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Sibelius par Salonen : sous la glace, le feu

Publié le 06 novembre 2007 par Philippe Delaide

Concert exceptionnel hier à la Salle Pleyel. Esa-Pekka Salonen dirige le Los Angeles Philharmonic sur un programme Sibelius.

Le chef finlandais, avec son orchestre attitré, inteprètent sur trois jours (du 4 au 6 novembre), l'intégrale des symphonies de Jean Sibelius.

Au programme hier lundi 5 novembre : la Symphonie N°6 en ré mineur op. 104, Sept chants opus 17 interprétés par le ténor canadien Ben Heppner et la Symphonie N°5 en mi bémol majeur op. 82 (version définitive de 1919).

La première partie démarre avec une 6ème symphonie pour laquelle Esa-Pekka Salonen prend une option d'emblée percutante : sous une calme et une sérénité apparente, on sent le grondement étouffé, les fureurs retenues. Avec un sens aigu des contrastes, le chef, comme à son habitude, détoure les différents plans sonores de façon magistrale pour délivrer une symphonies dont les motifs successifs se détachent avec une netteté sidérante. D'aucuns peuvent ne pas apprécier et trouver cela trop analytique, voire abstrait. Toutefois, comme sur l'interprétation du Sacre du Printemps de Stravinsky, le chef réussit cet expoit de diriger comme s'il sculptait la masse orchestrale. La plénitude sonore de l'orchestre est impressionnante, la rythmique implacable (point clé de l'approche esthétique d'Esa-Pekka Salonen).

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Grâce au travail du chef qui a su trouver les clés rythmiques et harmoniques de cette symphonie, cette dernière nous est révélée de façon limpide, mais à la pointe sèche, avec des contours nets et des ombres franches. Comme le souligne d'ailleurs justement le programme, Jean Sibelius aurait dit à propos de cette symphonie " tandis que d'autres compositeurs vous livrent touts sortes de cocktails, je vous sers quant à moi une eau froide et pure". Comme dans la plupart de ses oeuvres orchestrales, l'évocation d'une nature irrisée de couleurs froides, mais sauvage et éclatante est bien retranscrite.

Vient ensuite le colossal ténor Ben Heppner pour l'interprétation des sept chants en langues finnoise et suédoise. Ce dernier électrise secoue littéralement la salle par ses interprétations vibrantes et rayonnantes (le timbre du ténor canadien, grand wagnérien, est proprement solaire et le magnétisme du chanteur est impressionnant). Un bon quart d'heure de rappels confirme le succès de cette sorte "d'intermède" digne de quelque "bel canto" finnois ! A noter le superbe chant de "La fille qui revient des bras de son amant" (je vous épargne le titre en suédois), où le ténor, démarrant avec une fausse légèreté, termine avec un chant d'une gravité et d'une fureur inouïes.

Le sommet du concert vient alors avec la splendide Symphonie N°5 en mi bémol majeur. Sur cette dernière, on sent tout de suite que l'engagement y compris physique d'Esa-Pekka Salonen sera total.

La tension sera extrême de bout en bout. Le summum est atteint sur le dernier mouvement, avec   ce thème principal si caractéristique, sorte d'ostinato, enclenché par les cors, altos au début, puis les violons et les trompettes, et la libération finale, la lumière qui surgit avec un tutti d'orchestre effrayant de beauté. Le chef délivre une version incandescente, fulgurante, mettant en évidence le

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caractère si hypnotique du final ("Largamente assai").

Avec l'acoustique hyper-précise de Pleyel, ce splendide orchestre, d'un niveau exceptionnel, vous enveloppe littéralement de son voile sonore, tantôt dense et opaque, tantôt diaphane.

Esa-Pekka Salonen est certainement le chef le plus doué de sa génération. Comment ne pas être bouleversé par une version d'une telle intensité.

Je vous renvoie aux interviews qu'il a accordées à Diapason et Classica en Novembre et où il explique pourquoi son attrait pour Sibelius s'est avéré finalement tardif. Après avoir plutôt penché à l'origine pour la musique post-sérielle, Esa-Pekka Salonen vient progressivement à un répertoire plus classique comme celui de Jean Sibelius dont il a voue avoir découvert la puissance de son écriture.

En bis, le chef nous a fait découvrir le thème de Mélisande, suite pour orchestre tirée du Pélléas et Mélisande de Jean Sibelius.

Le concert était retransmis en direct sur Radio Classique.

Lien direct vers le site de la salle Pleyel pour plus de précisions.

Pour vous faire une impression, même si cette version est bien plus ancienne et moins mature que celle écoutée hier (un bien jeune Salonen mais prometteur !), lien direct vers le site youtube.com qui vous permettra de visionner et écouter le final de la 5ème symphonie de Sibelius par le même chef  (Allegro Molto  - Largamente assai). Le fameux thème hypnotique apparaît via les cors, dès le minutage 1':23". Lorsque ce thème atteint sa plénitude, le décorum s'ouvre visiblement sur un paysage solaire ! (Un Turner ?).


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