Samedi 8 Août 2009. C’est l’avant dernier soir de la 39ème édition du Festival Interceltique de Lorient, et le dernier soir dans son pays avant un an, pour un certain Breton. Présence obligatoire, donc, afin de dire au revoir à ce cher pays comme il se doit. Dans le sac à dos : gobelets en plastique, reste de cubi de Cabernet, quelques bières bon marché… Juste ce qu’il faut pour passer une bonne soirée… sans compter sur les forces de l’ordre. Une nuit mouvementée, par Joran Le Stradic.
Sur place, retrouvailles avec trois alcoolytes qui ne prendront pas racine : l’un d’eux est… trop fatigué, dirons-nous… Je me retrouve donc seul, a priori. Mais dans « Festival Interceltique de Lorient », il y a « festival », « celte », et « Lorient ». Soit trois bonnes raisons de trouver des vieux potes ou de s’en faire des nouveaux.
Bref, d’une rue à l’autre, d’un verre à l’autre, la soirée s’écoule, et on se retrouve sans trop comprendre comment, à 3h du mat’, sur les quais, nez à nez (ou plutôt « nez à casque ») avec un mur de CRS. Car c’est la règle désormais, passé 3h, les festivaliers doivent « évacuer » le centre ville et « se disperser ».
Nous avançons donc docilement, tels des moutons poussés par des bergers et leurs chiens, dans la direction que pointent les bâtons des bergers (ici, on ne parle pas de saucisson mais de tonfas). Quand ils pointent une direction. Parce que ces grands enfants aiment jouer aux Tortues Ninja/Jackie Chan/Power Rangers (rayez la mention inutile en fonction de votre enfance) en faisant tournoyer leur ustensile. Moi aussi quand j’étais petit je jouais à Michelangelo avec mon nunchaku en plastique, mais on ne m’a jamais payé pour. Enfin bon.
Ce soir, ça s’annonce plutôt bien : la procession est relativement pacifique jusqu’au point stratégique de la place de l’Hôtel de Ville, dite « du Mac Do ». Quand je dis « plutôt bien », il faut comprendre « mois pire que la dernière fois ». Trois jours plus tôt, même endroit, même heure, le vélo d’un type recevait des violents coups de pieds et de bâtons pour le motif évident que le dit type ne poussait pas sa bicyclette assez rapidement, selon le radar des forces armées.
Au même moment, un athlétique jeune homme s’entrainait courageusement au 100m sprint, tandis que deux hommes de bleu vêtus (probablement les entraineurs de notre sportif) voulaient à tout prix lui faire pratiquer le relai, vu les efforts déployés pour tenter de donner leurs bâtons au coureur. Mais ils ne doivent pas être très malins comme entraineurs pour croire qu’on peut attraper un bâton avec la tête. Ou alors peut-être que c’est moi qui me trompe et que ce n’étaient pas des sportifs… Enfin bon…
On avait aussi eu droit à une démonstration de maitre chien vachement impressionnante : la scène classique du type qui se fait plaquer à terre par deux canidés germaniques, mais là, il ne portait même pas d’équipement de protection en mousse ! Balèze j’vous dis. M’enfin les chiens étaient muselés quand même, hein, moi j’l'ai bien vu le truc. Il suffit d’être un peu cascadeur et puis t’as presque pas mal.
Mais bon, comme je le disais, aucun numéro de cirque ce soir, les gens sont évacués correctement jusqu’au Mac Do. Et là, les CRS ne vont pas vraiment plus loin, parce qu’ils ne sont pas assez nombreux pour couvrir toutes les rues qui s’ouvrent devant eux. Mais s’ils ne vont pas plus loin, nous non plus. Je n’ai nulle part ou aller de toutes façons. Il est 4h du mat’, et j’ai un train à prendre a 8h pour Paris. Je vais donc passer la nuit dans la rue avec les gens que je trouverai : du clodo a la petite racaille en passant par les teuffeurs et les Écossais roux, toute âme qui vive est un compagnon d’errance potentiel.
Mais je n’en suis pas encore là : pour le moment, il y a encore une foule de gens qui observent les CRS (ou l’inverse, là, honnêtement, je ne sais pas…). Alors bon, je discute avec les gens autour de moi, tranquillement à base de tranquillade, quand tout à coup, stupeur et torréfaction ! Le volume sonore du côté de la mairie augmente drastiquement ! Un groupe de CRS charge en direction de la foule. Cris, course à pied, pieds et bâtons dans la gueule, gueule en sang, sans pitié, t’y es pour rien mais tu prends quand même.
