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Interview de Thomas Bloch, interprète d’instruments rares

Par Kub3

Il a joué avec les plus grands, de John Cage à Marianne Faithfull, en passant par M et Gorillaz. Mais Thomas Bloch est un homme discret.  Interprète de trois des instruments les plus rares au monde, cet adepte des collaborations en saut de puce illustre un résonnant paradoxe : c’est en jouant des instruments introuvables qu’il parvient à transcender les genres.


KUB3 : Pouvez-vous me présenter vos instruments ?


Thomas Bloch : Il y en a trois : le glassharmonica, les ondes Martenot et le cristal Baschet. Le glassharmonica est un instrument qui date du 18ème siècle, composé d’une quarantaine de verres placés sur un axe horizontal. Ça ressemble un peu à un kebab, mais placé horizontalement. Un petit moteur électrique fait tourner l’ensemble et on frotte l’instrument avec les doigts mouillés. Le cristal Baschet est quant à lui composé de cinquante-quatre tiges de verre qui se mettent à vibrer lorsqu’on les frotte, là encore avec de l’eau. Les ondes Martenot se présentent elles sous la forme d’un clavier, que l’on joue à la main droite, accompagné d’un bouton pour régler l’intensité du signal électrique à la main gauche. Il est également possible de jouer au “ruban”, avec une bague que l’on passe au doigt et que l’on déplace devant le clavier. Ça donne une qualité de jeu assez vocale qui fait parfois penser à la scie musicale.

Lequel de ces trois  instruments est le plus rare ?

Actuellement, je dirais l’armonica de verre. Nous sommes seulement quatre ou cinq à en jouer professionnellement dans le monde. En fait cet instrument a disparu en 1835 et on ne le trouvait plus depuis que dans les musées. Mais ça fait une trentaine d’années maintenant qu’un maître verrier aux États-Unis en fabrique à nouveau. Il a du en faire une cinquantaine depuis que l’instrument a été redécouvert.

Vous disiez que la fabrication du glassharmonica avait été arrêtée pendant un moment, pour quelle raison était-ce ?

Le problème était lié au plomb. Les interprètes contractaient le saturnisme au bout de quinze ou vingt ans de pratique. D’abord parce qu’il y a du plomb dans le cristal mais aussi parce que certains verres étaient peints pour figurer les touches noires, comme sur un piano, avec une peinture très riche en plomb. Mais aujourd’hui on utilise soit du verre ordinaire, soit du quartz. Et on met de l’or à la place de la peinture noire.

Comment en êtes-vous venu à jouer de ces instruments ?

J’ai commencé par jouer du piano à l’âge de six ou sept ans à Colmar, ma ville natale. Et je devais en avoir huit ou neuf lorsque j’ai entendu à la radio les ondes Martenot, et ça a été le coup de foudre. J’ai continué mes études de piano et  j’ai commencé à étudier les ondes Martenot quand je suis entré au conservatoire de Strasbourg. J’ai fini par faire le conservatoire de Paris où j’ai étudié avec Jeanne Loriod, qui était la principale interprète de cet instrument. Pour l’armonica de verre c’est un peu la même chose. Lorsque j’étais étudiant à Paris un de nos professeurs nous faisait écouter des fragments sonores à l’aveugle et nous faisait deviner les instruments. Elle nous a fait entendre une pièce de Mozart joué par un armonica de verre. Et là ça a été le même coup de foudre. Mais à ce moment là cet instrument n’avait pas encore été redécouvert. En faisant quelques recherches j’ai trouvé ce maître verrier aux États-Unis. Donc je lui ai commandé un instrument et on a ensuite travaillé ensemble à l’améliorer, lui d’un point de vue technique et moi d’un point de vue musical.

Et en ce qui concerne le cristal Baschet ?

On m’avait demandé un jour d’organiser une exposition autour du glassharmonica, j’ai donc cherché des instruments apparentés. Quand j’ai découvert son existence j’ai tout de suite commencé à travailler. Il s’est avéré être un bon complément de l’armonica de verre puisque ce dernier produit des notes plutôt dans l’aiguë, tandis que le cristal Baschet émet des sonorités plus graves.

Vous avez connu de multiples collaborations, de Tom Waits à John Cage en passant par M. Est-ce  difficile de passer ainsi d’un univers à l’autre, en l’occurrence ici de la musique contemporaine au rock ?

Au contraire, ça permet de s’aérer un peu l’esprit. Je ne peux pas rester cantonné dans un seul domaine, je suis vraiment touche-à-tout. La semaine dernière par exemple je jouais une œuvre baroque pour glassharmonica et orchestre en Hollande. Et cette semaine je suis en Allemagne pour une création d’une nouvel opéra qui vient d’être composé. J”aime bien passer ainsi d’un projet à l’autre.

