Si j’avais lu tous les livres que j’ai commencés, tous les livres dont la couverture m’a arrêté, tous les livres dont la quatrième de couverture m’a paru alléchante, tous les livres que j’ai feuilletés en pensant que l’auteur savait créer un climat de lecture, tous les livres dont j’ai zakouské le premier paragraphe en faisant la queue devant la caisse, ou devant la table d’enregistrement de la médiathèque municipale, si je les avais lus, je serais l’auteur le plus cultivé des salons du livre. Encore plus imbuvable que moi, encore plus insupportable que tous les auteurs de la planète blog.
Mais je vais rarement jusqu’au bout des livres que je commence : je n’atteins la dernière page qu’une fois sur trois ou sur quatre. Parce que j’aime lire, sauf quand je n’aime pas. La lecture est un plaisir trop jouissif pour être trouvé dans la douleur.
Un des professeurs que j’ai le plus apprécié dans ma jeunesse nous recommandait chaleureusement de ne jamais nous forcer à lire. Il nous demandait simplement de savoir parler des grands livres qu’on n’avait pas lus, en quelques idées simples et fortes, afin d’éviter de passer pour un inculte. Il n’y avait chez lui aucun cynisme, il aimait vraiment la littérature et savait nous la faire aimer. Les livres du programme, nous les lisions quand même, mais c’était surtout pour le plaisir d’en discuter avec lui.
Des années plus tard, j’ai retrouvé la même prescription chez J.L. Borges d’arrêter toute lecture, si elle s’effectuait sans plaisir : « Si le livre ne vous plaît pas, c’est que vous n’êtes pas mûr pour lui ; refermez-le et retrouvez-le quelques années plus tard » (Je cite de mémoire).
J’ai mis en pratique leurs préceptes. Je continue à éprouver le même plaisir chaque fois que je referme un livre. Celui d’abandonner des personnages en pleine campagne, hop, ils n’existent plus ! Ils m’ennuyaient, je les ai tués. Mais le plus vif plaisir, c’est l’idée de pouvoir commencer plus vite un autre livre.
Je sors d’une semaine bizarre : un peu trop de bonnes pioches, ça fausse les statistiques.
Alexis, lui, non. Ne se dérobait jamais. Lui tendait son cartable et mangeait son goûter de l’autre, la vacante, en s’éloignant vers la place du Marché.
Alexis, avec son extraterrestre en talonnettes, son monstre de foire, son bouffon des primaires, se sentaoit plus en sécurité que moi, et mieux aimé.
Croyais-je.
Je ne me voyais pas lire 637 pages du même tonneau. Au suivant !
Au suivant !
Au suivant !
A la fin de la deuxième nuit, j’étais triste de passer au suivant.
Au suivant !
Au suivant ! il fallait bien.
Contrebande, d’Enrique Serpa. J’ai arrêté à la page 47. C’est pourtant très bien, mais j’étais encore dans le livre précédent : deux auteurs latino-américains en suivant, ça crée des interférences. Je le reprendrai quand j’aurai choisi.
Ah, et Mythologies d’hiver, de Pierre Michon. J’allais l’oublier ! Je vous en reparlerai un autre jour, ce billet est déjà bien trop long.
Avant de m’en aller, je tiens à rendre hommage au visiteur qui est arrivé avec la requête : « Comment débuter le début d’un roman ». Il avance à petits pas prudents dans l’écriture. Il va revenir, je le sens. Je prépare pour lui un billet « Comment finir finalement la fin d’un roman ».