Magazine Cinéma
Platon contre Ardisson
Publié le 25 novembre 2009 par BoustouneEmmanuel Salinger est jusque là connu en tant qu’acteur. Il a notamment été l’un des acteurs fétiches d’Arnaud Desplechin, obtenant le César du meilleur espoir pour son rôle dans La sentinelle, et a joué ensuite sous la direction de cinéastes tels que Patrice Chéreau, Eric Rohmer, Emmanuelle Cuau ou Xavier Beauvois. Bref, plutôt un type cantonné à des rôles dramatiques sérieux... C’est donc une petite surprise que de le voir débuter sa carrière de cinéaste avec une comédie…
Cela dit, La grande vie - c’est son titre – est une comédie assez curieuse, qui oscille entre un ton résolument burlesque (dès le premier plan, le personnage principal voit s’écrouler tout son mobilier dans une réaction en chaîne très « cartoonesque ») et une étude de mœurs teintée d’une certaine amertume et de questionnements existentiels (le même homme voit peu à peu s’écrouler les fondements de son petit univers et de ses principes moraux).
Il s’agit d’un film écartelé entre deux voies, deux options, à l’instar de son personnage central.
Grégoire Spielmann (Laurent Capelluto). L’homme est écrivain dans l’âme. Il aimerait retrouver l’inspiration, se remettre à écrire, mais il est trop usé par sa petite vie routinière : un emploi de prof de philosophie dans un lycée de province, où il tente vainement de dispenser son savoir à des élèves totalement blasés et désintéressés, une petite amie libraire qui le tanne pour qu’ils se mettent à vivre ensemble et enfin une action militante au sein d’une association locale défendant les intérêts de gens modestes menacés d’expulsion par un promoteur peu scrupuleux. Cette activité le conduit sur le plateau d’un talk show télévisé, où il a l’occasion d’affronter ledit promoteur (Bernard Lecoq). Le face-à-face tourne au fiasco. Grégoire est humilié en direct sans avoir le temps de faire valoir ses arguments. Mais, alors qu’il s’apprête, honteux, à regagner ses pénates, il assiste à l’agression, dans un parking souterrain, de Patrick (Michel Boujenah (*)), l’animateur-vedette de l’émission, et parvient à mettre en fuite les assaillants. Les deux hommes vont sympathiser. Grégoire va découvrir un monde qu’il ne connaissait pas, celui du star-système et de ses avantages, de l’argent facile, du pouvoir et de la gloire, remettant en question tous ses idéaux… Patrick va, lui, s’initier aux vertus de la philosophie et du self-control, s’interrogeant sur son rôle d’animateur de télé bouffon et superficiel…
Le film s’appuie sur cette opposition de caractères et sur les trajectoires inversées des deux hommes. Et même sur les oppositions tout court, les fractures (physiques et psychologiques), les ruptures (amoureuses et philosophiques)… Intellectuels contre culture populaire, Paris contre Province, profs idéalistes contre capitaines d’industrie véreux, hommes contre femmes, doux rêve contre amère réalité…
La grande vie joue à fond la carte du contraste, tapant gentiment sur tout et son contraire. Par exemple, Salinger fustige la télé-poubelle façon TF1, et ses émissions où les invités ne sont que les faire-valoir des animateurs-vedettes, trop contents de faire des bons mots sur leur dos. Mais il raille aussi Arte, à travers la fausse bande-annonce de l’émission pseudo-philosophique « Dans le tonneau avec Diogène » de la chaîne… Arty.
On retrouve ce principe de confrontation également dans le casting, le néo-réalisateur ayant su s’entourer à la fois d’acteurs spécialisés dans le ciné art & essai et de figures plus populaires : Hélène Fillières, Jérémie Elkaïm, Philippe Duquesne, Liliane Rovère, Frédérique Bel, Louise Blachère… Plus Maurice Bénichou, assez irrésistible dans un rôle de vieil emmerdeur prodiguant des conseils avisés. Et aussi le tandem principal : Michel Boujenah, peu convaincant en animateur façon Cauet ou Ardisson et Laurent Capelluto, vu dans Un conte de Noël de Desplechin, qui ici, révèle un tempérament comique intéressant.
On retrouve enfin, et c’est bien dommage, ce contraste dans la qualité des séquences mises en scène par Salinger. Si certaines scènes sont brillantes, comme celle où Laurent Capelluto embrasse Céline Sallette devant une caméra qui diffuse les images sur écran géant avec un léger décalage, pur moment de poésie, ou celle où Grégoire tente, en vain, de convaincre une élève de l’intérêt de la philo et prend en même temps conscience de la vacuité de son existence, d’autres sont totalement horripilantes. Les deux séquences sur le plateau télé, entre autres, sont interminables et mal filmées…
En fait, La grande vie est un film schizophrène constamment balancé entre deux attitudes opposées. Un film fou au sens noble du terme quand il se laisse gagner par une fantaisie poético-burlesque, mais aussi un film malade qui avance de manière trop chaotique. Car à vouloir traiter tous les sujets à la fois, Emmanuel Salinger rend une copie trop incomplète pour obtenir plus que la moyenne. Pour un ancien prof de philo, il n’y a pas de quoi pavoiser…
Note :
(*) : pour mes lecteurs qui découvrent les films uniquement en DVD, attention à ne pas confondre le film d’Emmanuel Salinger avec La grande vie ! de Philippe Dajoux également avec Michel Boujenah…