Lorsque l’on est cinéphile, il y a des acteurs ou des cinéastes que l’on ne doit pas aimer. C’est comme ça, une espèce de règle tacite entre cinéphiles pointus qui veut que l’on raille quelqu’un de la profession dès que sa carrière touche plus à la série B (tendance Z sur les bords) qu’aux genres respectables. C’est sûrement à cause de ça que JCVD s’est lamentablement planté au box-office il y a deux ans. Le problème c’est que ce genre d’élitisme tue le goût de la diversité au cinéma, qui se doit d’être un régal d’un bout à l’autre du stroboscope cinéphile.
Je fais partie d’une génération trop jeune pour avoir vu débarquer les films hollywoodiens de genre de la décennie 80’s d’un œil écœuré, et trop vieille pour voir cette même décennie comme un arc vieillot et dépassé de la chronologie du grand écran. La cinéphilie de chacun se nourrit de l’époque à laquelle il ou elle grandit, et moi quand j’étais gamin, Van Damme, Seagal, ou Lambert étaient des stars. Leurs tronches étaient partout, leurs films en tête du box-office, et quoi qu’aient pu en penser les cinéphiles mûrs de l’époque, ou quoi qu’en pensent les spectateurs plus jeunes aujourd’hui, ceux de ma génération ont engrangé ce cinéma dans leur culture cinéphile, aussi sous-culturelle soit-elle.
Le problème c’est que du coup, tous ceux qui ne sont pas de cette génération, et il y en a quand même pas mal, semblent assez largement mépriser l’affection que l’on puisse attacher à certains de ces acteurs, même lorsque les fluctuations de projets et la montée en force de jeunes cinéastes les voient s’afficher dans des productions bénéficiant d’un standing auxquels il ne nous avaient plus habitués.
Moi, j’aime bien Christophe Lambert. Ce n’est pas une phrase qui se lit souvent, mais je l’écris. Lambert, c’est une trajectoire un peu particulière sur plan cinématographique. Greystoke, Subway et Highlander en ont rapidement fait un grand espoir du cinéma français et international. Il sortait du Conservatoire, faisait la couv’ de tous les magazines, tournait chez Michael Cimino, et travaillait avec David Lean sur un projet d’adaptation du "Nostromo" de Joseph Conrad interrompu par le décès du cinéaste britannique. Bref, un acteur incontournable des années 80.
Pourtant sont arrivées les années 90, et avec elles, la crédibilité artistique de Lambert a volé en éclats. Des suites ratées de Highlander, des séries B aux scénarios éculés, des comédies françaises avec des chiens et Richard Anconina, et bientôt, avant que l’on s’en rende compte, Christophe Lambert était cantonné aux thrillers soporifiques pour le marché DVD. Et si d’aucuns pourraient arguer que moumoute et moustache lui allaient à ravir dans ce monument de série Z qu’est Vercingétorix, il faut bien l’admettre, Lambert semblait prendre un malin plaisir à faire les mauvais choix de carrière. D’ailleurs il a longtemps dit lui-même qu’il faisait du cinéma pour s’amuser (on ne l’en blâmera pas, mais n’y avait-il donc que sur ces films-là que l’on s’amusait à l’époque ?).
Et voilà, celui que les américains appellent Christopher Lambert semblait bel et bien fini. D’autant que l’autre raison qui forçait le respect envers le bonhomme était finie, puisqu’il avait divorcé de Diane Lane…
Ces jours-ci, j’ai fait l’amer constat que la cote de l’acteur est encore plutôt basse dans le cœur des cinéphiles lambdas. Je claironnais à qui voulait bien l’entendre que « Oui oui, je vais aller voir L’homme de chevet », « Quoi le truc avec Christophe Lambert ? », « Le truc avec Christope Lambert oui »… Bah oui désolé je ne me refais pas. J’ai vu Janis et John de Samuel Benchetrit en 2003. J’ai constaté que Christophe Lambert était toujours un bon acteur quand il est bien dirigé, qu’il pouvait être drôle, touchant et voler un film en quelques scènes.
Alors oui, depuis il a encore tourné des direct-to-DVD pourris, il joué dans le gros nanar de Sophie Marceau La disparue de Deauville, et en ce moment il parait même qu’il tourne un film d’aventures avec une princesse, une sorcière, des guerriers, Kevin Sorbo – oui oui, le Hercule télé des années 90 – et un budget de 1 million de dollars (des clopinettes). Non Christophe Lambert n’est pas un comédien 100% fiable. Des daubes il en a tourné des tonnes, et en tournera encore sûrement à l’avenir.
Mais il vient aussi de tourner avec Isabelle Huppert sous la direction de Claire Denis, White Material. Et il a tourné cet Homme de chevet d’Alain Monne, adapté d’un roman d’Eric Holder, une agréable surprise, certes inégale et qui ne finira pas dans de nombreux Top 10 à la fin de l’année, pas même le mien, mais un film qui sent bon le cinéma tout de même, loin de sa collection de nanars habituelle. Un film qui laisse espérer que Lambert délaisse plus souvent son marché DVD adoré pour se laisser reconquérir par des personnages à la hauteur de son talent.
La route est encore longue avant que Christophe Lambert redevienne un nom respecté sur grand écran, détaché des ricanements qui peuvent encore l’accompagner. Mais en attendant, moi, je continuerai à aller voir ses films en salles, dans l’attente. L’attente d’un sursaut. Je suis peut-être le seul à attendre. Mais j’ai l’habitude.