Présentation de l’éditeur :
("Je ne suis pas assez méchant pour me donner en exemple…")
Finira-t-on jamais de prendre parti "pour ou contre" Céline ? Lui-même n’a jamais su s’il devait se flageller ou se louer d’avoir répandu la peste et semé la discorde dans nos Lettres. "Si jamais je m’en sors, disait-il, je m’installerai dans une vitrine de la salle des pas - perdus de la gare Saint -Lazare, avec un écriteau disant simplement : "Le Con" ! ". Celui qu’André Gide appelait le "maboul" s’en est plutôt bien sorti, mais au prix d’une notoriété de Diogène infréquentable, d’imprécateur furieux et de fabulateur. On en oublierait presque l’écrivain, qui n’a pas d’équivalent, et le style, sans lequel il n’y aurait pas de scandale. Sa noirceur est si dense qu’on néglige l’humoriste. Seul demeure l’épouvantail, grimaçant à la postérité. Le Céline d’Emile Brami n’est pas un "autre" Céline. C’est Céline tel qu’en lui-même, raconté par ceux qui l’ont connu, par ses romans, par ses pamphlets, par ses lettres, par ses lecteurs. De sa mort en 1961 à sa naissance en 1894, à l’aide de témoignages et de textes rares ou inédits, Emile Brami brosse un Céline à rebours du temps et des lieux communs, tour à tour génial, pitoyable ou hideux Dr Destouches et M. Céline, ange et démon de notre littérature
Emile Brami, né en 1950, a découvert Céline à l’âge de dix-sept ans. Aujourd’hui, sa librairie parisienne, presque entièrement consacrée à l’auteur du Voyage au bout de la nuit, est un des hauts lieux de la Célinie. Ecrivain, il est l’auteur de deux romans, Histoire de la poupée et Art brut, parus aux éditions Ecriture. Pour les besoins de ce livre, il a interviewé vingt témoins, parmi les derniers à avoir connu Céline.
Extrait de l’avant-propos :
"Il ne s’agit ni d’un exercice d’admiration béate – je ne suis l’inconditionnel de personne et, si l’écrivain me touche au plus profond, je reste réservé sur l’homme –, ni d’un essai – aucune thèse n’est défendue ici –, ni d’un portrait – il en existe d’excellents, Céline lui-même s’étant dépeint mieux que personne dans sa pièce L’Église : "Bardamu, docteur en médecine, Français […], intelligent… artiste, scientifiquement médiocre, administrativement nul, individualiste, peu recommandable." Bien plus tard, dans son témoignage pour les Cahiers de l’Herne, Marcel Brochard, son ami des années rennaises, se souviendra d’un homme "effarant de curiosité, versatile, blagueur, grossier, irritable, mythomane et génial !".
Faute de mieux, j’ai choisi d’appeler ce texte "promenade" ; j’aurais préféré "balade", mais la confusion était possible avec "ballade" qui a un autre sens en littérature. Une promenade, donc, le nez en l’air, avec quelques détours qui, s’ils peuvent paraître inutiles, sont bien agréables, et des raccourcis où l’on se perd. À travers un mélange de lectures désordonnées, rien d’autre que le regard subjectif d’un dilettante sur une époque, une vie, une œuvre.
Pour être honnête, il me faut avouer que, comme les bersagliers, j’arrive après la bataille. Michel Cournot a écrit une vie de Céline définitive. Ramassée, pertinente, d’une minutieuse précision : "Guérisseur français, Céline a inventé Hitler, la prose à décollage vertical, la querelle sino-soviétique et le dialogue à cyclotrons. N’ayant pu empêcher son disciple Henry Miller de piquer la bombe atomique aux Allemands qui n’osaient pas s’en servir, Céline se retrouva dans le mauvais gang, et fut déporté à Vitebsk par le patriote Ludwig Aragon. Il n’en profita pas pour s’embourgeoiser, comme Giono et Montherlant. Écrivain plutôt libéral, Céline a surtout écrit l’œuvre complète de Jean-Paul Sartre, excepté Les Mots qui sont un posthume de Flaubert enfant. Ayant découvert que la littérature est, au vingtième siècle, une survivance, Céline fit le mort, disparut. Il est aujourd’hui, par pure méchanceté, pilote dans l’aviation nord-vietnamienne, à bord d’un sabre supersonique offert par son rédempteur, M. Jean Paulhan." Outre sa qualité, cette biographie pose le problème de la méchanceté de Céline, et donc du titre de notre "promenade".
" Je ne suis pas assez méchant pour me donner en exemple ", extrait d’une lettre du 3 octobre 1932 adressée à sa maîtresse Cillie Pam, me semble, avec l’ironie propre au personnage, approcher si possible l’opaque, l’insaisissable Louis-Ferdinand qui, aux dernières nouvelles, aurait abandonné son avion de chasse démodé pour se transformer en virus épidémique, pernicieux, infectant la majeure partie du journalisme et du roman français d’aujourd’hui.
Une passionnante biographie à rebours de Céline (de sa mort à sa naissance) où Emile Brami, en documentaliste chevronné, a compulsé une somme, un kaléidoscope de citations de Céline et des différents protagonistes qui ont croisés sa route tout au long de sa vie, tout en les replaçant dans leur contexte. Les invectives de Céline, savoureuses, terribles mais souvent drôles, parsèment cette promenade.
Gide qui surnommé Céline : « Le maboul », était très loin du compte. Jamais 22 euros n’auront été aussi bien dépensés. Une référence.
Editions Ecriture (2003) - 429 pages