Magazine Cinéma
L’innocence enfantine perdue dans la forêt des problèmes d’adultes
Publié le 15 décembre 2009 par BoustouneLassés de leurs incessantes querelles, les parents de Yuki décident de se séparer. Cela arrive malheureusement dans de nombreuses familles, occasionnant souvent un traumatisme plus ou moins profond chez les enfants ainsi écartelés entre leur père et leur mère. Mais dans le cas de cette fillette de neuf ans, la situation est encore plus complexe. Elle est en effet née d’un père français et d’une mère japonaise, et cette dernière s’apprête à retourner vivre au Japon, avec la petite fille, dont elle a obtenu la garde. Pour Yuki, cela signifie partir vivre dans un pays et une culture qui lui sont relativement étrangers, abandonner derrière elle son père mais aussi Nina, sa meilleure amie. Un véritable crève-cœur pour les deux gamines… Alors elles sont prêtes à tout pour empêcher cette séparation, y compris à fuguer…
Le projet Yuki & Nina est né d’une discussion entre le comédien Hippolyte Girardot et le cinéaste japonais Nobuhiro Suwa. Ensemble, ils ont imaginé une histoire de séparation, de divorce, de déracinement et de filiation – des thèmes chers au réalisateur nippon - mais vue du début à la fin par le prisme d’un regard d’enfant. L’idée, assez originale, n’a été que peu exploitée à l’écran jusque là et ne pouvait que séduire ces deux personnalités atypiques, qui aiment se lancer dans des expériences cinématographiques hors normes.
Une idée de défi créatif qui se retrouve aussi dans la décision de coréaliser le film. A priori, rien d’extraordinaire. On ne compte plus les cinéastes qui opèrent en tandem de façon harmonieuse. Mais la collaboration entre deux réalisateurs de nationalités différentes est autrement plus rare et complexe. D’autant qu’ici, les deux auteurs ont encadré simultanément le tournage - chacun se répartissant les rôles en fonction de son expérience et de ses capacités linguistiques - mais ils ont aussi effectué le montage chacun de leur côté, confrontant leurs propres visions de l’œuvre.
Ce film à quatre mains souffre parfois de ce choc des cultures et des points de vue de mise en scène, qui génère d’étranges variations de rythme et de tons. Mais il s’en nourrit aussi, puisque la démarche créatrice, ballottée entre deux univers très différents, deux styles opposés, symbolise parfaitement les interrogations de la petite Yuki, prise entre deux feux, deux pays, deux vies…
La première partie, menée comme une petite comédie fraîche et légère où pointe ça et là une profonde mélancolie, est la plus touchante. On y voit les deux gamines espiègles tenter de rabibocher les parents de Yuki à leur façon, naïve et imaginative. Par exemple en écrivant une lettre anonyme qui invite les deux adultes à se réconcilier… Lettre que la mère de Yuki découvre avec les larmes aux yeux, désarmée par ce mélange d’insouciance et de douleur qu’elle perçoit chez sa fille, principale victime de l’échec de son mariage. Une des plus subtiles scènes du film est d’ailleurs celle où lors d’un des derniers repas réunissant cette cellule familiale en pleine déconfiture, les parents laissent éclater leurs divergences et quittent la table, y abandonnant Yuki. Le plan fixe qui s’attarde sur la fillette montre l’immense sentiment de solitude éprouvé par cette petite chose perdue dans une querelle d’adultes qui lui semble totalement aberrante, absurde, incompréhensible.
Puis le ton change lors d’une seconde partie plus contemplative, plus mystérieuse, où Nina entraîne Yuki dans une fugue en forêt, loin des problèmes des adultes.
La traversée de la forêt retrouve ici la fonction symbolique qu’elle occupe dans certains contes de fées. Elle correspond à une épreuve initiatique, une façon de surmonter ses peurs et de renaître sous une autre forme, plus aguerrie, plus forte. C’est pour Yuki la transition entre deux univers, la France et le Japon, le trouble d’un couple en pleine explosion et l’apaisement procuré par la découverte d’une nouvelle cellule familiale, l’innocence enfantine et le début de la maturité adolescente…
Cette seconde moitié du film risque fort de paraître un peu moins convaincante. Trop lente et, selon les goûts, trop ou insuffisamment abstraite. Dommage, car le choix de basculer dans une sorte de dérive onirique était des plus audacieux. Les réalisateurs évoquent pêle-mêle, le voyage de Chihiro (pour le côté fable initiatique, sans le bestiaire monstrueux et la folie baroque), la forêt de Mogari (où la forêt permet d’accepter l’idée d’une rupture, d’une forme de deuil) ou « Kafka sur le rivage », l’excellent roman d’Haruki Murakami, mais ils peinent à conférer à leur film une densité comparable aux œuvres précitées.
Du coup, même si la conclusion s’avère subtile et délicate, on reste un peu sur notre faim, un peu décontenancés par la trop grande disparité entre les deux voies narratives adoptées par les cinéastes. On devine sans peine qu’Hippolyte Girardot a plus pesé sur la première moitié de l’œuvre, celle tournée en France. Dynamique, spontanée, la mise en scène lui ressemble un peu. Et on imagine très bien Nobuhiro Suwa à la baguette lors de la seconde moitié – tournée au Japon – au rythme plus posé, qui multiplie les plans fixe et mutiques.
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2009, Yuki & Nina n’a pas fait l’unanimité au sein d’un public légèrement décontenancé par le dispositif assez curieux, presque expérimental de Suwa et Girardot. En revanche, les deux comédiennes principales, Noë Sampy (Yuki) et Arielle Moutel (Nina), ont su, elles, rallier tous les suffrages et toucher les spectateurs par leur candeur et leur complicité. Pour elles, et pour quelques scènes très réussies, Yuki & Nina mérite le coup d’œil…
Note :