En marge des bilans d'une décennie qu'on n'a pas bien compris, et parce que démonter le présent reste un sacré pari sur l'avenir, Gonzaï s'arrête l'espace de quelques instants sur le pire des 2000's. Objets stupides, groupes éphémères, modes improbables et croyances absurdes, Gonzaï brule dix ans de vide rétro-futurisme, toutes les semaines et jusqu'au premier janvier 2010 (ou presque). Cette semaine, Bester raconte ses années télé.
Dans les années 2000, tout devait changer. Vous l'avez tous entendu, c'était sur toutes les lèvres, dans tous les canons cathodiques, on allait tous consommer différemment, arrêter de jouer à saute-mouton de Panurge, ne plus se faire prendre pour un con, parce qu'on était devenu citoyen du monde. Et puis subitement, au milieu des 00's, Satan a retrouvé la télécommande sous un coussin, et même plus besoin d'inverser les chiffres : M6(66).
Trop facile les années 2000, pour Satan. On pourrait s'étendre en essais sociologiques sur ces années du rien (« La décade perdue » titrait voilà quelques jours Der Spiegel) qu'on n'expliquerait pas plus aisément comment une chaine pilotée par des clowns en costumes rayés est parvenue en moins de dix ans à kidnapper le cerveau de soixante millions de français. On pourrait aussi dire qu'on a traversé la décennie comme des téléspectateurs à la recherche du néant. On pourrait également regretter l'arrêt de la musique (le but initial de la chaine, en 1987), taper sur la télé-réalité, se gausser des exploits « subaquatiques » de Loana et de la scénarisation de l'info (Zone Interdite, Capital, 66 minutes) d'M6 qu'on passerait à coté du tour de force de Satan. « La suite après la coupure pub, restez avec nous. RESTEZ AVEC NOUS ».
Dés le début de la décennie, M6 frappe fort avec autre chose que des hosties, armée d'une ribambelle d'émissions qui ont réellement tout changé : Loft Story, Super Nanny, L'inventeur de l'année, Le pensionnat de Sarlat, Maman cherche l'amour, Nouveau Look pour une nouvelle vie, L'inventeur de l'année, La France a un incroyable talent... Exit les paillettes, bonjour Josette. La nouvelle star (sic), c'est toi, ton voisin, ta voisine mère célibataire à la recherche d'une bite à aimer pour la vie et de quinze minutes warholiennes pour faire causer le lundi matin à la cafet' (Pause Café, hein, surtout ne zappez pas). Résultat : un leadership télévisuel au coude à coude avec TF1 (Mougeotte en mord sa zappette), un ancien PDG historique qui baisse le volume (Jean Drucker meurt en 2003) et dix ans de règne sans partage sur le nouveau monde : Celui d'un TV dont tu serais le héro, prêt à chanter, cuisiner, laisser deux vieilles ranger ta chambre d'ado attardé ou un sosie d'Eva Braun éduquer pendant une semaine tes gamins de Z.E.P. aux allures de démons fringués chez Monoprix. « Après la pub, on se retrouve pour une nouvelle vie, un peu plus merdique : la tienne ».
Une société d'experts intrusifs diplômés du Purgatoire qui vient conseiller des français désœuvrés, des inconnus lambdas qui rêvent de gloires broadcastées et de petits hommes gris derrière leurs grands bureaux qui comptent les billets. Lorsqu'une société du cool flirte avec le con-sanguin, cela donne M6, un empire guidé par le vent qui drague des téléspectateurs fautifs de s'affaler tous les soirs devant Un diner presque parfait, Le bonheur est dans le pré, On a échangé nos mamans. Fautifs de tomber dans le panneau, parce que le spectacle est aujourd'hui plus fort s'il est plus vrai, même en apparence, et qu'il ressemble désormais à nos vies moyennes. J'en arrive presque à regretter Charly et Lulu. Et puis l'ORTF aussi. J'en arrive presque à penser que le téléspectateur d'avant, celui qui intervenait dans les missions avec un micro-main, qui était plus utile que celui qui vote désormais ou se retrouve plein cadre dans toutes les émissions de Satan. Il a d'ailleurs fait des enfants, tous issus du radio-crochet.
Tentative de chronique express du premier album de Soan : Un chien dépenaillé fils des Têtes Raides et d'un Henri Krasucki attaqué au rimmel séduit la France entière grâce à son maquillage de polichinelle et sa voix de canard passé sous l'eau chaude qui chante avec beaucoup de sincérité des histoires d'amours déçus à donner envie d'offrir la bombe nucléaire à l'Iran pour anéantir l'Europe toute entière avec un bonus pour tous les heureux possesseurs de Tant pis, l'album du petit prodige à la voix cassée : lapidation par le micro suivi d'un bain façon Jean Moulin.
Reprenons le fil : Une chaine gérée comme un cirque, des journalistes aux physiques de Ken et Barbie trempés dans l'acide au Botox qui posent même jusque dans les pubs, une information « anti-spectacle » qui chante les louanges du quotidien français qui pèse 95kg, est routier, vit à Dunkerque et possède une déco de merde (D&CO)... C'était ça les années 2000, un rayon de supermarché avec une caméra pour filmer les gros plans, la réalité sordide par le trou d'une lorgnette en forme d'écran plat. Pour les petits, les grands, les tétraplégiques et les cadres qui veulent noyer l'ennui dans un bocal, le soir après 19H.
En attendant de supers concepts tels que Maman j'ai vendu un poumon pour sauver ton cancer de pompier, Hier prisonnier mais demain rockstar ou Papy fait de la résistance (il dénonce les mauvais payeurs), je repense à un autre superbe gimmick, entrevu voilà quelques années, dans la vie la vraie, sur un quai de métro. « Changez votre vie, prenez un micro-crédit ». Paradoxalement, au sortir des années 2000, le bonheur n'a jamais semblé si loin, si près, des nouveaux hommes modernes. Hope you guess my name, Satan est décidément imbattable en marketing. Merci M6(66).
Jeu de briques
Snake
Pacman
Bubble