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"Enfermés dehors" d'Albert Dupontel

Par Pfa

« La société est bien faite ; elle a mis des uniformes aux connards pour qu’on puisse les reconnaître. » : slogan provoc’ pour un tee-shirt promotionnel, paradoxal, à l’occasion de la sortie dvd de Bernie. Cela tombe bien, un uniforme, le nouveau « héros » - ou plutôt le nouveau « paumé » - d’Albert Dupontel en a trouvé un, celui d’un flic. Après s’être rempli la panse à la cantine de la police, le justicier-gaffeur court sauver la veuve et l’orphelin, ou plutôt une ancienne hardeuse reconvertie en vendeuse de sex-shop et sa fille, enlevée par des beaux-parents réac’.

On s’attendait à la vue de la bande-annonce, très efficace, à un pamphlet sur les bavures policières et l’hypocrisie de notre société face à l’exclusion des miséreux ; ce n’est pas tout à fait le cas. Enfermés dehors nous surprend, se révélant beaucoup moins «hargneux» qu’il ne le laissait présager, et nous déçoit donc, au moins partiellement, en nous présentant le «sale gosse» Dupontel sous un jour nouveau. Son long-métrage mixe fable et satire sociale, se montre tour à tour poétique, drôle et déjanté, alterne naïveté et trash, fait se succéder musique «de cirque» un peu désuète et hard rock, oscille entre minimalisme et outrances visuelles.

Le film laisse l’impression que le cinéaste, tel un délinquant espiègle, culpabilise après chaque mauvais coup - certaines scènes politiquement incorrectes - de peur de se faire gronder. Ce ne sont pas son intégrité artistique, ou même sa sincérité, qui sont remises en cause, mais le manque de spontanéité dont souffre son film, comme si son audace était calculée ou retenue, non pas dans une logique opportuniste, mais dans le sens d’un souci permanent de ne pas franchir certaines limites autorisées. Auparavant, le metteur en scène nous avait apporté la preuve avec Bernie qu’il ne reculait devant rien ; il semble qu’il se soit depuis assagi, ou du moins qu’il ait évolué. Les quelques « pics » contestataires restent trop rares et dans l’ensemble trop timides, à l’exception de quelques éclairs de génie provocateur, pour que le film prenne une réelle dimension subversive, ainsi qu’une véritable portée critique.

Il est par ailleurs dommageable que le réalisateur ait jugé bon de parasiter son récit avec des gags scabreux, le plus souvent galvaudés, ayant trait au porno ; ils font tout au plus sourire, trop sages pour réellement choquer. Le film semble vouloir s’aventurer dans trop de directions différentes, ce qui a pour conséquence d’amoindrir la force de son propos et de dénaturer son sujet principal.

Restent néanmoins quelques trouvailles bien envoyées et particulièrement jubilatoires : le sans-abris qui se fait appeler Youssouf parce que « c’est plus dans le vent » et qu’il ne risque pas l’expulsion vers l’Afrique, le PDG qui, sous l’emprise d’hallucinations, se voit lynché par les protagonistes de campagnes publicitaires qui prennent littéralement vie, la reconstitution d’un commissariat dans un squat avec des clochards à la place des policiers, ou encore la réplique savoureuse de Claude Perron au flic analphabète interprété par Gustave Kervern : « Coquelicot avec un C comme dans crétin, connard ou couillon ».

Si la caricature est bien évidemment assumée et constitue un choix tout à fait légitime dans la volonté d’émettre une critique sociale, elle ne justifie pas pour autant les faiblesses scénaristiques et les raccourcis simplistes qui émaillent le récit. Le monologue (trop) explicatif du Lieutenant campé par Serge Riaboukine sur la corruption et les dérives du capitalisme sonne tel un discours bien éculé. Le message aurait mérité d’être délivré de manière plus nuancée, et par des voies autrement plus subtiles. De même, si le film repose en partie sur les ressorts de la fable, qui s’appuie par définition sur une intrigue sommaire, le cinéaste aurait quand même dû se donner la peine d’élaborer un récit un tant soit peu complexe, et traversé de péripéties davantage variées. Ces défauts font regretter qu’Albert Dupontel n’ait pas su tirer tout le potentiel de son postulat de départ extrêmement prometteur - un SDF en costume de flic - et laisse par conséquent le spectateur un peu sur sa faim. Au final, ce croisement a priori contre-nature de fable et de satire se révèle intéressant mais inégal. Le résultat demeure inabouti faute d’une vision plus ambitieuse. Enfermés dehors apparaît tel un objet bizarre, à la démarche incertaine et contrariée, tiraillé entre poésie et provocation.

