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Max | Le papillon de Joseph

Publié le 01 janvier 2010 par Aragon

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Pourquoi à un moment donné surgit-elle ? Bizarre la parole. Faudrait avoir un talent de sourcier pour la faire jaillir chez les autres, chez mon père. Mon père qui a dû me parler 45 minutes, mises bout-à-bout en  mes presque 60 ans de vie.

Au tout début du mois de décembre dernier il me parle d'une anecdote que son père lui avait racontée. Vu que le pépé est mort en 1955, il y avait au minimum 54 ans que c'était bien au chaud entre les quatre murs de sa tronche à mon paternel. Que ça ne bougeait pas. Que ça attendait.

Histoire donc : Son père (à mon père), poilu, avait connu un instit des Landes, poilu himself en 14. Un lieutenant. Ils étaient officiers  d'office les lettrés de la grande boucherie. Cet homme, cet instit-lieutenant dont il ne se souvient plus du nom avait lui-même connu un homme dont le nom, lui, par contre,  est remonté miraculeusement à la surface après tout ce temps.

Après tout ce temps, oui. Il s'appelait Cantegrit cet homme (le grillon qui chante en patois). Joseph Cantegrit.

Il s'était confié au lieutenant qui était un homme de son pays en lui disant que comme il était intelligent parce qu'il était instituteur, il devait lui expliquer ce qu'il lui était arrivé en juillet 1910. Qui avait définitivement bouleversé sa vie.

Le Joseph avait 16 ans en juillet 1910. Il gardait les vaches ce jour-là. Petit père peinard, insouciant. L'été, soleil radieux, bestiaux ravis-gavés, un sentiment diffus de bien-être dans le coeur malgré la misère du temps d'alors. Il est assis dans l'herbe . Il est assis et un papillon se pose sur ses mains jointes, nouées sur le bâton de noisetier qu'il tient fermement. Il ne bouge pas, il regarde le papillon et c'est alors qu'il voit sa vie entre les battements réguliers des ailes de ce papillon qui, bien que posé, fait battre par instant ses ailes.

Il voit nettement tous les fragments de sa vie comme dans un kaléidoscope d'abord, comme dans un film ensuite. Tout défile et au bout d'un moment tout s'arrête. Le papillon n'a pas redécollé, il ne bat plus des ailes. Joseph le regarde un moment, ça dure. Puis il constate que le papillon est mort. Il a dans sa poche une boîte vide de pastilles "Pulmoll". Il le met dedans. Pourquoi ? Lui demandera le lieutenant, il ne saura répondre. Joseph dira au lieutenant que depuis sept ans (l'histoire se passe en 1917) la boîte "sent bon" quand il l'ouvre et ce n'est pas une odeur de pastilles. C'est comme un parfum. Le lieutenant constatera, dubitatif, une odeur forte de parfum ou d'encens quand il reniflera la boîte ouverte qui contient toujours le corps intact du papillon. Couleurs conservées, sept ans plus tard !

Évidemment il ne pourra apporter aucune réponse au Joseph qui refermera sa boîte déçu que l'instituteur ne puisse répondre à son interrogation. Il remettra la boîte de "Pulmoll" dans sa vareuse. L'instituteur reverra le loustic huit jours plus tard du côté de fort de Vaux. Enfin, il ne reverra que son "haut". Visage et haut du torse.

Le reste, avec le papillon dans sa boîte de "Pulmoll", une marmite de 105 en avait fait de la bouillie.


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