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Le gâteau des Rois

Par Mafalda

C'est la fête des rois et des gâteaux. Personne
Chez qui le pâtissier, ce beau jour-là, ne sonne,
Et le nôtre a si bien sonné du haut en bas
Partout - qu'il en est las, mais si las, mais si las
Qu'il s'assied sur un banc dans les Champs-Elysées.
Il se repose, il bâille et s'endort. Les moineaux,
Qui prennent les rameaux des arbres pour croisées,
- Curieux, indiscrets, querelleurs, larronneaux, -
Ont regardé du coin de l'oeil, battu des ailes,
Et babillé comme un essaim de demoiselles.
" - Que porte-t-il donc bien, ce bonhomme, là-bas ?
"Et qu'en dis-tu ?" - "Moi ? Rien. Que veux-tu que j'en dise ?"
" - Moi, crie un vieux friquet expert en friandise,
"Je le sais." - "Mais encor ?" - "Le plus gros des babas,
Quelque chose d'exquis, de délicat, de tendre,
"A se sucer la patte et se lécher le bec."
" - Vrai ? - "Le bonhomme dort. Sans crainte on peut descendre :
"J'ai mon soûl de pain dur et de vermisseau sec !"
Et voici la volée entière descendue
Qui se risque du bec dans la masse dodue.

Le vieux friquet avait raison. C'était exquis
Et sucré, puis si tendre ! Un gâteau de marquis !
" - Seigneur ! lance un pierrot, sont-ils gourmands, ces hommes !"
Pierrette renchérit : - "Oh ! c'en est odieux !
"Non, ce n'est pas ainsi, nous autres, que nous sommes."
Et - pic pac - tous les becs piochent à qui mieux mieux.

Le pâtissier ronflait, lui, tandis qu'on le vole,
Sur le pauvre gâteau tout mordu, tout grêlé
Comme s'il avait eu la petite vérole,
Les fins oiseaux furtifs, dans un mêli-mêlé
S'abattaient - remontaient manger entre les branches
Et les grésils sucrés, et les noisettes blanches.
Non, vraiment, l'on ne s'est jamais tant régalé.
Sans souci que ce fût à du nanan volé,
On pique et l'on repart, on mange et l'on remange.
Soudain un plus hardi, plus vorace ou plus fort,
Fait sauter du gâteau quelque chose d'étrange
Qu'il becquette, retourne, et qui l'intrigue fort.
" - Qu'est-ce que cet objet ?" - "Mais la fève sans doute ;
"Elle doit être en sucre." - "Est-il possible ?" - "Goûte."
C'était blanc ; il essaie. Il ne peut ; c'était dur.
" - De la faïence !" - "Ah ! Bah ! Laisse voir ?" - J'en suis sûr.
"J'y laisserais mon bec. Pas un coup ne l'entame.
"Regardez, et c'est même une petite femme,
"Une femme en chemise. Oh ! le monde aujourd'hui !...
Le friquet s'indignait ; on se moqua de lui.
" - Raillez-moi. Mais, j'y songe... Eh, oui ! Quelle trouvaille !"
" - Laquelle, philosophe ?" - "Ecoutez, pauvres sots !"
Et, pendant qu'on sautille, et qu'on rit et qu'on piaille,
Maître Friquet laissa, grave, tomber ces mots :
" - Voici ce que j'apprends par cette expérience,
"C'est que l'homme, la femme, et tout le genre humain
"Qui nous fait psitt-psitt-psitt et  nous jette du pain
"N'est pas du tout en chair, mais en simple faïence.
"Et nous en avions peur ! Cette Eve, je prétends
"La donner pour jouer - quand la branche séchée
"Auras pris sa feuille - à l'aimable nichée
"Que madame Friquet m'a promise au printemps."

Aux cris étourdissants poussés par l'assemblée,
Le pâtissier s'éveille et - dans une envolée -
La troupe de moineaux fut bientôt haut ou loin.
Il voit en tel état son gâteau, le pauvre homme,
Qu'il lève au ciel les yeux tout comme un astronome
Et, dans les arbres nus, aux oiseaux fait le poing.
Il repart, il arrive, il resonne, il s'esquive.
" - C'est le gâteau des rois, le gâteau ! Vive ! Vive !"
Exclamaient les enfants dans un saut de gaîté.
Un singulier gâteau, rogné, déchiqueté,
Et sans fève. Dès lors, pas de roi, pas de reine.
" - Oh ! l'affreux pâtissier ! Il valait bien la peine
"D'aller chez lui, si loin, pour être ainsi traité !"

Mais, en juin, dans un nid - guillerets, guillerettes,
Quatre petits pierrots, deux petites pierrettes
Piquaient à coups de bec, raillaient à menus cris,
La blanche pomponnette en faïence, en chemise.
" - Si nous faisions mal, père, à mam'selle Artémise ?"
" - Vraiment ! Se gênent-ils, hein, quand ils vous ont pris
"Pour vous bien tourmenter, les hommes, mes chéris ?"
Oh ! le vilain moineau ! dites-vous. Je l'écris.

Aimé GIRON


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