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Enfants, attention rétention

Publié le 06 novembre 2007 par Willy
Enfants, attention rétention

Manifestation pour la régularisation de sans-papiers à Paris, en août. REUTERS Les procédures d’expulsion frappent de plus en plus des sans-papiers avec de très jeunes enfants. Un nourrisson vient de passer deux jours dans un centre de rétention en Bretagne. Pierre-Henri Allain, Olivier Bertrand, Catherine Corolleret Mourad Guichard QUOTIDIEN : mardi 6 novembre 2007 - http://www.liberation.fr/

Kyrill Buneanu a battu un record, celui «du plus jeune enfant détenu depuis l’ouverture des centres de rétention au début des années 80», affirme Maud Steuperaert, de l’entraide rennaise de la Cimade (service œcuménique d’entraide). Ce bébé de 3 semaines a été interpellé avec ses parents, des sans-papiers moldaves, puis les a suivis lors de leur placement en garde à vue au commissariat, ainsi qu’au centre de rétention de Rennes (Ille-et-Vilaine). Kyrill n’est pas le seul mineur à se retrouver ces temps-ci dans ce type de lieu. «Depuis que la rétention existe [créée par les lois Bonnet et Peyrefitte de 1980 et 1981, ndlr], on a toujours vu des enfants arriver avec leurs parents ; mais leur nombre était faible: une quarantaine, voire une cinquantaine par an. Aujourd’hui, avec les objectifs chiffrés de reconduite à la frontière, on en voit de plus en plus», commente Damien Nantes, responsable du service des étrangers reconduits, à la Cimade. Entre le 25 janvier et le 29 octobre 2007, le centre de rétention de Toulouse (Haute-Garonne) a vu défiler 35 enfants dont 26 âgés de moins de 10 ans. Les très jeunes mineurs sont-ils devenus des victimes collatérales de la politique du chiffre du gouvernement Fillon? Libération raconte quatre de ces histoires.

Près de Lyon

Pompiers et porte forcée pour l’arrestation d’une famille

C’était vendredi, à Lyon. Juste avant l’audience, Léa (18 mois) s’est mise à pleurer dans la salle du tribunal. Le juge des libertés a dit sèchement: «Je ne veux pas de pression sur moi avec des pleurs d’enfants.» Les militants témoins de la scène se sont regardés, effarés. Le magistrat s’apprêtait à statuer sur le maintien en rétention de la famille Ali, un couple d’Albanais et leurs deux filles, Léa et Sarah, âgée elle de trois ans et demi, qui vivent depuis près de trois semaines dans un centre de rétention à côté de Lyon. Les petites mangent très peu, sont malades, témoignent ceux qui sont allés les voir. Certaines personnes présentes dans le tribunal n’ont découvert le sort des familles expulsables qu’après l’arrestation de Sarah, qui était en petite section de maternelle dans un village près de Lyon. Après son arrestation, quelques parents d’élèves et enseignants se sont réunis tous les soirs, jusqu’aux vacances dela Toussaint, autour de sa chaise et sa paire de chaussons. Les parents de Sarah et Léa sont arrivés en France en janvier 2006.

Le père, Vandghush, explique qu’il était garde du corps d’un député socialiste en Albanie. Il aurait été blessé dans un attentat et l’un de ses frères assassiné. Ils ont déposé une demande d’asile, rejetée. Puis un recours qui a subi le même sort. Alors, le mardi 16 octobre, les gendarmes de la cellule Etrangers en situation irrégulière de Lyon sont arrivés le matin au centre d’accueil des demandeurs d’asile où la famille se trouvait. Les parents ont refusé d’ouvrir et la mère, Gloria, a menacé de se jeter par la fenêtre avec ses deux enfants. Des dizaines de pompiers sont venus sécuriser l’arrestation, tendant une toile sous la fenêtre et hissant une grande échelle. La porte a ensuite été forcée et la famille embarquée. Au centre de rétention, la Cimade a déposé une nouvelle demande d’asile, la famille présentant des éléments nouveaux sur sa situation en Albanie.

C’est pourquoi le juge des libertés devait se prononcer, vendredi, sur le maintien de la rétention, le temps que la nouvelle demande d’asile soit examinée. Le représentant de la préfecture est venu expliquer sans ciller que les enfants dormaient en rétention à cause de leurs parents, ces derniers ayant déposé une nouvelle demande d’asile au lieu de se laisser expulser. «On n’a pas le droit de tirer un profit de ses propres turpitudes», a-t-il ajouté d’une voix égale. Le juge a prolongé la rétention, une décision confirmée hier en appel, puis les militants ont appris que la nouvelle demande d’asile était rejetée. La famille est expulsable. Léa et Sarah dorment en rétention. Et le juge n’a plus de pression.