Le fait que vous soyez un artiste transgenre tient-il au fait que vous jouiez des instruments rares et très recherchés ?

Oui, c’est exactement ça. Qui plus est le fait de pouvoir jouer plusieurs instruments est aussi intéressant pour ces artistes, aussi bien dans le domaine de la musique contemporaine que la chanson. Le fait que j’ai une base de pianiste me permet, notamment avec Tom Waits, de jouer d’autres instruments en plus des miens, comme l’harmonium par exemple.

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Pouvez-vous m’en dire un peu plus concernant votre collaboration avec Radiohead ?

J’avais été contacté par Radiohead il y a quelques années déjà. C’était à l’occasion de la sortie de leurs deux albums consécutifs, Amnesiac et Kid A, au début des années 2000. Et Jonny Greenwood, le clavier et l’arrangeur du groupe, joue lui-même des ondes Martenot. Il place d’ailleurs cet instrument au-dessus des autres. Il m’a donc contacté, sachant qu’à l’époque j’étais le seul ondiste à être “transgenre” comme vous dites, c’est à dire à avoir une formation classique tout en sachant jouer de la chanson et du rock. Johnny avait besoin de plusieurs ondistes pour une prestation télévisée. Donc j’ai rassemblé quelques copains et on a fait des enregistrements avec six ondes Martenot, dont Johnny lui-même. Je lui ai ensuite fait rencontré Jeanne Loriod. Pour lui c’était vraiment un rêve. Il avait assisté à une représentation d’une œuvre de Messiaen à Londres, où elle jouait. Tout timide, il m’a demandé comment il devait l’approcher, si il devait amener des fleurs etc. C’était assez drôle et assez mignon.

Et en ce qui concerne votre rencontre avec Damon Albarn, de Gorillaz ?

Tout s’est passé par l’intermédiaire d’un ami qui vit à Londres, David Coulter, qui est un ancien musicien d’Arthur H. Il est parti rejoindre les Pogues et j’ai plus ou moins pris sa place au sein du Bachibouzouk band d’Arthur H. Mais on est resté en contact et on continué à collaborer sur différentes projets, dont celui de  de Marianne Faithfull et de Tom Waits. C’est ensuite qu’il m’a rappelé pour ce projet avec Gorillaz, à savoir l’opéra Monkey : Journey to the West.

Parmi toutes les collaborations que vous avez pu faire, y en a-t-il une qui vous a particulièrement marquée ?

Non, pas vraiment. Ce sont à chaque fois des expériences nouvelles puisque je ne reste jamais longtemps avec les mêmes artistes.

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Quels sont vos projets actuels et avec qui comptez-vous travailler ou aimeriez travailler ?

Dans deux semaines je pars à Sofia pour jouer une œuvre d’Olivier Messiaen avec orchestre. J’ai également une musique pour un film anglais à enregistrer, fin décembre, et une autre pour un film d’horreur américain. Je tourne aussi beaucoup avec Jean-François Zygel, qu’on voit assez régulièrement à la télévision et qui est à la tête du département d’improvisation au conservatoire de Paris. Au mois de février je jouerai avec Yael Naim, notamment à la salle Pleyel, le 25 février.  J’ai donc beaucoup de projets…

Et parmi ceux que vous avez cités, vous avez parlé de deux films. Desquels s’agit-il ?

Je ne connais pas les titres en fait. En général je pose la question le jour de la séance [rires]. Autrement j’ai joué pour un autre film qui va sortir prochainement. Il s’agit de Soudain le vide, de Gaspar Noé. C’était l’occasion d’une collaboration avec Thomas Bangalter, de Daft Punk.

Une dernière question : vous avez été le premier à jouer les Vexations d’Erik Satie, une pièce pour piano qui dure 24 heures. Quelle est l’idée derrière cette œuvre ?

La pièce de Satie est assez particulière. Il l’avait composée en 1893 parce que les critiques disaient de lui qu’il était capable de n’écrire que des pièces courtes. Et en réalité cette pièce dure à peine plus d’une minute puisqu’elle fait une page. Mais il demande de la jouer huit cent quarante fois d’affilée. Voilà l’idée.

D’où le titre de Vexations...

Absolument. Le premier à l’avoir joué c’était John Cage, dans les années 60. Il l’avait faite d’un manière plus rapide et il avait demandé à dix pianistes de jouer chacun une heure. Donc effectivement je suis le premier à l’avoir fait seul et sans interruption. Et je l’ai rejoué trois fois d’ailleurs. Pas dans la foulée bien sûr [rires].”

Le site officiel de Thomas Bloch

Interview réalisée le 19 novembre par téléphone.

Propos recueillis par Olivier Clairouin



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