve dans un café de Boulogne où il donne souvent ses rendez-vous. Il y a trois ans, nous parlions des émeutes et de la cendre encore chaude : « Les Français finiront peut-être par nous aimer de force », lâchait-il à la fin de notre entretien. Aujourd'hui, Booba arrive un sac de chez Colette à la main, il s'excuse de son retard, rare chez lui. Son mètre quatre-vingt douze aux longs cils porte toujours sa marque (« Si ton polo c'est pas du Unküt / Négro ne le mets pas ») mais il a changé de silhouette. Avec des kilos de nouveaux muscles, le désormais barbu doit frôler le quintal. Comme souvent, ses yeux sont rouges et sa voix résonne doucement. Loin des disques dans lesquels il parle avec des morceaux d'asphalte dans la bouche. En découpant les mots comme personne et en les faisant traîner par terre.

En attendant un cinquième album solo, on observe donc sa dernière livraison : 25 titres dont 3 instrumentaux, 10 morceaux en solo, un duo avec la star du reggae, Capleton, un remix par l'artiste électro Yuksek et des tonnes de featurings. Alors que beaucoup de mixtapes sont des mistakes, cinq tueries s'échappent de celle-ci : Double Poney, lent cérémonial célébrant sa majesté, Ne me parle pas de rue, ballade aussi nerveuse que vaniteuse, Diamond girl, reprise Rn'B de Ryan Leslie, Rats des villes, apologie de sa bande et Fœtus, messe passant en revue les étapes de son ascension. De l'ego-trip partout, qui déborde et dégouline, avec au fil des disques, un degré d'autosatisfaction augmentant jusqu'à la saturation. On peut moquer l'explosion de melon et partir en courant. Ou écouter attentivement l'énorme vibration qui parcoure sa musique et ses textes. Et comprendre que chez lui la vantardise devient prodigieuse, que la vanité se transforme en enluminure.

Tout y passe. De ses couilles « plus grosses que des balles de ping-pong », à leur prolongement « toujours raide » jusqu'à la vitesse du spermatozoïde dont il est issu, « plus rapide que Michael Phelps ». Voici le premier véhicule de l'ego-trip, le plus basique, le plus parlant, le préhistorique. Puis, il y a tous les objets fétiches de la modernité. La voiture, avec une préférence prononcée pour les Lamborghini et les « Benzo ». L'argent, en billets de 500 euros, la dope - de la 0,9, du nom de la cocaïne la plus pure -, les femmes faciles et enfin, les ennemis morts à ses pieds. Tout cela alimente une énorme tumescence avec en son centre un homme de 33 ans nommé Elie Yaffa.

POURQUOI BOOBA A LA PLUS GROSSE ::: Par Arnaud Sagnard
On le sait, l'egotrip existe depuis les balbutiements du hip hop. Seulement, on retrouve dans cette mixtape des réminiscences des plus grands vantards que le siècle dernier ait portés. Quand je lui parle de sa mégalomanie, Booba cite directement Mohammed Ali, le boxeur qui « vole comme un papillon et pique comme une abeille ». Il y a en effet cette grandiloquence qui fait penser à James Brown se revendiquant « black and proud », à Michael Jackson se voulant « bad », à Nina Simone affirmant que sa musique n'est pas du jazz mais de la musique classique noire, ou encore à Miles Davis avertissant du haut de sa chaire ses musiciens : « Do not fear mistakes. There are none ». « Je suis, je suis », disent-ils tous. Comme autant de prolongements du poème du révérend Jesse Jackson, « I am somebody ». Soit des décennies à se faire plus grand qu'on est, d'abord pour exister puis pour l'exercice de style. Ce qui revient au même. Sauf que le rappeur français n'a pas encore été digéré par la culture officielle, il n'est donc qu'une énorme grande gueule. Un « compère peu fréquentable, insolent comme sonne-per / Négro, crois pas qu'on perd la chatte à ton père ».

Booba est une excroissance de notre époque.

