Magazine Beaux Arts

La baignoire de Marat : un vieux souvenir…

Publié le 06 janvier 2010 par Paristoujoursparis

J'étais un enfant… Et papa me conduisit un jour juste à côté de son travail : au musée Grévin. Un long couloir… Puis un foyer digne des plus jolis théâtres… Le monsieur qui lisait son journal sur un banc était faux, bien sûr, comme ce gardien impassible… Ah, mais non! Il bougeait!

Puis je suivis papa, passionné d'histoire, et qui me montra Marie-Antoinette, Louis XVI, Fernandel! Il étaient plus beaux que les vrais, et puis une ambiance particulière baignait ces lieux, j'étais fasciné.

Le Palais des mirages me passionna… La lumière s'eteignait et… crac! bing! vrrrr! Et tout à coup, apparaissait une jungle de théâtre… Un palais des mille et une nuits… Papa, j'ai peur!

Revenu vers les personnages de cire, ma scène préférée était l'assassinat de Marat… Mais quelle horreur!

- Tu sais, la baignoire, c'est la vraie, celle de Marat!

Je n'y croyais pas vraiment tout en voulant y croire…

L'histoire venait de me chiper… L'intérêt pour l'insolite se réveillait en moi!

En feuilletant un vieux catalogue illustré du Musée Grévin - cuvée 1897! - j'ai découvert l'histoire de “ma” baignoire. Tragique au début, elle est ensuite assez savoureuse!

baignoire2.jpeg

La scène qui me passionnait!

« …la carte de France de 1791, les numéros de l'Ami du Peuple, journal publié par Marat, la pique, le couteau, etc, toutes pièces du temps assez difficiles à trouver aujourd'hui et qui permettent aux spectateurs d'apprécier quels soins et quelles patientes recherches ont présidé à la reconstitution du drame. Les personnages ont été modelés par M. Léopold Bernstamm, sculpteur attitré du Musée, d'après les portraits et documents exposés dans la même galerie à côté d'un numéro original du journal de Marat. On peut voir dans la même vitrine les dernières lettres de Charlotte Corday, ainsi qu'une lettre de Marat adressée aux membres du Tribunal de Police. Nous empruntons à M. le comte d'Ideville le récit émouvant de la scène du 13 juillet 1793, inspiré par sa visite à la chambre où le célèbre conventionnel fut assassiné :

« Il est sept heures et demie du soir; la chaleur est suffocante; l'animation de la rue n'a point cessé; des groupes de patriotes se ·tiennent à la porte; des porteurs de journaux attendent; des ouvriers d'imprimerie vont et viennent apportant des épreuves, se croisant dans le grand escalier à la rampe en fer forgé. Assis dans sa baignoire, là, dans ce cabinet où nous sommes, Marat, le front entouré d'un linge mouillé, la face rouge et congestionnée, corrige un article et inscrit, pour le lendemain, les noms destinés à la guillotine. A ce moment, la servante concubine Simone Évrard récalcitrante, ouvre la porte et introduit, sur l'ordre formel du maître, la belle provinciale, Il me semble la voir devant mes yeux, elle, debout, tremblante, appuyée contre cette même porte que nos mains touchent. Malgré l'invitation de l'homme, elle a hésité à s'asseoir sur l'escabeau placé près de la baignoire; ses regards se fixent sur les regards hideux et lascifs du monstre. Elle nous apparaît bien telle qu'elle était alors, avec ses boucles de cheveux blonds épars sous la coiffe du temps; la poitrine haletante sous le fichu qui la couvre; sa robe aux rayures brunes traîne sur le carreau humide. La voilà qui se lève, qui parle, s'anime, tandis que les yeux de la vipère s'allument à la pensée des victimes nouvelles qu'elle lui dénonce, butin du bourreau. Enfin elle se penche; l'œuvre sinistre s'accomplit. Aussitôt détournant la tête, l'infortunée se tient debout, immobile, illuminée, sereine : c'est bien l'Ange de l'assassinat ! Au moment même l'expiation commence, On se précipite, on accourt, on hurle. Les femmes, les familiers de la maison, les gens de la rue envahissent le logis. Charlotte est saisie, terrassée en un clin d'œil, serrée à la gorge, déchirée, frappée de coups, couverte de souillures. Quelques instants de plus et son cadavre tombera auprès de sa victime, si les membres de la Section n'arrivent pour la protéger! Mais son agonie doit être plus longue. L'héroïne doit souffrir longtemps encore, car il lui faudra expliquer et justifier son crime devant les juges avant d'entrer dans l'immortalité ! »

