C’était la fin de la matinée, il venait d’émerger de sa nuit, allongé là, nu au milieu de ces draps. La pièce était petite, pas vraiment bien rangée, des mouchoirs usagers trainaient un peu partout dans la chambre, certains s’entassaient sur ces vêtements jetés sur le parquet, un magnétoscope et une télévision étaient placés devant le lit. Un mal de crane gigantesque s’empara de lui alors qu’il commençait à se remémorer de la veille, et dans un geste quasi automatique il ralluma son lecteur CD un peu cheap et se réécouta le slow de Laura, chanté par Girls. Ce disque, il l’écoute depuis qu’elle l’a largué il y a trois semaines, et quand Christopher Owens déclame « You ‘ve been a bitch / I’ve been an ass » ça lui faisait énormément de bien, même si ça retournait un peu le couteau dans la plaie.
La veille, durant une bonne partie de la nuit, il s’était passé Lust For Life en boucle, pendant qu’il se masturbait en visionnant de nombreuses cassettes de porno asiatique, laissant s’entasser les nombreux mouchoirs gorgés de sperme séché au milieu de sa chambre. Les souvenirs lui revenaient alors qu’il s’écoutait la ballade spectorienne Ghost Mouth, il se disait que ce groupe n’était pas très bon, que tout sonnait approximatif chez Girls : la voix, la guitare, la basse, la batterie ; mais l’état d’auto-dépréciation que véhicule Christopher Owens collait si bien avec cette matinée de déprime. Il essaya alors de sortir de son lit pour faire chauffer du café lorsque le rock de Big Bad Mean Motherfucker l’agressa aussi fortement que la mauvaise odeur de transpiration qui régnait dans la pièce.
Il préféra rester allongé sur son lit, à repenser aux récents événements de sa vie, sa séparation avec elle, l’état de panique qui s’ensuivi, puis les multiples coups de téléphone qui tombaient toujours sur son répondeur, où il avait laissé quelques messages tour à tour raisonnable, dépressif, colérique, frustré ou encore insultant. Il se remémora aussi les nombreux verres qu’il avait bu dans quelques bars, les filles qu’il essayait de draguer lourdement, et les refus humiliant qu’il avait reçu en retour. Tout cela, il se le rappelait en réécoutant Hellhole Ratrace, et sentait venir quelques larmes de résignation. Il se demanda alors comment ce disque maladroit pouvait coller aussi bien avec sa vie, comment pouvait-on l’ériger en chef d’œuvre alors que cette musique manque gravement d’estime de soi, et comment pouvait-on le trouver si mauvais, tant il lui permettait de rester dans cet état si cafardeux mais si confortable.
Hier, plutôt que de rester à écouter « Album » en boucle, un titre qui lui rappelait d’ailleurs un disque de Public Image Limited, il était allé prendre l’air dans un parc. C’est alors qu’il l’a revu, elle, dans les bras d’un autre type qu’il a détesté tout de suite tant il semblait tellement différent de lui. Ne pouvant supporter cette situation, il décida de s’acheter plusieurs cassettes de porno asiatique pour la nuit. Maintenant il était là, assis sur son lit, et par dépit il attrapa sa guitare folk, puis gratouilla trois accords sur les cordes usées, marmonna quelques mots et se dit qu’il tenait peut être un morceau, quelque chose qui ressemblait peut être au folk grossier de God Damned …
Par Mathieu
PS : Tout ceci est inspiré de “The Poor Bastard”, une excellente Bande Dessinée de Joe Matt, en particulier la page 115 …
A noter aussi la chronique de Playlist Society …
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