Citoyens !
C’est la délicieuse et européenne Aude qui nous livre cette nouvelle à l’italienne :
« Alors je t’explique. Le 9 octobre, le tribunal suprême italien a statué que l’immunité pénale du Cavaliere approuvée par son propre gouvernement de centre-droit en 2008 était inconstitutionnelle. Le jour même un groupe de blogueurs, de citoyens et d’intellectuels a lancé l’idée d’une manifestation nationale, qui dépasserait les frontières de l’Italie, pour demander la démission du Président du Conseil.La campagne a pris une ampleur médiatique incroyable. On peut suivre les progrès de la mobilisation sur Twitter, le groupe facebook Una manifestazione nazionale per chiedere le dimissioni di Berlusconi compte 328 000 fans, et l’initiative a été relayée dans tous les grands quotidiens italiens et les intellectuels anti-cavaliere ont lancé des appels à la mobilisation ; Roberto Saviano s’est ainsi exprimé dans la Reppubblica : « Le chiedo: ritiri la legge sul « processo breve » e lo faccia in nome della salvaguardia del diritto« . »
Impressionnant : chaque minute, ce sont environ 3 à 4 nouveaux messages et réactions postées sur la Fan Page. Ca s’excite, ça s’anime, et le relai médiatique a repris l’initiative ce qui amplifie le phénomène.
Problème : la transformation en action politique évoquée dans la revue de presse du Nouvel Obs :
« LE “NO B.DAY” contre Berlusconi, prévu pour le 5 Décembre, donne l’occasion à Antonio di Pietro d’attaquer le Parti démocrate qui ne participera pas directement à cette manifestation de rue. Réplique de Pierluigi Bersani, leader du PD :”Le plus antiberlusconien sera celui qui fera tomber Berlusconi , pas celui qui crie le plus fort”. Or Di Pietro n’arrete pas de “crier fort” depuis le début de la législature, comme s’il voulait s’approprier la fonction de représentation de l’antiberlusconisme vis à vis de l’opinion (La Repubblica). »
La démocratie de l’opinion, l’activisme digital aura au moins permis une chose : d’avoir une plateforme d’atterrissage de nos mécontentements, les citoyens fréquentant malheureusement de moins en moins le bar tabac PMU – et c’est bien dommage.
Est-ce une bonne nouvelle ? Pas foncièrement, si on en croit cette interprétation (à nuancer car caricaturale) d’une déclaration de Karl Rove en 2004 :
« Vous croyez que les solutions émergent de votre judicieuse analyse de la réalité observable. Ce n’est plus de cette manière que le monde marche réellement. Nous sommes un empire maintenant, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. (…) Nous sommes les acteurs de l’histoire, et vous, vous tous, il ne vous reste plus qu’à étudier ce que nous faisons » [1]. Publiés dans le New York Times peu de temps avant la réélection de George W. Bush en novembre 2004, ces propos de Karl Rove, spin doctor et conseiller politique à la Maison Blanche, illustrent avec un cynisme éclatant la réalité de la démocratie d’opinion. Loin de signifier la naïve « revanche » des citoyens dans le champ du politique grâce à Internet et aux nouveaux médias, elle fonctionne comme une « realpolitik de la fiction », pour reprendre l’expression du sociologue Christian Salmon. La « volonté générale » du peuple n’a plus besoin d’être invoquée, même de manière incantatoire, dans le discours politique de cette droite réactionnaire : seule importe la soumission des consciences à une « réalité » inventée par le pouvoir et imposée comme opinion majoritaire.
On le discute souvent ici : ce n’est pas parce que vous êtes observateurs éclairés de ce que vous lisez ou regardez et que vous en parlez que vous créez de l’information ou de la valeur. Dès lors, en transposant cette logique, l’activisme digital d’observation et de simple dénonciation n’est pas suffisant. Tout comme Starbucks doit vendre in finé du café, alors l’investissement digital politique doit avoir un objectif d’action politique. On ne vend pas de l’awareness en politique. On ne vend pas du cost per impression. On vend de la transformation en changement réel pour le citoyen.
A suivre, donc.