C’était une frappe éclair. Pour l’exemple probablement. La foule n’approuve pas. Huées. Sifflements. Puis le fameux « CRS, SS ! » retentit juste à côté de moi. Alors un « pote » rencontré peu avant, du style survet’ Airness, TN aux pieds, rappeur en freelance et smicard en puissance, gentil comme pas deux et loin d’être un con, réplique : « Arrêtez les gars, ‘faut pas dire des conneries comme ça, ils sont pas tous cons les flics, il y en a des bien. Evitez les généralités, vous n’aimez pas quand on dit que les jeunes c’est tous des délinquants alors dites pas que les flics sont des SS. »
Un type bien, j’vous dis.
Pourtant, moins de deux minutes plus tard, lorsque les CRS s’élancent dans notre direction, en nous ordonnant de reculer et en usant de la lacrymo pour qu’on comprenne mieux (finalement, c’est pas vraiment pire que quand j’avais sniffé la poivrière étant gosse pour « voir comment ca fait »), le pote n’aura pas le temps de finir de formuler sa question : « OK, on va reculer, dites-nous jusqu’où et on ira là-bas. »
En effet, il serra vite interrompu par un bon coup de tonfa, qui comme tout le monde le sait, est une réponse parfaitement adéquate dans toute discussion entre gens civilisés. Etant un peu bavards, les « bleus » lui assèneront encore quelques répliques poignantes avant qu’il n’arrive à se relever et a fuir cette conversation stérile.
Chance pour moi, j’ai réussi à reculer assez vite pour éviter de prendre part à ce débat, et je profite de ce recul pour porter un regard objectif sur les arguments violents que les CRS donnent aux citoyens. Merci Nikon Coolpix de m’aider a prendre des notes.
Mais alors que l’objectivité de mon objectif se pointait vers une jeune fille se faisant « manipuler » par cinq gens d’armes, une racaille à la tête plus rasée que moi, arborant un beau bombers en cuir, me tint à peu près ce langage (avec l’accent du 93 qui va bien) : « hey kestu prends des ph’tos là Police ! T’as une carte d’identité Police ? Roger ! Viens m’aider ! Mains contre le mur ! ».
Et je me retrouve propulsé contre la vitrine quelques mètres plus loin. Pas le temps d’expliquer aux deux lascars que la personne qui lave les vitres ne va pas être contente des traces de doigts sur la vitrine, je me retrouve avec les mains plaquées là et les pattes arrière écartées en moins de deux secondes.
Pendant que je leur explique que je n’ai pas mes papiers, leurs mains vident mes poches et mon sac. J’ajoute que je n’ai ni alcool ni cannabis ni toute autre substance illicite, qu’ils peuvent prendre ma carte SD s’ils veulent les photos, mais moi j’veux pas d’emmerde. Et puis je me pisse un peu dessus aussi quand même, il faut l’avouer…
Ils laissent tomber mes affaires dans mes poches tout en me bousculant vers les CRS qui arrivent et m’ordonnent de dégager.
La trajectoire qui m’a été donnée étant en contradiction avec tout espoir de survie, considérant la tripotée de CRS qui courent en ma direction, je rétablis rapidement mon équilibre, fait volte-face, prends mes jambes à mon cou, me rends compte que je ne peux pas courir dans cette stupide position et m’enfuis donc en courant de la manière la plus traditionnelle qu’il soit.
Profitant d’un peu de répit dans une ruelle non loin de là, mais assez pour être tranquille, je reprends mon souffle et mes esprits, et fais l’état des lieux de mon pantalon : pas de pisse, mais pas de portable non plus… Oh les stupides sagouins ! Je leur ai dit de prendre ma carte SD, et qu’est-ce qu’ils me font ? Ils me prennent mon portable ! Mais qu’est-ce qu’ils vont faire de mon portable noir et blanc de l’âge de pierre qui ne connaît même pas le mot photo ?
Alors bon, j’ai plus de portable, ce qui est fort emmerdant pour ma pomme, mais j’ai toujours mon appareil photo, et son contenu… Drôle de situation…
Enfin je finirai la nuit chez l’ami rappeur, qui s’en est sorti avec un peu de sang au bras, quelques beaux hématomes, mais ça va. « Putain, et moi qui était en train de les défendre, de dire que c’est pas tous des cons, et ils viennent me tabasser… » Monde de merde…