Quand pendant une décennie, Suprême NTM a décrit la bombe à retardement sociale des banlieues, Booba, lui, s'en fout ou presque. Dans la chanson Double Poney, il reprend NTM justement et il résume en une seule phrase vingt ans de rap français : « L'argent pourrit les gens / met du chrome sur mes jantes ». De la méfiance du pognon à son absorption. Le rappeur se met en scène en train de parader en bagnole de luxe sur son territoire. Officiellement, il ne parle pas de l'état de la société mais seulement de lui et de sa bande, de leur business et de l'argent qu'il génère. En enfilant tous les clichés. Autant dire qu'il parle précisément de notre société. Chez lui, le darwinisme social est consommé, l'individualisme est total : « Tout le monde peut s'en sortir, aucune cité n'a de barreau » lançait-il dans son disque précédent. Puisqu'il a réussi, aux autres de prouver leur valeur. Désormais, il ajoute : « Parle-moi en billets violets ». Autopsie, vol. 3 a en effet la couleur des billets de 500 euros jusqu'à l'écœurement. Je lui demande donc si l'argent l'obsède. Booba s'étonne d'abord comme s'il était intrinsèquement naturel de toujours en vouloir plus, puis il répond : « Non, sinon je ferais du rap commercial ». Quant à son allure de pur produit capitaliste, il la nuance, il se voit plutôt « comme un enfant ». « J'aime le matériel. Tu me balances un nouveau produit, je le veux. Au Mondial de l'Auto, j'ai vu la dernière Lamborghini, j'ai failli faire un malaise », reconnaît-il en souriant. Le duc de Boulogne est contradictoire. Il confond argent et liberté : « Ça me rend libre. Si je veux un dog argentin ou voyager en hélico comme les milliardaires, je peux, j'ai qu'à passer un coup de fil » tout en  admettant que « le mec sans une thune qui lit son livre dans un parc, qui pêche à la ligne ou qui ramasse des châtaignes, est aussi libre que moi. Je respecte ça aussi ».

Finalement, c'est peut-être moins l'argent que le pouvoir qui le fascine. Booba parle sans ciller de conquérir le monde avec ses disques en solo, ses fringues ou les artistes qu'il produit. « La planète est grande », dit-il avec une assurance confondante, signe qu'il reste de la place pour son expansion. Depuis un an, il a quitté la France (où il paie encore ses impôts) pour s'installer une partie de l'année à Miami. Là où la musique est comme la sienne, sourde électronique et sensuelle. Il voit dans l'hexagone « un pays conservateur où le rap n'est toujours pas accepté comme une musique à part entière », où « l'on donne jamais leur chance aux jeunes » et où « l'on va finir par voir crever en direct les vieux présentateurs de télé ». Outre ses disques, on ne l'entend presque pas. Dernière grande interview ? Dans le magazine Maelström. Le pays regarde ailleurs. Ebloui par les lumières d'« Un prophète » de Jacques Audiard qui brûlaient pourtant dix ans plus tôt dans « La lettre » de Lunatic, récit des passages de Booba en prison. Quand on l'interroge sur ses opinions politiques, cela semble très loin de ses préoccupations. Nicolas Sarkozy, l'autre seigneur des Hauts-de-Seine ? Il y a quelques années, il l'avait résumé ainsi : « C'est une racaille comme nous. » Puis, il avait précisé dans la presse : « D'habitude, les hommes politiques se font élire, et après ils t'enculent. Lui, il veut t'enculer d'abord ». Aujourd'hui, il balance seulement à son sujet un définitif : « Il a gagné ». Comme si, depuis ce jour-là tout le monde avait perdu.

Booba est une excroissance de l'époque qui a de la mémoire.

POURQUOI BOOBA A LA PLUS GROSSE ::: Par Arnaud Sagnard
Pas un disque ou un titre qui ne fasse pas allusion à l'esclavage ou à la lutte pour les droits civiques. « Inspiré par Martin Luther et Shawn Carter », il ajoute à l'ego trip des références historiques au moment où on les attend le moins. « Va dire au chauffeur que je pose mon cul où je veux comme Rosa Parks ». Avec des allusions cryptées comme un ultime prolongement de son arrogance.  « Je suis mort deux fois : une fois à Memphis, une fois à Harlem », comprendre comme Martin Luther King et Malcom X. Les textes du « meneur leader black entrepreneur » télescopent tout, la ségrégation dans les bus de l'Alabama et ses virées en Lamborghini, le vulgaire et le sublime, le futile et le millénaire. Il découpe ainsi ses phrases et sa pensée, créant un sens saisissant du raccourci. Ainsi, son style est « Berlington paire de Stan Smith Smith & Wesson ». Son enfance pleine de «  faux flingues, je tire dessus / en maternelle, je mange du sable, je me pisse dessus». Sa formation, « Ecole primaire, élève de classe moyenne / Pour être au top je deviendrai mi-homme mi-hyène ». Son business, « Tréma sur le sweat, 56 000 euros le feat' » ou sa destinée, « J'apprends à chasser comme un petit lionceau / Plus tard tu viendras me voir pour ta conso ».

