Des Pays baltes à la Pologne, il n’y a qu’un pas, d’autant plus que les frontières ont été bien mouvantes dans ces contrées au cours des siècles derniers. La Pologne a en effet souvent souffert d’un voisinage bien cruel et elle a connu bien des atrocités et des revers qui ont fait bouger ses frontières tantôt vers l’est, tantôt vers l’ouest. Il ne nous est donc pas toujours très aisé de déterminer qui est polonais, qui l’a été ou ne le l’est plus. Donc pour palier à cet aria, nous consacrerons deux étapes à ce pays à la vaste culture et à la riche littérature et nous en consacrerons une tout spécialement aux Polonais de la diaspora, ceux qui pour une raison ou une autre ont quitté leur pays pour s’installer et écrire ailleurs… souvent avec un grand succès.
Pour cette première étape nous prendrons la compagnie de Marek Hlasko, écrivain mort très prématurément qui évoquera la Pologne communiste et ses affres. Et nous irons à la rencontre d’Henryk Sienkiewicz qui évoquera les durs rapports de la Pologne avec l’ordre teutonique, d’Hanna Krall qui nous parlera du sort des juifs pendant le dernier conflit mondial et nous terminerons notre périple avec Dorota Masmovska une toute jeune femme qui, la première peut-être, a écrit sur la désillusion des jeunes après la chute du mur. Et, si avec ça vous n’êtes pas convaincu que la Pologne a connu bien des heures sombres…
L'impossible dimanche ( le huitième jour de la semaine ) de Marek Hlasko (1934 – 1969)
Varsovie, 1956, un jeune couple cherche désespérément un endroit décent, quatre murs seulement, où la jeune fille pourrait offrir sa virginité à son amoureux. Mais, dans la Pologne de l’après-guerre et du régime stalinien, on manque de tout et surtout d’intimité, les logements font cruellement défaut et il faut partager les appartements, ce que l’héroïne fait avec ses parents, son frère qui noie méthodiquement son chagrin dans un océan de vodka et un autre, une tierce personne, qui habite là par habitude car il n’a pas d’autre lieu où poser son corps et ses maigres paquets en attendant, lui aussi, de rejoindre sa bien aimée.
Un livre très court, construit surtout avec les dialogues entre les principaux protagonistes, mais très percutant et qui a ému la foule des lecteurs quand il a été publié à la fin des années cinquante quand le monde soviétique était encore une énigme pour beaucoup.
Un livre qui met surtout l’accent sur une des grandes misères des pays de l’Est à cette époque, la promiscuité, qui interdit à tout un chacun d’avoir un brin de vie privée mais aussi une politique qui instaure un système d’auto-surveillance qui confine à l’espionnage généralisé. Et, c’est cette promiscuité qui ne permet pas aux jeunes d’établir les relations intimes minimales pour construire un avenir possible et entretenir un minimum d’espoir. Alors, la vodka devient le seul palliatif au désespoir et la seule évasion qui reste pour oublier un avenir totalement obscurci, « … l’ivrognerie est devenu quelque chose comme une nouvelle moralité, une moralité particulière. »
Mais, ce livre dépasse le contexte polonais, il pose le problème de cette pauvre jeune fille égarée entre un amour auquel elle voudrait croire très fort, et un frère qui s’enfonce dans un alcoolisme suicidaire. On a l’impression que ces jeunes ne peuvent même pas rêver, même pas croire au prince charmant ou à la belle au bois dormant, qu’ils n’ont plus que la possibilité de se réfugier dans l’anesthésie éthylique car demain ne sera pas meilleur.
La lumière pourrait peut-être un jour, « le huitième jour de la semaine », venir éclairer leur avenir, Ils y croient avec une certaine ironie comme nous nous croyions, quand nous étions potaches, en « la semaine des quatre jeudis ».
« Je quitte ce pays. Ici, on ne peut être qu’un ivrogne ou un héros. »
Pour l’honneur et pour la croix de Henryck Sienkiewicz ( 1846 - 1916 )
Henryk Sienkiewicz a été le premier Polonais à recevoir le Prix Nobel de littérature qui lui fut décerné pour son célèbre roman « Quo Vadis » qui connu un succès mondial lorsqu’Hollywood le porta à l’écran. Mais avant cette date, il avait déjà conquis le cœur de ses compatriotes avec ses romans historiques nationalistes dans lesquels il met en scène la noblesse polonaise qui s’oppose aux Chevaliers teutoniques qu’il hait particulièrement.
Dans « Pour l’honneur et pour la croix », il raconte l’histoire de cette noblesse polonaise qui s’est battue avec vaillance et courage pour faire respecter la foi chrétienne et stopper les ambitions des célèbres Chevaliers qui subiront une déroute désastreuse à la bataille de Tannenberg.
Sienkiewicz n’est peut-être pas toujours objectif, il a souvent tendance à manifester un nationaliste un peu trop virulent, mais il est étonnant de voir comment un écrivain, décédé en 1916, dresse le portrait des Chevaliers teutoniques sous l’image de ce que seront les nazis quelques décennies plus tard. La haine entre les deux nations n’a pas attendu Hitler pour s’exprimer.
Là-bas, il n’y a plus de rivière de Hanna Krall ( 1937 - ... )
« Racontez-moi une histoire. Une vraie… importante… sur quelqu’un ou bien la vôtre… », demande Hanna quand elle termine ses interviews et qu’elle a débranché son micro. Alors ces survivants de la shoah, juifs polonais souvent hassidiques, qu’elle rencontre aux quatre coins de la planète lui confient leur histoire, celle de ceux qui ne sont pas revenus, celle de leur famille ou celle qu’ils ont vue ou entendue.
Mais, il est difficile de parler de ces événements qu’ils ne peuvent pas oublier, qu’ils ne peuvent pas ranger dans les placards de leur histoire, qui hantent leurs jours mais surtout leurs nuits. Alors pour raconter il faut du temps, les mots sortent de la bouche par bribes, par fragments, comme ces morceaux d’histoires qu’Hanna essaie de rassembler comme les pièces d’un puzzle pour reconstituer seize histoires, seize témoignages, sur la vie de ces juifs pieux et fatalistes qui s’en remettent à Dieu et à ses rabbins pour échapper à la tenaille qui les broient entre les mâchoires nazies d’un côté et communistes de l’autre.
Polococktail party de Dorota Maslowska ( 1983 - ... )
Les critiques n’ont pas toujours été très tendres avec cette jeune fille qui n’avait même pas vingt ans quand elle a écrit ce livre en à peine un mois avant le bac. Certes Dorota n'est pas Selby, ni même Bret Easton Ellis mais elle ne manque ni d'imagination ni de souffle.
Son roman, c'est le récit de la dérive d'une jeunesse qui n'a pas trouvé derrière le mur la vie qu'elle avait rêvée avant la chute de celui-ci. Ces jeunes avaient imaginé l'Occident comme nous nous imaginions l'Amérique dans les années soixante et ils se sont brûlés les doigts aux feux des artifices qu'ils n'avaient pas apprivoisés. Ils trouvent alors refuge dans la drogue, le postcomunisme ou le néonationalisme, un mélange social explosif qui ne fait peut-être pas une vraie histoire mais qui montre un vrai malaise.
La petite Dorota a dû elle-même connaître quelques déceptions pour jeter aussi brutalement son texte sur la feuille en si peu de temps.
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