Saint-Brisson, Loiret

Libérés à 400 km de chez eux avec un bébé de 3 semaines

C’était le 18 octobre, près de Rennes. Kyrill Buneanu, 3 semaines, a passé 48 heures dans un centre de rétention avec ses parents moldaves sans-papiers. En confirmant la libération prononcée par le juge des libertés, la cour d’appel a parlé de «traitement inhumain et dégradant». La cour a critiqué «les conditions anormales imposées à ce très jeune enfant» et «la grande souffrance morale et psychique imposée à la mère et au père». «Ces gens ne sont pas des quotas, des numéros et on les traite comme des marchandises», s’insurge Maître Piquois, l’avocat de la famille. Des «marchandises» abandonnées, une fois la libération prononcée, sur les pelouses de la cité judiciaire de Rennes, un soir de froid, à 400 kilomètres de leur domicile de la commune de Saint-Brisson-sur-Loire (Loiret), où l’histoire a aussi fait grand bruit. En raison de l’âge de l’enfant interpellé, bien sûr, mais aussi des conditions de l’interpellation.

Une conseillère régionale communiste, Sylvie Vauvilliers, a affirmé que, selon le rapport de la gendarmerie, c’est le maire de Saint-Brisson-sur-Loire a signalé la présence de cette famille. «Le fait qu’un maire puisse user de la délation avec un tel cynisme m’écoeure littéralement», lance Sylvie Vauvilliers. Le maire a attaqué en diffamation. La famille se cacherait dans le Loiret.

TOULOUSE

Une famille explosée entre Algérie, France et Italie

C’était le 31 octobre, à Toulouse. Jurdjica Jelenic est expulsée vers l’Italie avec trois de ses enfants. Bien que de nationalité croate, elle y réside régulièrement. Son mari, Abdelaziz Bekkouche, est, lui, envoyé au centre de rétention de Nice dans l’attente d’une éventuelle expulsion vers l’Algérie d’où il est originaire. Quant à Robert, 15 ans, fils de Djurdica, il est laissé tout seul à Toulouse. Il ne se trouvait pas avec sa mère et son beau-père quand ils ont été cueillis par la police.

En faisant exploser cette famille, la police, la justice et l’administration française ont-elles pris des libertés avec le droit ? «On sépare d’abord le couple en contradiction avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Et on sépare ensuite les enfants de leur père en contradiction avec l’article 7-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant», relève Sylvain Laspalles, l’avocat du couple.

Fait exceptionnel, le préfet de Haute-Garonne, Jean-François Carenco, prend lui-même le téléphone pour justifier ces mesures auprès de Libération : «La femme et les enfants résident en Italie, explique-t-il. Ils avaient fait un recours contre mon OQTF (obligation de quitter le territoire français, ndlr), ils s’en sont désisté. On est dans le cas d’un départ volontaire. Le mari, algérien, a été expulsé d’Italie pour diverses affaires judiciaires. L’Italie n’en veut plus.» Et Robert? J’ai proposé de le reconduire en Italie, elle m’a dit que ça n’était pas la peine, que sa cousine chez qui il se trouve le ramènerait.»

La famille Jelenic-Bekkouche va-t-elle se reconstituer? Hier, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision de renvoi d’Abdelaziz Bekkouche en Algérie. Ne pouvant plus être expulsé vers ce pays, il devrait donc être libéré. Conclusion désabusée de l’avocat: «Une fois lâché dans la nature, Abdelaziz Bekkouche va passer clandestinement la frontière italienne pour rejoindre sa femme, et tout le monde s’en lavera les mains en France.»

Saint-Clément, Yonne

Embarquée sans son bébé, seul à la maison

Le 26 octobre, à Saint-Clément, dans la banlieue de Sens (Yonne), Dalla Sakine Sima, une Malienne sans-papiers, arrive au bureau de poste où elle effectue une heure de ménage quotidien. La responsable lui annonce qu’elle est virée car sans-papiers. Dalla Sakine Sima, mère de Yamadou (8 ans), Bambo Moussa (22 mois) et Ladji (14 mois), repart vers l’arrêt de bus. Quatre policiers l’y attendent et l’embarquent «bien qu’elle ait demandé de passer d’abord chez elle chercher son bébé», raconte Jean Cordillot, ancien maire de Sens. Au commissariat, Dalla Sakine Sima est placée en garde à vue. «A midi, les policiers la conduisent chez elle et constatent que le bébé est seul», raconte Jean Cordillot. Son mari, Mahamadou Sima, pensant que sa femme a quelques minutes de retard, est parti travailler, confiant Bambo Moussa à la voisine, et laissant seul Ladji qui dort. Les policiers attendent, chez les Sima, que Yamadou rentre de l’école et arrêtent tout le monde. Personne ne prévient le père, dont la situation n’est pas simple non plus. Il a été condamné en 2004 à trois ans d’interdiction du territoire et six mois de prison ferme pour détention et présentation de faux papiers. Mais cette condamnation ne lui a pas été signifiée car il a changé d’adresse. Après l’interpellation, les trois enfants sont confiés à l’Aide sociale à l’enfance. Sur l’ordonnance de placement, le procureur note que la mère est interdite de visite. L’institutrice de Yamadou et les parents d’élèves se mobilisent , le maire de Saint-Clément saisit le cabinet du ministre de l’Immigration. Selon Jean Cordillot, ce dernier aurait demandé la libération de Dalla Sakine Sima et affirmé qu’elle ne ferait pas l’objet d’une mesure d’expulsion. Vendredi, le juge a rendu les enfants à leurs parents.


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