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( Fin ) Fidèle comme la Mort

Par Charlyh

80904_Empty-Hospital-Bed_400.jpgSuite et fin de cette courte nouvelle - dont vous trouverez en suivant ces liens les première et seconde parties - que j'ai rédigée suite à un décès et un deuil ( celui de ma mère à 51 ans pour les plus curieux et curieuses ).
En vous remerciant de m'avoir lu. De l'avoir lue.

Résumé : lourdement hospitalisée, une vieille femme reçoit chaque soir, à la tombée du jour, la visite d'un unique visiteur.
Présenté comme un membre de sa famille, celui-ci pourrait être bien plus que ça pour elle. Et le souvenir de leur rencontre pourrait, lui, bien cacher une toute autre vérité.

A sa place habituelle, dans cet anodin siège de cuir, il se souvenait de la nuit où elle rouvrit ses faibles yeux gris. Et du sourire qu’elle parvint à arracher à ses lèvres déshydratées et gercées.

Les tiges d’acier rougies brûlantes de l’officier nazi terminaient leur cruel dessein sur la peau laiteuse de cette jeune femme, fille d’épiciers locaux, amoureuse d’un simple peintre et soupçonnée d’avoir quelques accointances avec un réseau de la Résistance. Ses minces poignets ligotés dans son dos et celui de la chaise de bois par une courte et fine sangle d’un cuir usé et si trempé qu’il en était tranchant, elle tentait encore de garder la mesure et le contrôle de son esprit afin de ne rien laisser échapper, ne rien révéler et garder jusqu’à la tombe ce qu’elle savait. Ces barbares bardés de cuir et d’insignes divers se gaussaient dans leur langue gutturale et cynique à ses oreilles. Leurs yeux purs d’azur et d’acier dessinant sur leurs visages froids et durs des sourires en coin à la vue de cette gorge et cette poitrine généreuses dévoilées par ce chemisier en dentelles déchiré et souillé par tant de sang. Mais elle n’était qu’une petite paysanne de plus entre leurs gants experts dans l’art de soutirer des aveux et informations : un résistant de plus à torturer, comme tant d’autres avant… Les yeux à demi-clos par un visage tuméfié, elle ne distinguait plus derrière ce mur de sanglots, de pleurs, de douleurs et de haine que les ombres de trois hommes de haute taille sur le mur humide et lisse de cette sombre cave, où le goutte à goutte de la baignoire et le ronflement d’une batterie électrique se mêlait l’un à l’autre. Et lorsque cette première puis seconde tige grésillant vinrent effleurer sa peau douloureuse et trempée, le sourire immaculé de son ennemi disparut dans les songes de son inconscience…

Il se tenait là, devant elle, ses deux grandes mains gantées sur la barre du lit, penché sur son corps reprenant de ses forces et la délivrant de son sommeil. La sombre tache si floue devint une forme à contre-jour puis la silhouette d’un jeune homme dont le visage inquiet se dessina progressivement…

Elle revint d’entre les morts, de l’autre coté, du pays des esprits dans un râle douloureux annonçant une bouffée d’oxygène salvatrice. Et lui se tenait là devant elle. Un genou sur ce sol trempé et recouvert de sang, son sang et leur sang... Portant sa main gantée à son visage, en caressant les courbes et des traits qu’il devinait si fins et angelins, il se précipita vers elle quand son compagnon parvint à trancher ces liens de cuir et lui rendre sa liberté. Mais ne l’avaient-ils pas déjà fait ? Son sauveur repoussa en arrière sa mitrailleuse portée en bandoulière et réceptionna ce corps meurtri dans ses bras avant de l’enlacer et d’ordonner à quelqu’un de lui donner sa veste pour l’en recouvrir. Dans l’entrebâillement de la porte, elle reconnut les sanglots de sa mère que tenait à l’écart l’un des autres maquisards. Et cet artisan de père qu’en était-il ? Que lui avait-il fait ? Ce n’est qu’en étant soulevée et portée par ce mystérieux résistant au visage si pâle et boucles de jais qu’elle entraperçut les cadavres exsangues de ces tortionnaires. Avant de retrouver la protection de l’inconscient et l’oubli réparateur du sommeil.

S’extirpant de cette longue rêverie toxicologique, elle se força à obliger son visage amorphe à dessiner un sourire en reconnaissant les tristes yeux sombres de celui qui se tenait près d’elle. Ses traits livides aux si beaux et longs contours de jais toujours aussi inquiets et avides de savoir, savoir de quoi il en résultait pour savoir quoi faire et pouvoir le faire. Il était encore là comme il l’avait toujours été, à la veiller et à protéger sur sa santé. Que pouvait-elle lui demander de plus ? A lui, celui que le temps tenait éloigné d’elle. Rien, si ce n’est son amour indéfectible jusqu’à son dernier souffle. D’être là quand la grande dame viendrait l’emporter pour un monde dit meilleur et de repos éternel. Un repos qu’alors lui ne connaîtrait réellement plus.

Quel autre meilleur songe aurait-elle pu faire ?

Jamais, ô grand jamais, l’une de ses visites ne l’avait vu venir si tôt. Arrivé de si bonne heure. Le soleil continuant encore à peine de décliner dans ce ciel parisien de couleur rouille.

Ces lourdes portes à doubles battants passées, son pas assuré et décidé le menait au couloir des chambres des malades et sur celle où il devait se rendre : la 213. La chambre 213. Celle d’une certaine Eléonore.

