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Lettre à Anna Gavalda

Par Albrizzi
Chère Anna,

Votre échappée belle a fait naître au fond de moi une envie d'école buissonnière. Journalistiquement parlant, ce serait par exemple bouleverser les codes en m'adressant à vous, au lieu d'écrire une critique. L'échappée belle, l'expression est follement poétique, le titre déjà magnifique avant même d'avoir ouvert le livre. L'incitation est là, dans cette juxtaposition légèrement incongrue et sagement diabolique. On sent qu'il y aura de la transgression, de l'air, de l'air.

S’échapper ? C'est à la fois s’enfuir poliment d'un cocktail et s’extirper d'une situation inconfortable, partir au loin, quitter quelqu'un, abandonner un domicile ou un bureau, s’évader d'une prison, se sauver pour se préserver et renaître…
Parfois, il faut savoir s’éclipser.
Vos personnages fuient, mais ils ne le font pas lâchement, c’est peut-être pour cela qu’on les aime et qu’on les comprend ! Le jour du mariage d'un cousin, Simon, Lola et Garance, deux sœurs et un frère, prennent la poudre d’escampette, discrètement, sans esclandre, lorsque tout le monde est à la messe. Dépités de constater que leur benjamin, le quatrième lascar, n’est pas au rendez-vous, ils décident d’aller le rejoindre dans son château. Ils plantent Carine, la belle-sœur pharmacienne toujours tirée à quatre épingles et de mauvaise humeur, et retombent en enfance le temps d’un week-end. Au château, les vrais propriétaires se sont fait la malle (eux aussi !), et Vincent joue à l’aristocrate désargenté. Affublé d’un blaser élimé et de boutons de manchettes, il guide d’une voix de preux chevalier, les touristes avides de contes, de princesses et de princes charmants.Douceur et fantaisie : les pages s'enchaînent, c'est faussement simple, cousu main, léger. Parfois, en deux phrases, vous réussissez à plomber l'ambiance, dans l'habitacle de cette voiture, la vie se charge soudain de nuages noirs, l'orage éclate et le ciel redevient bleu dans la seconde d'après.

Avec vos dialogues affutés comme des mines de crayons de couleurs, vous dessinez les contours de personnages qui pourraient être nous.
Par quel miracle, sinon celui que l'on appelle la littérature, ces quatre frères et sœurs deviennent mes frères et moi? Pourquoi votre plume suscite un tel engouement? Parce que vous êtes honnête, entière, derrière chacune de vos créations. Parce qu'avec un minimum de mots, vous en dites un maximum.

Votre échappée est un chant d'amour à toutes les fratries du monde, un "je t'aime" entre frères et sœurs, une bouffée de nostalgie sur les années d'enfance perdue. Comment fait-on pour vivre si loin d'eux, pour se contenter de les appeler une fois par semaine, parfois moins, pour ne les voir que deux fois par an, parce qu'ils voguent loin aux quatre coins du monde ? Comment les consoler lorsqu'ils sont seuls, comment leur dire qu'ils nous manquent quand il est quatre heure du matin pour eux, et dix heures pour soi ? Comme Lola et Garance, je voudrais les kidnapper et les garder pour moi toute seule, virer leur moitié et la mienne, empêcher les autres de s'immiscer dans notre cercle. Mes frères sont ma famille et mes amis; l'échappée belle me parle d'eux à chaque page. Vous avez réussi la prouesse de me donner de leurs nouvelles, alors que vous ne les avez jamais rencontrés. Jusqu'à la taille de ce petit texte, cette échappée fut une parenthèse enchantée au cœur de mes lectures.

Nathalie

Le Dilettante, 164 p., 10 euros.



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