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CETTE HISTOIRE EST LA SUITE DE KUGARETout les ans, à Alic...

Publié le 26 octobre 2009 par Dagobert
CETTE HISTOIRE EST LA SUITE DE KUGARETout les ans, à Alic...
CETTE HISTOIRE EST LA SUITE DE KUGARE

Tout les ans, à Alicante se tenait une manifestation extraordinaire. Son nom s'était trouvé lui-même : El Parador del Horror.
Il naquit d'une convention informelle de marginaux, de motards et de punks qui se retrouvèrent sur les plages de la ville côtière. De tout les coins de l'Espagne, une foule vint s'y exhiber, dévoilant les endroits extrêmes qu'ils s'étaient fait piercer ou l'inventivité de leurs tatouages. Sur la plage, les corps à la peau peinte et parés de bijoux buvaient beaucoup en se trémoussant sur des musiques ternes et stridentes. La formule plut et se répéta sur la même semaine chaque année. Le mouvement gothique se reconnu dans cette mouvance et vient grossir et officialiser l'événement annuel en créant le festival du Parador del Horror. Le port espagnol devenait, pendant une semaine entière, le lieu de rendez-vous de toute une faune interlope allant de la lolita gothique, pâle et scarifiée jusqu'au punk aux traits ravagés, aux tatouages cuits. Chacun venait y montrer son corps comme une œuvre personnelle. Scarifiés, tatoués, piercés, adeptes des implants formaient autant de tribus qui exhibait ses parures tribales, ses traits déformés et son goût pour la mortification. Autre raison de son succès, El Parador offrait aussi un éventail de drogues qui circulait comme n'importe quelle marchandise : de la poudre, de l'acide, du krach et des joints bien sur mais aussi des injections d'adrénaline directement dans le cœur, comme dans Pulp Fiction, ou encore les anesthésiants pour gros animaux qui vous envoient dans les vapes pendant plusieurs jours. Les peuples invisibles de la société, à l'aspect de mutant métamorphe se retrouvaient chaque année, pendant sept jours, pour s'exhiber, se défoncer et vivre des expériences extrêmes au Parador del Horror.
Ce soir allait se clore la huitième édition. Les organisateurs étaient satisfaits car l'événement avait réuni presque deux fois plus de public que l'année précédente, et l'on avait compté jusqu'à quarante deux nationalités parmi les festivaliers. Devant l'ampleur du phénomène et la volonté de le juguler, la mairie d'Alicante leur louait, depuis l'année précédente, les arènes de la ville. Sur l'ovale de sable, on avait monté une grande scène qui avait accueillie des groupes de musique expérimentale, bouillie de son sur des rythmes dissonants. Mais ce qui passionnait les foules étaient les happenings et des performances dont les plus spectaculaires restaient les suspensions. Cette pratique popularisée par des artistes comme Matthew Barney ou des films comme The Cell rencontrait un tel succès au Parador qu'il fut soumis à pari. Les candidats, plus rarement des candidates dont la peau du dos, des bras et des jambes était traversée d'anneaux épais disposés selon leur morphologie et leur poids se soumettaient à l'épreuve. Dans ces anneaux, on passe des crochets au bout de chaînes. Quand elles se tendaient sous l'action d'un treuil, le sujet était soulevé du sol, la peau autour des anneaux étirée jusqu'à se rompre, ce qui arrivait parfois. Les participants suspendus étaient laissés ainsi, dans des poses de martyrs hurlants leurs douleurs, le torse écrasé par la tension et le dos en feu jusqu'à ce qu'ils demandent grâce, sentant leur peau se décoller et se déchirer. La souffrance des suspendu(e)s était palpable et un effroi pesant baignait l'assistance. Certains du public, les yeux avides de la souffrance d'autrui, se pressait au plus près des barrières pour se repaître su spectacle. Beaucoup de photos étaient prises, beaucoup de vidéos étaient faites alimentant le site du Parador. Le carnet d'enregistrement de la durée des performances était tenu par l'arbitre, un homme dont le corps, visage compris, était tatoué d'oiseaux exotiques. La peau de sa lèvre inférieure était percée d'un trou si distendu qu'il pouvait y mettre un verre de loupe offrant à ses interlocuteurs une vue imprenable sur ses gencives. Auprès de lui, les paris s'ouvraient pour savoir qui tiendrait le plus longtemps. Le (ou la) gagnante allait être désigné ce soir marquant la clôture officielle du Parador. Il (ou elle) se verrait offrir une somme d'argent, la considération de ses pairs et le titre de Mister (ou Miss) Parador. Contre toute attente et pour la première fois depuis que le festival existait, c'était une fille qui tenait le record. Atomic-Angel, à peine majeure, qui avait enduré le martyr pendant presque une heure. Elle était la grande favorite pour décrocher le titre.
La nuit, les groupes se rassemblaient en faisant tourner des bouteilles et pipes à krach puis raides défoncés regardaient d'un œil vaseux le film du soir sur l'écran géant. Les séances de cinéma étaient apparues dans le festival dès la troisième année et quelque part, ils avaient fini de populariser cet étrange festival. Aux marginaux et aux performers extrêmes s'était greffé un public de cinéphiles passionnés, attirés par une programmation atypique. C'était devenu une tradition de présenter des films d'épouvante sur le grand écran de la scène centrale, transformant les arènes d'Alicante en cinéma de plein air pendant el Parador del Horror. Pour l'occasion, la tribune d'honneur était reconvertie en salle des machines et abritait les consoles et les projecteurs.
Paquita Alvarez, que tous surnomment Paqui, s'était chargé de la programmation vidéo. Cette fille était une fusion entre le courant punk et la vague gothique. Récemment, elle s'était fait implanter, sous la peau du crâne, des pas de vis pour y faire tenir des accessoires. Ce samedi, c'étaient deux cornes épaisses et torsadées en métal poli qui étaient vissées sur sa tête massive. Le port de fausses pupilles de reptile transformait son regard en celui d'un crocodile. Malgré son aspect, tenant de la succube loin du destin terrestre, et son jeune âge – vingt-quatre ans - elle s'était forgé une solide culture cinématographique. Friande d'Argento, boulimique de films de zombies, elle était une fan de gore, à l'affût de la moindre série Z. Pendant la semaine, sa programmation ne fut composée que d'œuvres rares ou marquantes, venues de tout les horizons, sans autre fil conducteur que celui d'inspirer la terreur.
Et, elle avait gardé le meilleur pour la fin. Une petite surprise, à sa façon. Un véritable snuff movie. Un film japonais. Normalement, ce soir allait être projeter


水母
Kugare


Malgré son jeune âge, Paqui savait que ce film était une rareté dans l'histoire du cinéma en général et dans le mouvement fantastique en particulier. Paqui douta même de son existence, tant sa trace était ténue et son histoire trop sulfureuse pour être vraie. Sur les forums consacrés au cinéma fantastique, son nom revenait souvent accompagnés de rumeurs. Ce film, Kugare, trainerait une malédiction. L'actrice, dans le film, était tuée pour de vrai. Certains geeks certifiaient que tout ceux dont le nom apparaissait au générique, étaient morts dans les trois jours qui avait suivi sa première projection. D'autres affirmaient avoir vu l'actrice dans d'autres films de fantômes, ce qui prouvait bien que ce n'était que du bidon. Une opération de marketing viral comme cela avait été fait pour le projet Blair Witch pour titiller la curiosité morbide des spectateurs.
Rumeur ou pas, Paqui était nerveuse car les bobines n'avaient plus qu'une poignée d'heures pour lui arriver. Ce soir allait se clore le Parador et le film lui faisait toujours défaut. Depuis le début du festival, elle campait dans la tribune d'honneur, où elle s'affairait, préparant ses projections, réglant des détails de droits de diffusion. De son point de vue, elle embrassait toutes les arènes. La fête était en train de se finir et les festivaliers ressemblaient à des épaves. Beaucoup étaient écroulés dans les gradins, dormant, planant ou regardant d'un œil vaseux les suspensions qui continuaient sur un fond de musique garage. Des poignées d'irréductibles, certainement sous acide, se trémoussaient près des sonos qui éructaient une techno répétitive.
Paqui guettait un véhicule de livraison, un peu nerveuse même si l'heure de la projection était encore loin. Elle se demanda si on ne lui a pas monté un canular. Elle envisagea déjà un plan de secours. Elle avait sous le coude, un film français écrit et réalisé par un certain Lestat dont ce fut la seule tentative cinématographique. Le film sentait le manque de moyens, la mise en scène était médiocre, les acteurs sur-jouaient, les maquillages étaient pitoyables mais le scénario était béton. Ça s'appelait Le Manoir des Zombies et il avait frôlé le prix du scénario de Gerardmer, à sa sortie. Mais cela lui fendrait vraiment le cœur d'avoir à diffuser ce film à la place de Kugare. En y repensant, ce fut une chance que cette boîte à Okaïdo, la société Okimu lui ai envoyé un mail pour proposer Kugare, dans sa version restaurée afin qu'il soit diffusé pendant le Parador. Apparemment, la notoriété du rassemblent espagnol avait touchée le sol nippon et dans son mail, le président de cette société se déclarait d'ores et déjà honoré de lui prêter sa copie pour la diffuser durant le célèbre Parador del Horror d'Alicante, que Kugare y avait toute sa place. Paqui, aux anges, avait répondu dès réception du message pour remercier le président de la Yog-Sotho Corp de son offre généreuse et de son acceptation sans réserve. Et prête à payer les frais d'acheminement des bobines en échange de ce geste commercial. Paqui écrit qu'elle serait honorée de présenter Kugare pour clore cette édition du Parador. Que cette œuvre majeure du cinéma nippon allait à coup sûr ravir son âme de cinéphile. Elle concluait son mail, en laissant l'adresse où elle souhaiter recevoir les bobines. Le lendemain, le président de la Yog-Sotho Corp lui répondait, se déclarant enchanté de cet accord et remerciant Paqui de l'intérêt qu'elle portait à leur travail. Il lui assurait de tout mettre en œuvre pour lui donner entière satisfaction. Qu'elle n'avait pas à s'inquiéter des frais et que les bandes, accompagnée d'une lettre contenant des instructions précises lui parviendrait bientôt.
Seulement voilà, nous étions samedi matin et les bobines n'étaient toujours pas arrivées. Paqui se triturait les cornes, les dévissant, les revissant, ce qui était un signe d'anxiété chez elle. Sous ses sourcils froncés, son regard de reptile restait impénétrable. Elle faisait les cent pas dans la tribune des arènes, portable à la main. Pour la cinquantième fois de la matinée, elle passa en revue l'installation. Tout le matériel était prêt, les prises branchées, les projecteurs n'attendaient que d'être chargés et semblaient la narguer de leur vacuité. Pour tuer le temps, elle alluma son ordinateur et alla chatter sur MSN avec son copain, en retraite chamanique au fin fond de l'Équateur.
Son téléphone portable vibra et se déplaça par saccades, à côté de l'ordinateur.
Paqui sursauta et, avant qu'il ne tombe de la table, s'en saisit. C'était Jàvier, un des organisateurs.
« -Paqui, il y a un gros colis Fed-Ex qui vient d'arriver pour toi. Je pense que c'est le film que tu attends. Je t'envoie le livreur ? »



FIN



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