Toujours aussi vêtu de noir, il tourna à l’entrée de cette chambre et alors les infirmières l’observant purent croire distinguer sur son visage d’habitude inexpressif - et au regard impassible derrière ces épaisses lunettes noires – un sourire, celui d’une joie retrouvée peut-être. Remettant en ordre ses longs et fins cheveux de jais sur le palier de la porte, il prit un temps avant de frapper légèrement ses habituels deux coups brefs contre la porte rose et pastel et de la pousser doucement du bout de ses doigts de cuir noir. La chambre de sa bien-aimée grand’mère était là même, depuis tous ces mois où il s’y rendait : une fenêtre à peine entrouverte ce jour comme pour offrir encore un supplément de cet air vital à cette vieille femme sous assistant électronique. Ses dents blanches et étincelantes fendirent ses fines lèvres dans l’appréhension de la revoir et pouvoir enfin partager avec elle tant de ces histoires parallèles de famille. Mais seule la douce et jeune infirmière de service, Claire, se trouvait là ! Assise sur le bord de ce haut lit mécanique et fonctionnel sans drap, elle tenait entre ses mains une petite boîte à chaussures au carton vieilli et déformé.

« Elle allait bien comme vous le savez depuis votre visite d’hier soir. Elle s’était réveillée et parlait et mangeait de nouveau seule.

« Mais, elle rien n’aurait laissé présager ce qui allait arriver.

« Elle s’est réveillée dans la nuit, à demander l’heure et s’est rendormie… Ce matin après le petit-déjeuner, elle a demandé qui allait venir la voir puis s’est reposée.

« Elle a eu des difficultés pour respirer dans le début de l’après-midi. Elle a demandé à voir quelqu’un et s’est endormie une dernière fois.

« Elle n’a pas souffert. Il faut que vous le sachiez, elle est morte dans son sommeil » se permit d’ajouter Claire après s’être redressée et être venue à sa rencontre.

La haute silhouette droite et au port altier du jeune homme s’effondra pour devenir le dos voûté aux épaules cassées d’un vieil homme. L’ombre d’un vieillard abattu par le sort se dessinant sur le mur aseptisé de la chambre. Ses yeux cachés par ces sombres miroirs plongèrent sur le sol et le coté à la recherche d’un quelconque réconfort et il se tourna sur le coté pour l’écouter rajouter :

«  Elle a eu beaucoup de chances que vous soyez toujours resté près d’elle. Que vous soyez venu lui rendre visite chaque jour que Dieu a fait. Que vous preniez ce temps sur le vôtre pour le lui donner. Elle doit être très fière de vous.

« Jamais une malade n’a reçu autant d’amour de l’un des siens.

« Je n’avais encore jamais vu quiconque passer tant de temps, si tard, avec quelqu’un.

« Elle a eu une grande chance de vous avoir et de connaître un tel amour » sanglotait encore Claire alors que s’éloignait cet homme ruiné et meurtri par les trames complexe du destin.

Il se tourna une dernière fois vers ce lit désormais vide et murmura une dernière chose…

Eléonore était morte la veille, dans l’après-midi. Et personne de sa famille n’était encore venu récupérer ce qui lui appartenait et que les infirmières avaient retrouvé dans le placard de sa chambre.

Cela leur laissa encore le temps, ce lendemain matin et midi, de jeter un œil curieux dans cette boite à photos – à la demande médusée de la jeune Claire. Elles commettaient là une entorse à leur règlement mais cette nouvelle recrue mutée dans le service peu après l’arrivée de cette patiente de la chambre 213 avait été si insistante. Tenant dans une main le carton et dans l’autre de vieilles photos jaunies datant des années de soixante-dix comme de l’après-guerre. Et même de cette sombre et trouble période de résistance, d’occupation et de collaboration.

Les clichés qu’elle avait écartés des autres auraient du depuis longtemps être jetés à la poubelle tant le résultat même frais restait si flou ou surexposé. Mais tous avaient un autre point en commun étrange : celui de compter dans les personnages photographiés la même silhouette. Un homme se tenant à chaque fois à l’écart de l’objectif ou pris sur le vif à son insu. Et que la photo soit récente et en couleurs, sépia aux bords dentelés ou un vieux polaroïd aux larges bandes blanches… La réunion triomphante ou soudée d’un jeune groupe de maquisards et de cette jeune femme blonde fusil à l’épaule, le danseur disco d’une discothèque huppée et fréquentée par les idoles des jeunes d’alors et une riche femme aux cheveux platines, un jeune motard en combinaison de cuir murmurant des secrets à une Eléonore âgée mais en pleine forme ou un songeur poète – peut-être – sur la cime d’une montagne : sur chacune des pièces présentées, cet homme restait éternellement le même, sa coupe de cheveux ou sa tenue ne faisant que suivre l’époque et la mode en vigueur. Un homme aux traits décidés et clairs que des boucles ou longs cheveux de jais entouraient et trahissaient à travers cet étrange brouillard et flou déformant les prises.

Claire ne pouvait que penser aux derniers mots du visiteur d’Eléonore en captant les commentaires surpris et atterrés de ses collègues :

- Elle a eu une grande chance de vous avoir et de connaître un tel amour…

- Oui. Je lui aurai été toujours et éternellement fidèle. Comme la mort.

Tous droits réservés, Charly 2001
N'hésitez pas à me commenter, que votre critique soit bonne ou négative, elle ( me ) restera tout le temps constructrice.


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