Il y a déjà presque huit jours. Entre les vignes et les grandes cultures maraîchères de la plaine de Marathon où des Pakistanais tiennent aujourd’hui lieu de paysans, le printemps était déjà là autour des sites archéologiques.
C’était quelques heures avant de quitter la Grèce. Mes amis avaient souhaité que je découvre ce site étonnant qui constitue le plus beau des décors du théâtre antique, entre les montagnes du Dieu Pan, la résidence d’Herodes Atticus, les zones marécageuses où les Perses se replièrent en désordre avant de rejoindre leurs navires et la baie où l’Attique s’embarque vers les plus grandes destinées et décide de sauver Athènes.
Sur cette plaine, les tumuli, seules élevées du terrain, marquent une théorie d’hommages aux héros, tandis que le sol a laissé violer quelques tombes circulaires qui sont autant de lieux de connaissance sur une conception de la représentation quotidienne élevée au rang des Beaux-Arts. Des tombes qui nous proposent la reconstitution d’un syncrétisme dont témoignent aussi bien les sphinx, Horus etOsiris, que les stèles funéraires où les époux, cultivateurs et riches propriétaires, se jurent fidélité.
Plus loin, le lac de Marathon jouxte les aménagements récents réalisés pour les courses nautiques des derniers Jeux Olympiques. Ils sont ici parfaitement à leur place, en créant un arc d’alliance par dessus deux millénaires.
Je me souvenais soudain de Xerxés et de la tragédie d’Eschyle retransmise en 1961 à la télévision française. J’avais installé au fond de la salle à manger mon tout nouveau poste à modulation de fréquence qui établissait un dialogue stéréophonique avec l’écran noir et blanc placé à l’autre extrémité de la pièce. Jean Prat avait préparé un de ces spectacles dont l’audace visuelle et sonore nous atteint encore, cinquante ans plus tard, tandis que les cris déchirants des héros survolaient la musique de Jean Prodomides.
« Par sa prudence, il avait su dompter les villes, si peuplées et si opulentes, des Grecs de l’Ionie. Ses troupes, ses alliés innombrables, formaient une force invincible. Aujourd’hui, n’en doutons point, les dieux ont changé. Vaincus sur terre et sur mer, c’est nous qui succombons. »
D’un côté le messager de la défaite qui vient sceller la suprématie d’Athéna et des Dieux protecteurs de la Grèce et de l’autre, le messager de la victoire qui s’effondre dans les éclats de la joie. Toute la balance entre deux mondes qui changent d’équilibre… et notre destin aujourd’hui qui en reste influencé.
On comprendra pourquoi il y a à la fois ici du recueillement et une sorte d’aspiration du passé sur le présent. Et des asphodèles qui commençaient à fleurir au lendemain de Noël, comme au premier printemps, marquaient une éternité des parfums votifs.
Durant ces quelques jours en attente d’un oracle, j’ai en tout cas mieux compris qu’il faudrait absolument que tous les Européens viennent en Attique y puiser de nouveau, dans le contact direct la culture dont ils prétendent être constitués. Une culture non pas à côté d’autres, mais une fondation qui doit nous permettre de comprendre pourquoi nous sommes restés dans un monde qui continue de parler de démocratie, comme au temps des vrais forums, mais qui refuse régulièrement de regarder son miroir oriental, de tenter un dialogue avec ce double qui se nomme aujourd’hui Iran, Caucase, Indus….
Avons nous toujours besoin de l’aide d’Alexandre le Grand ?
Je regardais avec un étonnement amusé, le jour de Noël au matin, un poste d’essence proche de la côte ouest de l’Attique qui contemple l’île de Khalkis. Une communauté de jeune Pakistanais passait le temps en contemplant les rares voitures qui circulaient en ce matin de fête. Par groupe de deux ou trois, ils attendaient la reprise du travail, comme s’ils étaient venus le matin prendre de leurs mutuelles nouvelles dans un village des plaines alluviales qui, dans leur pays, échappe encore aux Talibans.
Une géographie heurtée, où ces hommes de l’Orient lointain tentaient de faire front à un éloignement de tout, comme les arrières grands parents des Grecs qui les emploient aujourd’hui avaient eu besoin de recréer des communautés viriles sur les quais des ports américains où ils avaient émigré.
Mais je n’étais qu’à mi-chemin de mes surprises.
Photographie : les oliviers après le passage des feux d’automne de la campagne athénienne