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Le bilan rock de la décennie

Publié le 09 janvier 2010 par Jb

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Je me rends compte, en lisant quelques magazines ou quelques blogs, que la première décennie des années 2000 vient de se terminer. On a tout juste fait les best of de l’année 2009 que, déjà, on pose un regard rétrospectif et qu’on tire les bilans de la décennie qui s’achève. Franchement je dois dire que ça ne m’était pas même venu à l’esprit, qu’on était en train de torcher la décennie. Outre le fait que tout cela ne nous rajeunit franchement pas, y a-t-il un sens à découper, comme des rondelles de citron, les décennies pour essayer d’en déchiffrer un sens, un peu comme Hegel essayait de le faire avec l’Histoire ?

Probablement pas mais bon, puisque chacun y va de son avis, pourquoi pas donner le mien ? J’y ai donc un peu réfléchi (pas des masses non plus, je le reconnais) et, du coup, je suis bien obligé de livrer directement, sans ambages, mon opinion résumée : les années 90 furent pour le rock bien meilleures que les années 2000.

Voilà, ça va faire réac, ça va faire "le vieux" qui trouve que tout fout le camp et que c’était mieux avant. Pourtant, ce blog ne cesse de faire la critique d’albums qui sortent maintenant, d’en trouver certains vraiment excellents, par conséquent il serait trop simple de me cantonner dans ce rôle du passéiste. Je m’explique donc sur les raisons de ce jugement.

Bien entendu, les années 2000 ont eu leur lot d’albums supers. Mais, premier problème, ceux que je mettrais vraiment tout en haut du panier, eh bien la plupart sont le fruit de groupes nés… dans les années 90 justement ! Je pense à Kid A de Radiohead, dont l’aspect novateur continue de laisser des traces. Je pense à des albums comme Rock Action, Happy Songs For Happy People et Mr Beast de Mogwai, Misery is a Butterfly de Blonde Redhead, Yankee Foxtrot Hotel ou A Ghost Is Born de Wilco, The Sophtware Slump de Grandaddy, With Teeth de Nine Inch Nails.

D’autres groupes sont moins directement issus des nineties mais plutôt à la charnière entre 90 et 2000, ils sont nés avant la fin de la décennie 90 même s’ils ont livré leur meilleur dans les années 2000 : je pense à des albums comme Scary World Theory et Faking The Books de Lali Puna, Absolution et Black Holes and Revelations de Muse, We Have The Facts And We’re Voting Yes et Transatlanticism de Death Cab for Cutie, Ágætis byrjun de Sigur Rós, Rated R et Songs for the Deaf des Queens of the Stone Age.

Deuxième problème : les belles découvertes des années 2000, les artistes vraiment enfantés par les années 2000, sont nombreux. Mais ils ne me semblent pas à la hauteur des années 90. Pourquoi ? Tout simplement parce que le phénomène qui, à mon avis, a caractérisé les années 2000, c’est un certain processus de nostalgie, de retour en arrière : dans le rock "pur" je pense aux Strokes qui lancent toute la vague du renouveau des groupes en "The", revendiquant l’héritage du rock des années 60 et 70, hantés par les Stones, le Velvet et plus généralement la supposée rock attitude (dans leur sillage, les Libertines, les Rakes et des tas d’autres). Je pense également aux Franz Ferdinand qui, eux, flirtent davantage avec les années 70 et 80, incorporant davantage de glamour, de disco et de funk dans leur musique (dans leur sillage Gossip etc.). Ces deux groupes (Strokes et Franz Ferdinand) éclipsent pourtant un album déjà dans cette tendance mais plus novateur à mon sens, sorti pile en 2000, Thirteen Tales From Urban Bohemia des Dandy Warhols, qui certes n’ont jamais fait mieux depuis.

Mais si l’on sort du rock "pur", avec le phénomène du renouveau de la folk, là aussi le retour en arrière est de mise. Sauf pour quelques très grands noms un peu à part (le songwriter génial Sufjan Stevens, les américains très doués de Grizzly Bear ou, éventuellement, le troubadour Devendra Banhart, encore qu’il soit assez vite lassant), la plupart des "folkeux" (quand même la grosse tendance des années 2000) me gavent.

