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Anthologie permanente : Denise Desautels

Par Florence Trocmé

Poezibao l’avait signalé et le rappelle ici, Denise Desautels vient de recevoir le plus important prix artistique du Québec, le prix Athanase-David.

La disparition et la voix

Ce qui s’accrocherait au corps, s’il n’était pas atteint par la rage muette qui réduit tout être au silence, ce qui resterait soudé à lui quand il a l’impression qu’il ne lui reste plus rien, ni ailes ni horizon où poser son regard, ce serait encore sa voix, quoique flouée sa voix, écorchée sa vie durant par une accumulation de détails, apparemment sans importance, de légers chocs, certaines ruptures, certains os éclatés, habilement remis en état, certaines cicatrices aussi qui lui balafrent jusqu’à l’âme, tout ceci confondu et responsable à la longue, au quotidien, d’une disharmonie des sons,
d’une blessure dans sa voix. Sans ailes et sans horizon, le corps continuerait de lutter, de faire semblant d’être vivant, malgré la menace, et ce, jusqu’à ce qu’il croie vraiment qu’il est vivant, grâce à la plainte, puis au hurlement, puis à l’incantation. Dissonante les premiers temps, mais toujours magique, l’incantation dimorphe de la plainte et du hurlement, et volontairement suivie d’un silence. Le silence de tous ceux qui croient vraiment qu’ils sont vivants, à cause de cet essoufflement qui suit, chaque fois, l’incantation et les ramène vers eux-mêmes, vers ce cœur
encore musclé et si vivant, malgré l’usure. Enfin le corps humain apparaîtrait, non plus gisant mais debout, devant la nécessité de son silence. En fait, les pleurs et les cris ont souvent délesté le corps vieilli, le corps molesté, le corps divisé, le corps quitté, le corps orphelin, poursuivi jusque dans son crâne par des images de scories, de cailloux, de pieux, de fosses et de pierres tombales. Le corps qui aura été effrayé, une seule fois peut-être, par l’approche – à l’évidence l’odeur, sous sa carapace, du bois qu’on finira bien par brûler un jour – de la fin, ce corps aura besoin des ces pleurs et
de ces cris, et le silence qui s’ensuivra fera de la place, permettant ainsi la réinsertion de l’horizon dans le champ du regard. Car la pensée qui se faufile derrière ce nouveau regard, la pensée surgissant dans la solitude du corps délité, aiguillonnée par un silence de fond, redonne vie à la voix. « Non, ce n’est pas encore la fin du monde ni le déroulement apocalyptique des visions de Jean », se dit la voix, ravivée par le regard, la pensée. Car les douleurs qu’on croyait mortelles n’auront pas suffi à détruire les fulgurances d’une voix qui, un jour pourtant, avait commencé de s’érailler.
Denise Desautels, Cimetières : la rage muette, avec des photographies de Monique Bertrand, éditions Dazibao, 1995, pp. 52 à 55
Denise Desautels dans Poezibao :
Bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4, extrait 5, extrait 6, lecture à Paris nov. 07, Le cœur et autres mélancolies (parution), L’œil au ralenti (parution)
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