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Mallarmé et le Tao – sur un article de Charles Mauron

Par Desheuresoisives

Il y a quelques jours, je postais sur ce blog un billet intitulé “Le Tao de Shakespeare”, lequel était une réflexion sur l’idée de comparatisme en littérature. Or, hier, quelle n’a pas été ma surprise lorsque, au marché du livre ancien et d’occasion du parc Georges Brassens dans le 15e arrondissement de Paris (tous les samedis et dimanches), je suis tombé sur un livre de Charles Mauron, Introduction à la psychanalyse de Mallarmé (La Baconnière, 1968), contenant un article intitulé “Mallarmé et le Tao”. Bien que n’étant pas particulièrement adepte de la critique de Mauron, j’ai été interloqué par la proximité entre les titres de mon article et du sien (je n’ai bien entendu pas la prétention de placer les deux sur le même niveau intellectuel).

Voilà ce que dit Mauron dans cet article intéressant publié pour la première fois dans les Cahiers du Sud en 1942 :

Le Tao-te-King, ou Livre de la Voie et de la Rectitude (sic), laissé, dit-on, par Lao Tseu comme une sorte de testament spirituel à la Chine qu’il abandonnait, explique clairement cette relation : “Le Sage… se fait petit (par son désintéressement et sa délicate réserve) et acquiert par là la vraie grandeur” (trad. Wieger). Pourrait-on mieux définir l’attitude adoptée par Mallarmé et maintenue sans défaillance pendant toute une vie ? Nul ne pratiqua plus savamment le non-agir littéraire.

L’idée d’un “non-agir littéraire”, je dois l’avouer et bien que la réflexion de Mauron semble ici un peu poussée, me séduit énormément. Car il y a malgré tout quelque justesse dans ce rapprochement. Et le grand critique de continuer :

[Lao Tseu dit :] “On regarde, on ne voit pas la Voie. Son nom se prononce le manque” et les vers de Mallarmé surgissent :

Ma faim qui d’aucuns fruits ici ne se régale

Trouve à leur docte manque une égale saveur
Mallarmé et le Tao – sur un article de Charles Mauron

ou

Hélas ! Du manque seul des lourds bouquets s’encombre.

Coïncidence ? Oh ! que non ! Le vocable est trop important dans les deux textes et constitue, à vrai dire, un maître mot autant de la doctrine que de la poésie.

Cette idée de “manque”, d’absence, de vide est en effet fondamentale chez Mallarmé. On pense à cette coupe vide, à cette absente de tous bouquets, etc. Il y a bien chez Mallarmé ce mysticisme fondateur, cet élan vers Dieu-sait-quelle pureté, quel abandon, quel renoncement.

Comme Lao Tseu renonçant à agir, renonçant à parler et s’abandonnant au simple flux de vivre, la poésie de Mallarmé procède, et je prends ici le relais de Mauron, de la même sagesse. Car c’est la sagesse, encore, qui se trouve au centre même de la poésie mallarméenne.

Pour Mallarmé, le but ultime de la poésie serait (je ne cite que de mémoire) d’écrire un Livre qui remplacerait le monde. Un Livre qui, passant outre l’usage du langage, parviendrait au réel lui-même, les mots devenant sous la plume de l’écrivain d’autres couleurs, d’autres sons, d’autres réponses. Ces correspondances non des souvenirs entre eux, mais des mots qui, ne renvoyant plus à un hypothétique réel extérieur, ne communiquent qu’avec eux-mêmes, mènent le lecteur (qui écrit le livre autant que l’auteur) à travers un labyrinthe des sens jusqu’à la pureté absolue, celle du vase, de la transparence, de l’eau – images chères à Mallarmé parce qu’elles sont à la fois pleines et vides -, bref, vers ce “bel aujourd’hui”.

Un “bel aujourd’hui” qu’on pourrait aussi bien appeler l’”instant”, le “hic et nunc”, le principe de devenir, etc. Tout cela, qu’on connaît dans la philosophie taoïste jusqu’au refus du langage, on le retrouve en effet chez Mallarmé.

Je reviens à présent à Charles Mauron (dont l’article, je dois l’avouer, n’est pas entièrement réussi qui se permet parfois de belles absurdités sous forme d’affirmations supérieures – e.g. : “Il n’est pas de différence entre les métaphysiques hindoue, chinoise, égyptienne, européenne”), Charles Mauron, donc, qui écrit encore :

Le goût du poète pour les absences, les vides, les blancheurs [...] se trouve coïncider avec une nécessité métaphysique. Son sentiment individuel est, si j’ose dire, dans le fil de la sagesse universelle. Tout le secret de Lao Tseu est dans une intuition semblable. Il a vu l’action, à mesure qu’elle se chargeait de sens, d’efficacité, de valeur religieuse (c’est-à-dire reliante), se dissoudre dans le non-agir. Il serait faux de croire que le sage n’agit pas, ou que le poète doit se taire. Ils agiront et parleront, au contraire, mais en épurant ces deux formes de création, de telle façon que s’y manifeste le contre-courant, le retour à l’unité, au silence, à l’immobilité, à la béatitude enfin, originelles. Pourquoi le poème ? Pour le rachat de tant de paroles. Pourquoi le sage ? Pour le rachat de tant d’égoïsmes puérils.

J’aime beaucoup ces dernières phrases qui nous offrent, en outre, la belle définition de deux  notions si proches : la poésie et la sagesse.


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