466pxdeathofmarat6c803d.jpg

David : le génie au service de la tyrannie

Nous croyons devoir également reproduire in extenso l'article du Figaro du 18 août dernier, qui ne le cède en rien, comme intérêt, à celui du 15 juillet 1885 :

ÉPILOGUE : LA BAIGNOIRE DE MARAT

Il y a environ un an (15 juillet 1885), le Figaro publiait un article intitulé : « La Baignoire de Marat ». Nos lecteurs se souviennent peut-être de l'odyssée de ce bizarre objet historique dont nous faisions alors le récit. Cette relique sanglante dont une circonstance assez singulière avait révélé l'existence se trouvait au fond de la Bretagne, en la possession d'un « recteur », curé-doyen de la petite ville de Sarzeau (Morbihan). Le bon prêtre l'avait eue en héritage d'une vieille demoiselle royaliste et catholique, Mlle Capriol de Saint-Hilaire, morte en 1862, La révélation du Figaro rendit tout à coup célèbre, un peu malgré lui, le vénérable doyen. Rien ne manqua à sa gloire. Les feuilles républicaines émirent naturellement des doutes sur l'authenticité du trésor, et des polémiques s'engagèrent à ce sujet. Le grand argument des ennemis du curé était celui-ci: Comment un pareil objet était-il tombé entre les mains d'une vieille dévote royaliste? A notre avis, c'était précisément cette longue possession sans transmission, l'oubli, le mépris dans lequel avait été laissée la sinistre relique qui lui donnait un caractère d'authenticité. Mlle Capriol de Saint-Hilaire, morte en 1862, octogénaire, se souvenait fort bien de l'acquisition faite par son père, vers l'année 1805, de la baignoire de Marat. La jeune fille avait alors quinze ans et elle a raconté souvent à des personnes encore vivantes les circonstances de cette acquisition : son père avait acheté l'objet d'un marchand de ferrailles de la rue d'Argenteuil. Il reste simplement aujourd'hui à suivre, à reconstituer l'existence de la baignoire de 1793 à 1805. Qu'était devenu, après la mort de Marat, le mobilier du conventionnel? « Au lendemain de la mort de Marat, dit un rédacteur de la République française, dans un article intéressant publié le 10 août 1885, le juge de paix de la la section du Théâtre-Français, après avoir apposé les scellés dans l'appartement du terrible publiciste, rue de l'Ecole-de-Médecine, vint procéder à l'inventaire de son mobilier. Parmi les objets qui figurent sur cet inventaire très détaillé, se trouvent, entre autres, une bibliothèque, deux sphères, une boite renfermant un instrument de chirurgie; mais il n'est pas question de baignoire. Marat se bornait peut-être à en faire venir une de chez le loueur le plus voisin, lorsqu'il éprouvait le besoin de prendre un bain. D'autre part, le très savant directeur du musée Carnavalet, l'homme le plus compétent lorsqu'il s'agit de l'histoire de Paris, avait eu, dit-on, l'an dernier, après les publications du Figaro, la velléité de se rendre acquéreur de la baignoire pour son musée historique. Mais les prétentions du curé de Sarzeau et l'absence de pièces authentiques lui firent abandonner ce projet. Il voulut bien, néanmoins, dans une lettre à un de ses amis, se mettre à la disposition de l'administrateur du musée Grévin, pour compléter, par de très curieux détails, les renseignements déjà connus.

