Dans les livres qui sont tout en haut de mon panthéon de ce qu’il faudrait faire lire impérativement dès la première année de licence, il y a lesRègles pour la direction de l’esprit, de Descartes. Du coup, je me lance dans le plus long liveblogging de tous les temps (je crois…) en partageant mes notes de lecture au fur et à mesure de ma relecture de ce texte.
Vous êtes libres (trad. invités) à commenter, pour que vos remarques soient ajoutés aux miennes. Je pense que ça peut faire, au final, un joli document à n mains, sur un texte qui me semble fondamental.
Remarques d’introduction
Les Règles sont un texte de Descartes inachevé, qui est sans doute le plus important, le plus fondateur de sa pensée. Lire la Méthode sans avoir lu les Règles perd beaucoup de son sens (même si en général on le fait dans cet ordre la). Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, que les Règles sont le premier texte dans le volume Descartes de la Pléiade.
L’objectif des règles, c’est de fournir un cadre (on dirait aujourd’hui un framework) pour distinguer le vrai du faux, et pour être certain d’adopter des raisonnements qui permettent d’arriver au vrai. Autrement dit, à ce qu’on peut savoir avec certitude, sans doute. Et la grande magie de cette ouvrage, c’est qu’il nous apprend que le meilleur moyen d’arriver à ce but, c’est de suivre une série d’étapes qui sont extrêmement simples. Le style de Descartes est un peu abrupt, mais il a le mérite de faire quelque chose que je trouve génial : illustrer des concepts a priori complexes par des exemples très simples et très parlants.
30 nov. – Règle 1
Le but des études doit être de diriger l’esprit de manière à ce qu’il porte des jugements solides et vrais sur tout ce qui se présente à lui.
Le message principal de cette règle est qu’il n’est pas utile, dans les premiers contacts avec les sciences, de se focaliser sur une discipline en particulier. La raison en est simple : la méthode scientifique, qui d’ailleurs s’applique à tout problème qu’on peut rencontrer, est transcendante. Et si on veut apprendre d’abord la chimie, puis la biologie, puis l’économie, on fait une erreur. Il faut commencer par apprendre « la science », et appliquer cette méthode aux disciplines qui n’en sont qu’une variation.
On peut dire que le scientifique est celui qui connaît la méthode, la ou le biologiste est celui qui applique la méthode à une série de problèmes particuliers. Cette règle a des répercussions immédiates sur comment doit se faire l’enseignement. Le but ultime ne doit pas être de faire apprendre par coeur des livres, mais de comprendre comment raisonner. Inutile d’aller plus loin que la première page pour comprendre d’ou me vient mon adoration pour ce texte.
En allant plus loin, Descartes affirme qu’apprendre une discipline , c’est imposer des bornes à l’esprit! Maîtriser avant toute chose la méthode transcendante pour établir ce qui est vrai nous permet ensuite d’aller plus vite à la recherche de ce vrai, quel que soit le problème. C’est pour ça qu’une méthode qu’on met des mois à acquérir en licence peut être maîtrisée en quelques semaines après quelques années de pratique du raisonnement scientifique. Et c’est pour ça qu’en insistant sur l’apprentissage au lieu de la compréhension, on fait perdre des années à nos étudiants.
C’est d’ailleurs exactement ce que dit Descartes. Apprendre un but en particulier est contre-productif et chronophage, et nous devrions orienter nos études vers la recherche de la vérité. La révolution qu’il déclenche, c’est de dire qu’il est plus facile d’apprendre toutes les sciences en même temps qu’une science en particulier! Cette pensée est dans la continuation de celle des humanistes de la renaissance, comme Pic de la Mirandole.
30 nov. – Règle 2
Il ne faut nous occuper que des objets dont notre esprit paroît capable d’acquérir une connaissance certaine et indubitable.
Cette règle (très importante!) s’ouvre sur une quasi-négation de ce à quoi on résume la méthode Cartésienne : dubito ergo cogito (je doute donc je pense). Celui qui doute de tout n’est pas plus savant que celui qui ne pense pas du tout, et même, il est plus ignorant. C’est ici un appel à la simplicité la plus extrême dans le choix des objets d’étude. Si le problème auquel on s’attaque est tellement complexe qu’on ne pourra pas le résoudre de manière satisfaisante, il n’y a pas de raison de s’y attaquer. Puisqu’au final, nous ne serons pas plus proches du vrai. Et même, nous risquons de nous encombrer de nouvelles suppositions, qui nous empêchent d’y voir clair.
C’est à ce moment là que Descartes réintroduit son idée d’un doute productif, puisqu’il suggère de laisser de côté tout ce qui n’est que supposition, pour se concentrer sur les choses parfaitement connues, et dont on peut douter. C’est Popper bien avant l’heure!
Le problème majeur que Descartes isole est que nous avons tendance à mépriser ce qui est simple, parce que ce serait indigne d’un grand esprit de se pencher sur une constatation que n’importe quelle autre personne aurait pu faire (on reviendra sur les « grands esprits » dans les règles futures). Mais ce serait oublier que c’est sur ces constatations simples qu’on érige la complexité, et qu’en déconstruisant les problèmes, on en revient toujours à des choses qui semblent élémentaires.
La conclusion de tout ça, c’est évidemment qu’il ne reste que peu de choses sur lesquelles on peut se pencher correctement. La discussion qui en est faite, quoique sur quelques lignes seulement, est assez édifiante. Quand deux personnes ont un avis différent sur une même question, et si les deux ne considèrent ce problème que par l’angle de la raison (exit la foi), il y a de fortes chances que les deux se trompent. Pourquoi? Si l’un avait raison, il pourrait exposer ses arguments à l’autre de façon claire, et il le ferait changer d’avis. Il faut remarquer, aussi, que depuis plusieurs années, on réconcilie des hypothèses à priori différentes et incompatibles en montrant qu’elles ne sont que deux cas extrêmes d’un continuum. Voir par exemple en génétique sur les systèmes d’infection, et en écologie le débat niche-neutre.
Cette règle nous avertit aussi du danger de la science fun. Il est très attractif de se pencher sur des choses difficiles, c’est très stimulant intellectuellement, mais cette pratique ne fait qu’accroître nos doutes. Le meilleur moyen de ne pas accroître nos doutes, pour Descartes, c’est encore la déduction, et pas l’expérience. Et ce pour une raison très simple : si on déduit correctement, on ne peut jamais se tromper. On tombe sur un point qui sera détaillé plus tard : il n’y a pas besoin d’être intelligent pour faire de la science. Et même, on gagne à être stupide, puisqu’on se contente alors d’appliquer la méthode, et que la méthode nous garantit d’arriver au vrai. Et paf, coup de boule dans le mythe du génie qui fait de la science. J’adore.
– A suivre –
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 11 juin à 13:08
A quand la suite ?