Magazine Culture

Le Dico incorrect de la littérature

Par Fric Frac Club

On se détend ! - Eli Flory - Le Dico incorrect de la littérature (Timée-Editions, 2009) par Bartleby 

De pauvres guirlandes lumineuses commencent à apparaître sur les balcons de nos cités, tandis que de grotesques Père Noël made in China, tels des avortons cambrioleurs, y sont suspendus : c'est l'esprit de Noël et l'effervescence qui s'empare de chacun de nous est tout aussi artificielle que toutes ces pitoyables décorations. Dans la joie et la bonne humeur, nous allons bientôt ingurgiter des montagnes de nourriture, quitte à en être malades. Nauséeux sur vos canapés, il vous sera impossible de vous concentrer sur l'un de ces livres aussi épais qu'exigeant dont nous vous parlons sans cesse et que, de toute façon, le Père Noël ne vous aura pas apporté. Il est temps de se détendre et c'est pourquoi c'est le moment ou jamais de lire ce petit Dico incorrect de la littérature d'Eli Flory.

Ce Dico est un petit régal, une petite balade organisée par Eli Flory dans l'étrange petit monde de la littérature française. Les anecdotes parsèment ce recueil. Au fil des pages, nous rencontrons Vila-Matas, Baudelaire, Proust, Mallarmé, Larbaud, Queneau, Vian, Atwood, Yourcenar, Dumas, Stendhal, Joyce, Wilde, etc. Même lorsqu'il est seulement question de bons mots, Eli Flory a toujours une petite histoire à nous raconter. A propos de l'Académie française, par exemple, elle écrit avec humour : « On y entre souvent vieux et on y trépasse plus vieux encore. Ainsi meurent immortels de nombreux écrivains oubliés de leur vivant. » Et plus tard, elle nous rappelle les viles compromissions effectuées en vain par La Fontaine pour y entrer. Sans doute avait-il trop de talent pour en faire partie… Les bons mots sont légion et il serait impossible de les recenser. Qu'est-ce qu'un “Grantécrivain” ? C'est, « Celui qui peut commencer à écrire ses livres après la date de leur sortie officielle en librairie. »

Si ce Dico n'était qu'une compilation de bons mots, il n'aurait cependant pas plus d'intérêt qu'un autre. Ce qui distingue ce livre de ses semblables est sa forme discrètement pamphlétaire, Eli Flory dénonçant beaucoup et prenant clairement position en matière d'esthétique et de politique. Le monde de l'édition, et plus particulièrement de l'édition française, est vivement attaqué. L'amour de la littérature y est une exception, l'édition étant devenue un commerce comme un autre. Il n'est alors pas étonnant de voir les magasins de fringues pulluler à Saint-Germain-des-Prés : le livre est un accessoire de mode comme les autres. Un sac à main Dolce Gabbana serait orphelin s'il ne contenait le dernier Musso. L'économie du livre se fait aux dépens de la littérature. L'obsession du best-seller est telle que le marketing est aujourd'hui incontournable. Comme d'autres produits de consommation courante, le livre est vendu avec son cadeau Bonux : deux achetés, un troisième gratuit, un tee-shirt ou un bob offert, etc. Et s'il y a des labels de qualité sur les produits en rayon de nos supermarchés, il y en a également pour les livres, les fameux bandeaux, rouges la plupart du temps : « le bandeau est l'attestation la plus voyante de la qualité supérieure d'un livre, comme le sont les médailles d'or décernées aux poulets fermiers et aux shampooings-crème à la moelle de bambou. Un label de qualité pour les lecteurs pressés, qui préféreront s'en tenir à la première de couverture plutôt que de feuilleter l'ouvrage. » L'obsession de la rentabilité est telle que le monde de l'édition commence même à imiter celui du football. Entre deux rentrées littéraires, c'est l'effervescence, c'est la période des transferts, du mercato, l'optique des prix littéraires poussant les écrivains à changer d'écurie contre un gros chèque. Un bon livre est un livre susceptible de se vendre. Les canulars sont alors faciles à réaliser et Eli Flory en rappelle quelques-uns, comme L'Après-Midi de monsieur Andesmas de Duras refusé par ses propres éditeurs ou le manuscrit de Mrs Dalloway retourné à l'envoyeur sous prétexte d'« un mode narratif insuffisamment élaboré et maîtrisé. »