La forme de sabot pour les baignoires était commune à Paris (en 1793) à l'époque où l'eau était chère, où l'on chauffait les bains à la bouilloire et où l'on avait par conséquent tout intérêt à diminuer le volume d'eau nécessaire pour tremper le corps. Avec la forme de sabot qui ne permettait pas au liquide de remonter autrement que par le déplacement du corps immergé, il faut pour un bain moitié moins d'eau qu'avec la forme du cuvier oblong. Aussi trouvait-on ces baignoires sabot en location chez les chaudronniers. Les bains à demeure et à domicile n'existaient pas encore. Les hôtels seuls avaient des salles de bains. La baignoire de Marat était-elle à lui! C'est possible, et même probable, car « sa maladie chronique exigeait des bains fréquents, et il avait bien pu l'acheter » toutefois, on ne trouve pas de baignoire mentionnée dans l'inventaire très détaillé de son mobilier, après l'assassinat. Il est vrai que la fameuse baignoire figura en nature lors de l'exposition de son corps, dans l'église des ci-devant Cordeliers et fut conservée ensuite à l'intérieur du monument funéraire qu'on lui éleva place du Carrousel. Il est permis de croire qu'à la réaction antimaratiste elle eut le sort de tous les objets du culte en métal et qu'elle fut fondue pour fournir des sols et des canons à la République. Ce fut en février 1795 qu'un décret de la Convention ordonna de briser et jeter dans l'égout de la rue Montmartre le buste de Marat, avec un vase de nuit plein de cendres, simulacre de ses restes ce qui donna bien naissance à la croyance populaire que le corps lui-même y avait été précipité. Ainsi donc, la baignoire authentique existait encore, d'après M. Cousin, en 1795. Au lieu d'en faire des gros sols, il est vraisemblable que, dans cette journée de fête, un patriote, après s'être approprié l'objet, s'en sera débarrassé ensuite au profit d'un revendeur. Simone Évrard, la maîtresse de Marat, et sa sœur, Albertine Marat, vivaient sans doute à cette époque, mais il est peu probable qu'elles aient recherché cette relique qui leur rappelait de si lugubres souvenirs. Aussi la version du curé de Sarzeau, établie par des preuves et des déclarations orales de personnes dignes de foi vivant en 1805, nous semble-t-elle irréfutable. Jusqu'à preuve du contraire, nous croyons la baignoire de Sarzeau parfaitement authentique. D'autre part, nous le répétons, la longue possession de la relique révolutionnaire entre les mains d'une vieille royaliste, la relégation au grenier de cet objet de terreur et de dégoût acheté jadis par curiosité nous paraît, au contraire, une preuve d'authenticité. Dans quel but la famille Capriol de Saint-Hilaire au-rait-elle eu l'idée d'établir une légende autour de cet objet sans valeur? C'est l'oubli même, c'est le silence dans lequel la relique a été ensevelie qui confirme les assertions du curé de Sarzeau. Pour en revenir à la révélation de l'an dernier, l'article du Figaro mit alors en émoi, non pas précisément tout le diocèse de Vannes, mais les habitants de Sarzeau et surtout M. le doyen. Comme dans la fable du Savetier et du Financier, la possession d'un si gros trésor troubla le sommeil du paisible presbytère. Dans les nuits agitées, M. le curé rêvait que le Musée Tussaud, au nom du gouvernement anglais, venait lui offrir cinq cent.mille francs, en échange de la fameuse baignoire. Grâce à cette somme, l'abbé voyait déjà la paroisse de Sarzeau devenue la plus opulente du diocèse et son cher doyenné convoité par tous ses confrères. Avec l'or britannique, il édifiait des écoles, des asiles et faisait élever une imposante basilique sous le vocable tout nouveau de Sainte-Charlotte-de-Ia-Delivrande. Désormais, la jolie ville de Sarzeau, célèbre seulement jusqu'ici pour avoir donné naissance à Le Sage, l'auteur immortel de Gil Blas, allait devenir un nouveau sanctuaire.