Le cinéaste s’est beaucoup revendiqué, durant la promotion intensive de son film, de l’influence de Charles Chaplin qui apparaît de manière très nette, notamment à travers la scène « magique » où Roland fait la circulation dans le ciel entre les nuages, les oiseaux et les avions. L’acteur-réalisateur français s’inscrit plus largement dans la tradition du slapstick par les multiples acrobaties de son personnage, et particulièrement celle qui le suspend dans le vide au bout d’une antenne télé. Enfermés dehors doit également beaucoup à Jean Yanne dont il partage le même humour, il est vrai, pas toujours très fin, mais aussi ses thèmes de prédilection : « le pognon et le cul ». Le choix du titre est à cet égard dans la plus pure lignée du style « bête et méchant » de Jean Yanne : Chobizenesse, Les Chinois à Paris, Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil… Les délires «cartoonesque» et «clipesques» semblent quant à eux directement inspirés, tout comme certains traits vulgaires, du Jan Kounen de Dobermann et de Gisèle Kérozène. Les répliques renouent avec le vocabulaire « fleuri » et un sens de l’absurde proche de l’univers de Bertrand Blier, du Coup de Torchon de Bertrand Tavernier ou même de Série noire d’Alain Corneau. Enfermés dehors se pose d’ailleurs ouvertement comme un film de famille(s). Outre Claude Perron, Hélène Vincent et Roland Bertin qui figuraient déjà au générique de Bernie, l’ex-trublion de Canal + a réuni ses anciens comparses de la petite lucarne : des Deschiens aux Grolandais, en passant par Jackie Berroyer. Il s’offre même le luxe d’un caméo des deux Monty Python, Terry Jones et Terry Gilliam, qui - à n’en pas douter - figurent en bonne place parmi ses modèles.

Le comédien Dupontel s’en donne visiblement à cœur joie dans la peau, une nouvelle fois, d’un clown marginal. Le couple Hélène Vincent / Roland Bertin fonctionne à merveille en kidnappeurs improvisés qui souhaitent préserver leur petite fille de l’influence jugée néfaste de leur bru aux mœurs légères. Nicolas Marié est génialement ignoble en businessman sans scrupules qui disjoncte, en quête d’une rédemption. Une mention spéciale sera accordée à Yolande Moreau, Bouli Lanners et Bruno Lochet qui prêtent leur traits à une bande de clochards hauts en couleurs.

Enfermés dehors s’offre comme un divertissement sans grande prétention qui permet de passer un agréable moment, et qui malgré les quelques réserves exprimées plus haut, se classe bien au-dessus du lot commun des productions dites « populaires » - comme s’il s’agissait du synonyme de « formatées » et d’« aseptisées » - de la comédie française. Albert Dupontel sait exprimer à travers son film une véritable personnalité, un style tout à fait singulier et a le mérite de s’intéresser à des milieux sociaux relativement peu représentés dans le cinéma actuel, et a fortiori dans le genre comique.

Enfermés dehors. France. 2005. Réalisation : Albert Dupontel. Scénario : Albert Dupontel. Image : Benoît Debie. Montage : Richard Leclers et Christophe Pinel. Musique originale : Alain Raval. Interprétation : Albert Dupontel (Roland), Claude Perron (Marie), Nicolas Marié (Duval-Riché), Hélène Vincent (Mme Duval), Roland Bertin (M. Duval), Yolande Moreau (Gina). Durée : 1 h 30 min. Sortie en salles : 5 avril 2006.


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