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2629 − 04. 08. 09
La communauté d’un groupe de
jeunes femmes que Sappho réunissait autour d’elles peut être envisagée de deux
points de vue opposés. Ou bien elle accueillait pour un temps, avant leur
mariage, des filles de maisons puissantes qu’on lui avait confiées ; elle les
initiait aux raffinements culturels de toute sorte de la vie aristocratique ;
cette préparation, et une méthode d’éducation distinctive seraient au centre,
sans qu’il faille donner trop de poids à l’organisation proprement pédagogique
et institutionnalisée. Ou bien, on admet que la poétesse, plus aimante
qu’éducatrice, réunissait autour d’elle des femmes qu’elle privilégiait, et
qu’elle avait attirées ; sa personnalité et son prestige social lui
permettaient de le faire dans un milieu et dans des circonstances propices.
Elle était comme un autre Homère, un Homère femme. La communauté serait exclusivement placée sous le signe de l’amour
entre femmes, ce qu’il n’est pas interdit de concevoir. Elle implique autant
qu’elle dépasse l’érotisme. Les deux options, que l’on juxtapose comme
expérimentalement, ne sont de toute évidence pas exclusives l’une de l’autre.
Les drames et les incidents sont les mêmes ; les séparations, douloureuses dans
l’un et l’autre cas. Les femmes se mariaient. Mais dans le second cas, le
statut exceptionnel de Sappho, la position, sûrement unique, qu’elle occupait,
l’admiration qu’elle suscitait, la reconnaissance dont elle jouissait de son
vivant, seraient plus fortement encore pris en considération. La pratique de
l’art l’emporte sur l’éducation. La femme s’affirmait, s’entourant d’amies
femmes. On apprenait librement à vivre ensemble, à s’épanouir, à lire et à
réciter, à chanter. Un cadre culturel s’y prêtait, créant ces conditions-là, autour d’une
présence éblouissante.
©Jean Bollack, publié par Tristan Hordé
Les X de Jean Bollack