lettrecharlottecor6c8112.jpg

Malheureusement, ces songes pieusement ambitieux ne se réalisèrent point, le facteur n'apportait aucune lettre timbrée de Londres et les propositions mirifiques qui devaient affluer avec la publicité du Figaro n'affluaient point au presbytère. Quelques offres modestes furent repoussées avec dédain; le Musée Carnavalet, dit-on, et plus tard le Musée Grévin n'obtinrent que des réponses hautaines et négatives. Toutefois le petit tapage fait autour de la baignoire fut loin de nuire aux habitants de Sarzeau. Des villes voisines, pendant la belle saison, on vint en pèlerinage contempler le trophée sanglant de la Révolution. Un beau jour, un industriel proposa à l'heureux propriétaire de colporter et de promener en France, à frais communs, la sinistre relique, lui promettant de réaliser ainsi d'importants bénéfices qui seraient naturellement partagés entre le barnum et les pauvres. M. le curé repoussa ces offres qu'il considérait justement incompatibles avec sa dignité et ne voulut point priver les aubergistes de Sarzeau des aubaines inattendues que leur attiraient les excursions de quelques touristes. C'était en vain, hélas! que notre pauvre curé avait escompté l'avenir. L'Amérique et l'Angleterre indifférentes restèrent sourdes; aucune négociation ne fut entamée par les cabinets européens pour acquérir la baignoire de l'Ami du peuple. Il fallut bien déchanter et revenir de ses illusions. La déception fut grande ! Peu à peu toute offre cessant et le silence menaçant de se faire à jamais autour du trésor dédaigné, la paroisse de Sarzeau, qui avait déjà vu tour à tour s'évanouir en fumée sa basilique, ses vastes asiles, ses superbes établissements scolaires, risquait fort de ne retirer aucun avantage du trésor si longtemps enfoui au presbytère et qu'un heureux hasard avait seul exhumé. Revenu de son beau voyage au pays des rêves et rendu à la réalité, le curé de Sarzeau consentit enfin à accepter les propositions du Musée Grévin. La somme est encore assez importante et le prix de la baignoire servira à faire reconstruire en partie l'école des petites filles du bourg de Sarzeau.

cabinetdecuriosites557.jpg

L'acte de vente de la baignoire 

En effet, les administrateurs du Musée Grévin, qui n'auraient jamais consenti à payer à un industriel ou à un marchand de curiosités 5.000 francs l'objet historique en question, n'ont pas hésité, paraît-il, à verser entre les mains du vénérable ecclésiastique une somme dont ils connaissaient d'avance le charitable emploi. Ainsi ils auront fait une bonne action et peut-etre une belle affaire. La baignoire où le conventionnel Marat fut assassiné le I3 juillet 1793, par l'héroïque Charlotte Corday, est en cuivre de couleur fauve presque noire; elle a la forme d'un sabot et bien telle que la représentent les gravures de l'époque et telle que le savant M. Cousin l'a décrite.

baignoire.jpeg

La mort du patriote : gravure du temps 

Une sorte de tabouret en cuivre est appliqué au fond de la baignoire, ce qui permettait de rester assis et d'écrire facilement. C'est sous cet escabeau que se plaçait l'appareil pour faire chauffer le bain. Le temps, on peut le dire, a singulièrement gravé son empreinte sur ce bronze familier. Il est fort probable que, depuis le I3 juillet 1793, la baignoire de Marat n'a pas été souillée par le contact de l'eau. Les taches de sang du martyr doivent y séjourner encore. En tout cas, on voit distinctement incrustées les traces horizontales des drogues sulfureuses dont se composaient les bains du conventionnel, atteint, on le sait, d'une maladie cutanée. La scène du 13 juillet 1793, dans laquelle doit figurer la baignoire de Marat, vient d'être reconstituée par le Musée Grévin dans tous ses détails, avec une religieuse exactitude, d'après les pièces et documents du temps. On a pu remarquer cette année à l'Exposition de sculpture, aux Champs-Élysées, un grand haut-relief représentant la scène de l'assassinat : Charlotte saisie par Simone Evrard, tandis qu'un groupe d'hommes et de femmes du peuple se précipite à la porte. L'œuvre qui appartient au Musée est de M. Bernstamm, jeune artiste russe. C'est d'après cette maquette que les personnages ont été modelés en cire. Dans le coin de la pièce, près de la haute fenêtre aux petites vitres, sera placée la relique authentique où baignera, au milieu de linges ensanglantés, le corps du tribun. Voilà donc, grâce au Figaro, la fameuse baignoire de Marat, oubliée dans un grenier de Bretagne, sortie de son obscurité! C'est ainsi que les petites chrétiennes de la charmante ville de Sarzeau pourront bénir, à leur tour, la bienfaisante publicité du journal de la rue Drouot.

Saint-Simon

cartespostalesphot6c7f2d.jpg

Un antiquaire parisien vendant une autre “authentique baignoire de Marat”


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Paristoujoursparis 1410 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines