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Le Conseil d’Etat retarde la sortie d’”Antichrist” sur requête de Promouvoir (CE, 25 novembre 2009, Association promouvoir, Association action pour la dignité humaine)

Par Combatsdh

Dans une décision qu’il vient de rendre publique, le Conseil d’Etat annule le visa ministériel d’exploitation du film « Antichrist » de Lars von Trier, pour un motif de forme, compte tenu de l’absence de précisions dans les motifs de la décision sur le « climat violent » du film, interdit aux moins de 16 ans et non aux moins de 18.

L’annulation est obtenue sur requête notamment de l’association Promouvoir , proche de l’extrême-droite, familière de ce contentieux des visas d’exploitation pour « immoralité » (CE, Sect. 18 décembre 1959 Société les films Lutétia aux Grands arrêts) et des interdictions aux moins de 16 ou de 18 ans (v. CE, Sect. 30 juin 2000 Association Promouvoir et M. et Mme Mazaudier et 14 juin 2002 ici : sur “Baise moi” et CE, 4 févr. 2004, Assoc. Promouvoir (là ): sur « Ken Park ». Voir aussi, plus récemment : CE, 6 oct. 2008, Sté Cinéditions sur « Quand l’embryon part braconner »).

Voir l’un des premiers billets de CPDH (“Séances torrides au Conseil d’Etat, le braconnier des films immoraux” , CPDH, 08 octobre 2008) et, pour les étudiants de L3 ou M1 de la faculté de droit d’Evry leur partiel de l’année dernière…

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En l’espèce, le film primé à Cannes avait obtenu du ministre de la Culture et de la communication un visa d’exploitation en salles assorti d’une interdiction de projection aux spectateurs de moins de 16 ans.
Les associations requérantes considéraient que le ministre devait étendre l’interdiction aux moins de 18 ans, voire classer le film dans la catégorie des films pornographiques ou d’incitation à la violence.
On se rappelle qu’à la suite de l’affaire Promouvoir II, sur le film « Baise-moi », le décret n°90-174 du 23 février 1990 relatif à la classification des œuvres cinématographiques, avait été modifié en 2003 pour permettre une modulation des visas d’exploitation selon l’âge, sans nécessairement reléguer certaines œuvres cinématographiques mêlant violences et « scènes de sexe non simulées» à la classification « X » et aux réseaux des films pornographiques.

En l’occurrence, selon le Conseil d’Etat, l’avis de la commission de classification s’est borné, pour justifier sa proposition d’interdiction du film aux mineurs de 16 ans de « faire état du « climat violent » du film, sans préciser en quoi cette violence justifiait l’interdiction proposée ». Le ministre a, quant à lui, motivé le visa en reproduisant les termes de l’avis.
Le Conseil d’Etat annule donc la délivrance du visa d’exploitation en considérant l’avis de la commission et la décision du ministre insuffisamment motivés, en violation des dispositions des articles 2 et 4 du décret de 1990.

Malgré cette annulation pour vice de procédure, il ne module pas les effets dans le temps de son annulation. Il considère que cette annulation pour insuffisance de motivation « ressaisit le ministre de la demande de visa d’exploitation » et, surtout, « fait obstacle à ce que le film soit diffusé tant qu’un nouveau visa d’exploitation n’aura pas été accordé » - ce qui de facto retarde la sortie du film.
Elle n’implique néanmoins pas que le ministre de la Culture prenne des mesures particulières pour assurer le retrait du film des salles où il est diffusé

Selon le communiqué du Conseil d’Etat, « en conséquence de l’annulation prononcée (…), le visa n’existe plus et le ministre se trouve à nouveau saisi de la demande de visa d’exploitation présentée par les producteurs du film. Il devra prendre une nouvelle décision, le cas échéant identique, mais motivée de manière suffisante. Dans l’attente de cette nouvelle décision, le film « Antichrist » est dépourvu de visa d’exploitation et ne peut donc plus faire l’objet de projection en salles ».

Et on peut d’ores et déjà prévoir un arrêt Promouvoir V dès lors qu’un nouveau visa aura été délivré, s’il n’est assorti que d’une interdiction de moins de 16 ans puisque l’action de l’association vise à l’interdiction aux moins de 18 ans voire le classement en film X. Le Conseil d’Etat, après visionnage du film, devra se prononcer cette fois-ci sur le fond.

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CE, 25 novembre 2009, Association promouvoir, Association action pour la dignité humaine, Nos 328677, 328769

Actualités droits-libertés du 25 novembre 2009 par Serge SLAMAlogo_credof.1226680711.jpg

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(…) le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a été saisi dans la foulée d’une nouvelle demande de visa d’exploitation présentée par le producteur d’”Antichrist”, la société Slot Machine. Ce visa devrait lui être accordé “dans la journée”, a indiqué jeudi le ministère.

“Ce sera quasiment immédiat. Ensuite l’exploitant doit recevoir la lettre en bonne et due forme qui l’autorise à remettre le film à l’affiche”, a-t-on précisé.

Sorti le 3 juin avec un visa assorti d’une interdiction aux moins de seize ans, ce drame sur le deuil d’un enfant, qui a engrangé 150.000 entrées et valu à l’actrice Charlotte Gainsbourg le Prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes, est encore à l’affiche de deux salles en France.

(…)

Présidée par le magistrat André Bonnet, ancien candidat d’extrême-droite (MNR) aux municipales à Avignon, l’association Promouvoir vise “la promotion des valeurs judéo-chrétiennes dans la vie sociale”.

Ces dernières années, elle a obtenu que deux films soient interdits aux moins de 18 ans en raison d’un nombre élevé de scènes de sexe : “Ken Park”, de Larry Clark et Edward Lachman, en 2004 et “Baise moi”, de Virginie Despentes, en 2000. Promouvoir a aussi attaqué le film “Le pornographe” de Bertrand Bonello et le roman “Plateforme” de Michel Houellebecq.


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