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Gabriel Matzneff, Comme le feu mêlé d’aromates

Par Argoul

Pour cette semaine dédiée aux croyances, une originalité : Matzneff.

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Le libertin écrit sur la religion, sans que cela soit en contradiction. Ses textes ont un triple mérite : ils sont très bien écrits, ils sont courts et ils vont droit au but. L’ensemble est intitulé « récit » parce que Matzneff, sur les exemples illustres du Christ, de Montaigne et de Nietzsche, ne pense qu’en vivant et non en spéculant. Il fait même du moment Hegel (et de ses suites) l’erreur de la philosophie occidentale, ce qui a fait perdre son âme à l’Occident. Le feu, c’est la foi, ce Christ dans lequel il faut plonger pour s’y noyer ; mais pas sans le mêler d’aromates, ces épices de l’existence terrestre qui n’est pas exigée austère. Sauf par les innocents qui n’ont jamais vécu, ou par les tartuffes qui cherchent toujours la poutre dans l’œil des voisins pour se sentir vertueux. Dieu se transforme comme le feu mêlé d’aromates, parole d’Héraclite.

Gabriel, au prénom d’archange, a la foi d’un païen. Double casquette, en alternance, il est humain qui aspire au divin. « Erotisme et orthodoxie viennent en Grèce, berceau de notre foi » - « D’où ma passion d’accorder Vénus et Jésus-Christ » p.34. Le sexe n’est pas la totalité d’une religion, loin de là ! Pourquoi faut-il que le christianisme ne survive désormais que par ses interdits sexuels ? Cette question de 1969, date de parution du livre, est moins d’actualité 40 ans plus tard, où les Charismatiques et autres revivalistes ont renouvelé le Message. « Pour moi, écrit Matzneff (et on le suit volontiers), participer aux sacrements de l’Eglise et faire l’amour me donnent le même sentiment de plénitude divino-humaine » p.43. Et de citer la sainte Thérèse du Bernin, extatique d’être frappée où il faut par l’ange, ou saint Antoine de Padoue de Guardi « qui, avec ses yeux révulsés, son petit doigt en l’air et les anges au cul nu qui le serrent amoureusement, est peut-être en train de monter au ciel, mais sûrement pas au sens ecclésiastique du terme » p.75.

Le rire, propre de l’homme, est une bénédiction ; trop de sérieux engendre toutes les inquisitions. Car « Le mal n’est pas la sensualité, comme le croient les rabougris ; le mal, c’est la pesanteur, et le diable est appelé avec raison ‘l’esprit de lourdeur’ par les Pères du désert… » p.87. Il faut être léger au sens d’être disponible, libéré des aliénations et pesanteurs matérielles, « refuser les chaînes, y compris celles de la notoriété, qui doit être un plaisir et non une corvée ; se souvenir que ce sont nos ‘proches’ qui ont la rage de nous assujettir à des devoirs qu’ils se sont forgé et dont ils conçoivent mal que nous ne voulions pas » p.88. « Pour prétendre réformer le monde, il faut déjà s’être réformé soi (…) Or nos réformateurs ne sont rien moins que des âmes de lumière et ce n’est que pour échapper à leurs propres ténèbres qu’ils se jettent dans un activisme ‘révolutionnaire’ dont la phraséologie masque mal le néant. Tous ces gens ne vont chercher leurs raisons à la Chine que parce qu’ils ne les trouvent pas en eux-mêmes et ne font tant de bruit que parce qu’ils sont vides » p.119.

Les athées ou les gnostiques devraient lire ce livre qui expose les doutes et les merveilles d’une foi humaine. « Car – si Dieu existe – rien ne lui est plus doux que la vue d’un homme qui sait aimer la beauté des êtres, des idées et des choses, et la savourer » p.140. Les Chrétiens et surtout les Catholiques devraient lire ce livre, qui donne du Christ une autre image – plus vaste, plus lumineuse – de la même foi. Je m’en suis délecté car ce sont moins les idées qui comptent que la manière de les dire. Un auteur est lu pour son style plus que pour ce qu’il dit. Gabriel Matzneff est pétri de contradictions, comme nous tous, ou du moins ceux qui ne se voilent pas la face en se drapant de vertu affichée. Pour cela aussi, ce court essai mérite d’être lu, 40 ans après sa parution. Comme le bon vin, le temps l’a bonifié.

Gabriel Matzneff, Comme le feu mêlé d’aromates, 1969, réédition 2008, Petite Vermillon, La Table Ronde poche, 175 pages, 7€


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