Le groupe Animal Collective est un peu à part : avec Sung Tongs, ils arpentent des territoires folk extrêmement intéressants et originaux. Mais leurs albums suivants, surtout le dernier en date, Merriweather Post Pavilion, ne peuvent plus être qualifiés de folk. Aussi Animal Collective est-il un peu un "ovni" dans la production musicale, même s’ils me paraissent eux aussi représentatifs d’une tendance de fond des années 2000 : celle du patchwork. On est un peu dans l’ère du "post", revenus de tout, blasés de tout, du coup on fait un gigantesque recyclage de divers éléments issus de l’histoire de la musique des 40 dernières années pour tâcher de créer du nouveau. Mais comme on a conscience que tout a déjà été fait, on joue souvent la carte des ruptures de rythme, des cassures, de la difficulté, parce qu’on ne veut surtout pas que l’oreille de l’auditeur s’accoutume ou se laisse caresser dans le sens du poil.

Derrière Animal Collective, je vois aussi des formations comme les Dirty Projectors ou les Fiery Furnaces. Dans la sphère japonaise, Cornelius avec Point et Sensuous place lui aussi la barre très haut. Tous, malgré tout, ayant été anticipés dès les années 90 par Beck et son art de "babeliser" la musique.

Assurément, ces artistes proposent des albums ambitieux, fouillés, complexes, mais justement … parfois trop à mon avis ! Dans tout ça la simplicité, la musicalité, ce qui coule de source, est parfois mis à l’arrière plan (voire absent), de façon un peu forcée et maniérée. On veut casser la "pop de papa" mais n’y a-t-il pas un risque de perdre un peu les gens en route ? Ce surcroît d’intellectualisation de la musique a ses limites…

Bref, les groupes des années 2000 vraiment au-dessus du lot, qui durent et qui ne sont ni dans la folk ni dans le recyclage, qui essayent de faire avancer le schmilblick, mis à part les White Stripes et leur galaxie (Raconteurs, Dead Weather), Deerhoof, Deerhunter et leur galaxie (Atlas Sound, Lotus Plaza), Arcade Fire (encore que), je n’en vois pas énormément… Les anglais de Coldplay se sont perdus dès leur troisième album dans la soupe sonore, eux qui auparavant avaient du mal à ne pas être hantés par Radiohead, les Arctic Monkeys ouais bof je ne vois pas ce qu’ils ont de révolutionnaire, faudra m’expliquer, les nanas d’Electrelane restent trop marginales, quant à la France n’en parlons pas… Mis à part Phoenix qui surnage largement, rien à signaler !

Par contraste, les années 90 semblent donc foisonnantes et indépassables : certes, plusieurs des groupes que je vais citer sont nés dans les (ou à la toute fin des) années 80 mais ils ont, presque tous, livré leur meilleur au cours des nineties : Nirvana, Smashing Pumpkins, Slint, Sonic Youth, My Bloody Valentine, Red Hot Chili Peppers, Soundgarden, Sebadoh, Beastie Boys…

Quant à ceux qui ont réellement été enfantés par cette décennie 90, ils sont légions : Pavement, Jeff Buckley, Pearl Jam, Weezer, Breeders, Hole, Rage Against The Machine, Korn, Deftones, Placebo, Sparklehorse, Bonnie "Prince" Billy, Blur, Oasis, Elastica, Teenage Fanclub, Suede, Stereophonics, Travis, Deus, Beck… Si l’on sort du rock "pur" et qu’on s’aventure ailleurs, on peut encore penser à Air, Daft Punk, Bjork, Jamiroquai, Portishead, Tricky…

On le voit, il n’y a pas photo. Il semble bien que le rock, comme tout phénomène, connaisse des hauts et des bas. 2000 n’était pas, selon moi, un bon cycle malgré des tas de choses intéressantes. Espérons que 2010-2019 donnera envie à certaines formations d’aller de l’avant !

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