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Inégalité d'accès à la Culture: le cas de l'Opéra

Publié le 14 décembre 2009 par Labreche @labrecheblog

Photo Opéra Garnier.GIFLa culture est définie comme « un effort personnel et méthodique par lequel une personne tend à accroître ses connaissances et à donner leur meilleur emploi de ses facultés » (Dictionnaire de l’Académie Française, 9e édition). La connaissance et l’épanouissement présupposent donc un effort. Dès lors, que faire lorsqu’il est perpétuellement découragé ?

La véritable inégalité culturelle naît en effet de l’impossibilité pour certains, malgré des efforts répétés, d’accéder à la culture. L’une des manifestations de ce phénomène reste l’accès à ce lieu emblématique qu’est l’Opéra. Pourtant, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution de la Ve République, spécifie que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». Pour les moins fortunés et, en particulier, pour nombre de jeunes, l’accès à l’Opéra n’est pas un droit. Non seulement il n'est pas encouragé, mais ce public est simplement toléré.

Les jeunes, des spectateurs par défaut

Il est compliqué d’assister à un Opéra lorsqu’on bénéfice d’un tarif préférentiel. Pourtant, le site internet l’Opéra national de Paris invite les jeunes à dépasser leurs appréhensions. « Vous avez moins de 28 ans, Vous pensez que l’Opéra ne fait pas partie de votre monde ? Vous pensez que l’Opéra n’est pas financièrement abordable ? » Mais dans les faits, la volonté de contredire ces préjugés n'est pas frappante.

D'abord, bénéficier d’un tarif préférentiel suppose d’arriver plusieurs heures avant une représentation pour espérer obtenir une place, de prendre une file et de patienter debout, dans l'atmosphère confinée du petit espace billetterie de l’Opéra Bastille. Celui-ci accueille généralement au moins une centaine de personnes, alors que le personnel est souvent déjà informé que la plupart des présents ne pourront pas avoir de places. Pourtant, on ne fournit aucune information sur le nombre de places restantes, et il ne filtre que quelques indices murmurés de voisin à voisin. Les personnes âgées, qui elles aussi peuvent profiter tarifs avantageux, sont quant à elles contraintes d’attendre debout dans la foule, faute de places assises, ou de partir. En somme, tout semble mis en œuvre pour décourager l’attente. L’invitation lancée par le site de l’Opéra est, dès lors, moins attractive.

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Il existe des tarifs destinés aux jeunes de moins de 28 ans à l’Opéra. On peut acheter un « Pass’Jeunes ». Il coûte 20 euros et sert de coupe-file. Il permet d’acheter sa place à 20 euros, 30 minutes avant le début de la représentation. Ou si l’on ne possède pas ce pass, on peut payer son billet 25 euros, 15 minutes avant le début. Il faut, dans ces cas là, se presser pour ne pas manquer une partie du spectacle.

En conséquence, les spectateurs sont servis en fonction de l’ordre des files. Les « Pass’Jeunes » ont la priorité sur les autres jeunes, et les personnes âgées. Mais ils n’ont pas la priorité sur ceux qui achètent des places de dernières minutes, à plein tarif. Seules les places restant après une ultime liquidation peuvent donc revenir aux bénéficiaires de tarifs réduits. Ceux-ci attendent donc bien souvent pour rien. On rappelle que le taux de remplissage pour l’Opéra national de Paris est en 2008 de 93%. Ainsi, la place faite aux jeunes ne pouvant pas payer des places plein tarif est faible. Mais ce public se révèle particulièrement utile : il permet de minimiser les pertes, dans l'éventualité où quelques places n'auraient pas trouvé preneur.

Enfin, il faut rappeler qu’il existe un abonnement jeune. Contre 90 euros on peut assister à 3 opéras et 1 ballet ou, en payant 50 euros, à 4 spectacles de danse. Le problème étant que l’on choisit une formule prédéfinie, ce qui signifie que l’on ne choisit pas vraiment tous les spectacles que l’on veut voir. Au final, toutes ces formules sont peu lisibles et représentent un budget qui peut être important. En effet, si vous êtes un étudiant boursier comme 30% des étudiants depuis 2001, vous n’avez pas toujours les moyens de dépenser 40 euros (Pass’Jeunes + 1 représentation) ou 25 euros pour voir un Opéra. Que représentent 40 ou 25 euros ? Si l’on estime que le boursier touche 400 euros par mois, ça représente de 6 à 10% de son budget mensuel.

À l’inverse, le deuxième opéra national en terme de moyens, l’Opéra de Lyon, pratique une politique tarifaire plus attractive pour les jeunes, et propose un « Pass’Opéra Jeunes et solidarité » à 5 euros aux moins de 26 ans, offrant une réduction de 50% sur tous les Opéras en catégorie A et B. Celui-ci est en vente toute l’année, contrairement à l’Opéra national de Paris où le nombre de « Pass’Jeunes » est limité.

Un semblant de démocratisation

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Démocratiser, revient à favoriser une meilleure égalité dans les conditions d’accès à certains endroits ou certaines activités. Depuis le décret n° 94-111 du 5 février 1994 fixant le statut de l’Opéra national de Paris et réaffirmant la mission qu’avait l’Opéra de rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres du patrimoine lyrique et chorégraphique, les textes officiels et les rapports ministériels insistent sur la nécessaire démocratisation culturelle en France. On note des avancées, notamment la gratuité, depuis le 4 avril 2009, de 14 musées nationaux, pour les jeunes de moins de 26 ans, de la Communauté européenne, et les enseignants. Cette mesure faisait partie du plan de relance présenté en décembre 2008 par le président de la République Nicolas Sarkozy.

Pourtant certains lieux ne sont pas concernés par ces mesures d’ouverture. L’Opéra national de Paris est un établissement public dont les subventions accordées par l’État n’ont pas cessé d’augmenter, passant de 91,73 millions d’euros en 2003 à 103,34 millions d’euros en 2008, là où l’Opéra de Lyon ne reçoit que 15 millions. L’État est donc en partie responsable du statu quo excluant les publics moins favorisés. En effet, il a des moyens d’inciter l’Opéra a pratiquer une réelle démocratisation à destination d’un public de néophytes. C’est cette absence de réaction de l’État face à une politique scandaleuse envers les jeunes d’un point de vue de l’accueil ou encore de l’offre qui pose problème. Par conséquent il n’y a pas de démocratisation, car certains lieux sont des « pré-carrés » dont l’accès est réservé à une élite qui refuse d’être confondue avec le reste de la population. On estime que les moins fortunés n’ont pas besoin d’aller à l’Opéra puisqu’ils ont d’autres préoccupations. Par ailleurs, l’Opéra national de Paris a réalisé un bénéfice de 2,4 millions d’euros en 2008. On ne pourra pas arguer que c’est un manque de moyens qui ralentit une politique d’ouverture aux jeunes, par exemple. Pourquoi l’administration ne décide t-elle pas de financer un nombre de places réservés exclusivement aux jeunes à l’année ?

« La culture n’est pas un luxe, mais une nécessité. » Ces mots de l’écrivain chinois Gao Xingjian, exilé en France depuis les évènements de Tien An Men, prix Nobel de littérature en 2000, sonnent comme un appel. Lui, pour qui l’écriture est un moyen d’émancipation, nous rappelle que la culture est une condition de la liberté.


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