Bien sûr, sur cet autoportrait en or massif, on distingue des fêlures. Depuis les premiers titres au sein du groupe Lunatic jusqu'à aujourd'hui, il y a un profond pessimisme. Nourri d'une époque obscène et d'une enfance disparue. Dans ses paroles, la mélancolie sent le Jack Daniel's, l'ennui et l'argent : « Je regarde dans mon rétro, pas un négro dans mon sillon / Je me fais chier dans ce rap game / Je suis seul avec mes millions ». Et le cynisme : « Ici-bas, j'ai rien à faire à part acheter des gros apparts », « J'affiche ma réussite, je parcoure le monde, ses chambres d'hôtel ». Avec à l'arrivée, le sens premier de la vanité, le vide. A ceux qui voient encore dans son art du premier degré bourrin, je propose de tenter d'y démêler les multiples strates d'autodérision : « Pourquoi frime-t-il autant / pourquoi est-il si méchant », « Voila le duc de Boulbi, fais le 18 vite, ou préviens le toubib », « J'ai fait des cauchemars, j'ai des soucis, j'ai rêvé que je roulais en Laguna ». Sans parler des « Oooh ! » ajoutés à la fin des phrases les plus provocantes ou les clins d'œil à son avocat, Me Le Bras.

C'est simple, cela fait une décennie que personne n'écrit aussi bien que lui.

De quel chanteur peut-on aujourd'hui imprimer les paroles sur des t-shirts sans craindre le ridicule ? Aucun. Benjamin Biolay le cite, le groupe de hardcore Kickback aussi. Que tous les chanteurs dits à texte aillent faire un stage chez lui. Et on imprimera sur nos habits d'autres sentences que celles-ci : « Tu te fais des casse-croûtes, je me fais des restos / J'envoie des diamants à ma go, t'envoie des textos », « Si t'as un porte-jarretelles, je t'emmène dans un hôtel mortel », « On vient du bled sale bâtard, pas du terroir », « Peux pas faire deux pas sans qu'on me dévisage / Impossible de serrer une blonde, même avec un défrisage », « Diamond girl, je t'apprécie beaucoup / Je veux te prendre dans mes bras mais aussi tirer mon coup » ou encore le lucide : « Si je traîne en bas de chez toi, je fais chuter le prix de l'immobilier ». Punchline comprennent les publicitaires, poésie disent les littéraires : « J'ai du gloss sur la verge / De l'encre dans les veines / Du pétrole sur les lèvres / Ma vie est tristement belle ». La Nouvelle Revue Française, oui celle d'André Gide et de Gaston Gallimard, a déjà tranché en lui consacrant une vingtaine de pages dès 2003.

A Boulogne et Miami, Booba est donc assis au sommet de la chanson française. La tête déjà prise dans son prochain disque. Quand je le quitte, je repense à son priapisme verbal comme parfait symbole d'une société obsédée par la réussite et incapable de voir le talent là où il réside. Il y a quelques minutes, il disait encore : « Quiconque essaierait de me détrôner ». Une phrase d'un autre temps. Je me souviens qu'un de ses albums se nomme Panthéon et qu'un autre le montre posant devant le Colisée de Rome. Un empereur des temps modernes donc, obnubilé par ses érections et celle de son empire. Dont il est aisé de ne retenir que ce que la doxa méprise, les robinets à clips du fond du câble, les pochettes de disque sans direction artistique, les grosses bagnoles, les bimbos... Pour mieux oublier qu'il conclue ainsi son disque : « A César, j'esquisse un rictus. Incline-toi devant le purple fœtus ».

http://www.myspace.com/booba92i


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LES COMMENTAIRES (1)

Par mike
posté le 22 février à 03:18
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article plein de vérités le bitume avec la plume et sans uzi c'est izi bravo à toi ! keep it real !! peace