On publie de plus en plus, mais seulement du bon à consommer immédiatement. Les livres insignifiants sont si nombreux et dans une telle concurrence qu'il y a aujourd'hui six fois plus de livres passant au pilon qu'il y a vingt-cinq ans… Si les éditeurs pouvaient être un peu plus sérieux, l'environnement ne s'en porterait pas plus mal. Là est sans doute le problème au centre des réflexions de l'auteure : l'époque est au bavardage. La littérature s'est faite bavarde : ça parle, ça parle et ça ne dit rien : « Pourquoi ne pas distinguer deux catégories d'écrivains : les bavards, qui écrivent comme ils parlent, et ceux qui ont cherché toute leur vie à exprimer une voix singulière, quitte à en perdre la tête ? » (article “Aphasie”) Tout au long des articles, Guillaume Musso, Marc Levi ou Paulo Coelho sont victimes de la plume acerbe d'Eli Flory. A la suite de Flaubert et de Bloy, elle examine quelques idées reçues. La lecture est-elle réservée aux intellos ? « Rien de plus faux. Comment expliquer sinon que les romans de Guillaume Musso se vendent à plusieurs milliers d'exemplaires ? N'allez pas me dire qu'un pays qui a voté en masse pour un candidat analphabète n'est composé que d'intellectuels, de libres-penseurs et de révolutionnaires… »

Ce n'est pas seulement sur la littérature qu'Eli Flory prend position, mais aussi sur la critique et plus particulièrement sur la critique telle qu'elle se développe sur internet. Elle écrit ainsi à propos des blogs de lecteurs (qu'il faut distinguer des blogs littéraires) : « Attention toutefois : le blogueur-lecteur, qui est bien souvent une blogueuse-lectrice, est fier comme un gueux et susceptible comme un Ch'ti. Qu'il ne soit pas nominé pour les Césars du meilleur blog de l'année, et le voilà se fendant d'un post assassin pour dénoncer l'élitisme du jury. » Notons à ce sujet qu'Eli Flory sait très bien de quoi elle parle puisqu'elle se retrouvée au centre d'une polémique navrante suite à une sélection de blogs littéraires pour le Magazine des Livres. Ces dames de la blogosphère ont alors fait savoir leur mécontentement à coup de protestations diffamatoires. Il y a peu, suite à un entretien avec Marc Villemain, je me suis vu dédicacer la belle chanson Fuck you de Lily Allen sur ces blogs (tout cela confirmant que nos chère blogueuses ne comprennent de cette chanson que le titre) pour avoir osé critiquer Clarabel. Il en est des écrivains comme des critiques : plus ils sont faibles, plus ils sont bavards. Heureusement, ils sont inoffensifs.

La dangerosité est probablement le critère le plus pertinent pour distinguer un bon livre d'un mauvais. La liste non exhaustive d'auteurs s'étant suicidés (article “Suicide”) prouve qu'écrire est dangereux. Hélas, lire l'est tout autant : « Lire nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage. » Pour le prouver, Eli Flory rappelle que suite à un sordide fais divers, la presse incrimina J'irai cracher sur vos tombes : « Hanté par ses lectures, un homme étrangle sa maîtresse en suivant les méthodes de son livre de chevet. » Dans Le Clavier Cannibale dont nous parlions il y a peu, Claro tenait le même discours, Le Cycle de Fondation d'Asimov ayant été lu par Hideo Murai (attentat dans le métro de Tokyo, 12 morts) et par Timothy McVeigh (attentat d'Oklahoma City, 168 morts). Claro multiplie les exemples et rappelle, par exemple, que le FBI contacta les spécialistes de Conrad pour arrêter Theodore Kaczynski, lecteur assidu de l'Agent Secret. Quant à l'Attrape-Cœur de Salinger, il fut retrouvé dans les poches de l'assassin de John Lennon lors de son arrestation : « A chaque livre son crime ou sa vertu. En revanche, ayons une pensée, une pensée longue comme un jour sans orgasme, pour tous ces livres qui ne changent pas nos vies, qui n'y entrent pas, qui n'y laissent aucune empreinte, qui sont comme des pets reniés par la toile cirée. »

Le Dico incorrect de la littérature n'est certes pas dangereux (sauf peut-être pour Eli Flory qui va voir le nombre de ses ennemis augmenter), mais de par son impertinence humoristique, il vous sortira de temps en temps, au gré de ses articles, de la période de léthargie dans laquelle les fêtes de fin d'années vont vous plonger.  Illustration : David Dalla Venezia.

On se détend ! - Eli Flory - Le Dico incorrect de la littérature (Timée-Editions, 2009) par Bartleby


Retour à La Une de Logo Paperblog