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Par effraction d'Hélène Frappat

Par Sylvie

RENTREE LITTERAIRE 2009
Par effraction
Editions Allia
Un petit récit très original, à la fois très contemporain dans sa forme et par son thème mais très classique par la "belle" langue employée.

Un récit emboîté, à tiroirs, qui superpose plusieurs personnages, plusieurs intrigues. Le tout constitué de courts chapitres ou paragraphes, souvent sur une ou deux pages, comme des instantanés, des coups de projecteur...Cela tombe bien, l'un des thèmes principaux est le film, le super-8 des films de famille.

Tout commence par un récit extrêmement précis des événements qui déclenchent l'action : le narrateur, qui se désigne par "vous", raconte qu'il a trouvé aux Puces de Clignancourt un carton jauni renfermant des films super-8. Un jour, il ou elle décide de les visionner par bribes : sur l'écran, une jeune fille bourgeoise, filmée par son père puis par son fiancé jusqu'à 30 ans, dans une grande maison avec gouvernante et jardiniers.
Courts épisodes, paragraphes comme des flash..Ces chapitres alternent avec un autre récit, celui d'A..., télépathe, qui entend la voix de tout le monde, et qui rêve de s'évader dans un monde de silence. Entre ces deux mondes d'effraction, qui se déroulent tous les deux dans de vieilles maisons bourgeoises, des épisodes très oniriques, évoluant vers le fantastique dans un milieu très aquatique. Visions et rêves du narrateur ? D'Aurore ? Nul ne le sait...
Un thème relie des récits : l'effraction, la non séparation entre public et privé : un personnage est filmé de saisons en saisons, d'âges en âges. L'autre pénètre dans l'âme des autres mais rêve d'en sortir...L'une est traquée ..L'autre traque contre son gré.
L'intrigue reste ouverte à l'interprétation du lecteur. Le narrateur est-elle Aurore ou A... ou un tiers ?  Là n'est pas l'important. Hélène Frappat signe ici un étrange récit d'atmosphère entre décor paradisiaque, inquiétude et onirisme.
L'écriture, délicieusement précieuse et surannée, ne fait qu'envoûter encore davantage le lecteur. Sur un thème très contemporain (le voyeurisme, la fin de la distinction entre sphère publique et sphère privée), l'auteur construit une intrigue très mystérieuse, un peu à la façon de Hitchcock. On pense également aux silhouettes nervaliennes, apparitions mystérieuses féminines dans de vastes propriétés.
Elle évite les pièges du récit expérimental qui bien souvent "refroidissent" la langue. Les décors surannés et les récits oniriques font naître une douce poésie.
"Plusieurs années plus tard, elle comprendrait que le véritable silence est celui dont on jouit, un court instant qui nous paraît éternel, en compagnie, lorsque le chaos fatigant sans trêve la tête des hommes s'atténue (pour les humains, même les lignes d'eau ressemblent à des lignes d'écriture que leur esprit, jamais en sommeil, remplit en nageant), seul subsistant le murmure, identique en tout être humain, des forces vitales.
Rêves de fils électriques dans le vent. La nuit, l'air silencieux s'emplit de voix pour ceux qui savent les entendre ; l'obscurité se peuple d'esprits pour ceux qui savent les voir. Sont-ce les vivants, ou bien les morts qui me parlent ? Les voix des esprits anonymes , aiguës et fluettes, tremblent sur une bande usée ; elles sifflent comme des fils électriques dans le vent.
Je reçois sans ordre d'anciennes légendes, énigmes enfouies au fond des malles aux greniers, hantises dérisoires ou tragiques arrachées au royaume des morts (une femme en blanc, dressée sur le rebord du pont à la sortie du village, désigne aux promeneurs imprudents la source, jaillissant des rochers en cascade, où son époux se noya. Sa robe blanche l'enveloppe comme un banc de brouillard sous la lune, ou l'éclat intermittent des lucioles ou bord des routes. "


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