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Retour sur "Né dans la rue - Graffiti"

Publié le 14 janvier 2010 par Blogcoolstuff

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L'exposition "Né dans la rue - Graffiti" à la Fondation Cartier pour l'art contemporain vient de fermer ses portes le 10 janvier dernier après une prolongation de plus d'un mois par rapport au calendrier initial. Comme l'exposition "Tag au Grand Palais" qui l'avait précédée dans l'agenda 2009 des réjouissances culturelles parisiennes, "Né dans la rue" aura fait couler pas mal d'encre : beaucoup auront vu dans cette seconde grande exposition consacrée à l'art de la rue une occasion de poursuivre le débat suscité par la première.
A tort. Car si l'on veut bien mettre de côté pour un temps la question des modalités de l'exposition du street art hors de la rue (pour un temps seulement et parce que cette question a déjà été largement abordée ici-même), ces deux expos n'étant ni de même nature ni de même intérêt, les critiques adressées à l'une ne sauraient s'appliquer à l'autre. Quand l'exposition du Grand Palais avait pour vocation de donner à voir les créations de nombreux graffeurs sur format imposé autour du thème de l'amour (!) et avait qui plus est par ce biais la prétention de faire découvrir un pan entier de la création contemporaine, celle de la Fondation Cartier a relativement bien su éviter cet écueil (car, s'agissant d'un mouvement qui a pour origine l'affranchissement radical vis-à-vis des circuits traditionnels de l'art, c'en est bel et bien un) en se cantonnant pour l'essentiel à une approche historique et à une scénographie didactique.

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Pour le dire autrement l'exposition "Né dans la rue - Graffiti" et son catalogue sont d'égal intérêt et cet intérêt est bien réel pour peu que l'on veuille bien en attendre ce qu'ils sont à même de proposer. Soit en aucun cas une exposition d'art contemporain. Certes cette ambition n'était pas totalement absente du projet , comme en témoignait la salle du rez-de-chaussée réunissant quelques pièces ou encore les jardins de la Fondation proposant quelques interventions, principalement sous forme de collage. Oui mais voilà, ces pièces étaient tellement peu nombreuses, tellement peu représentatives et au final tellement peu significatives que l'on se demandait quelles raisons avaient bien pu prévaloir à leur choix, le nom et la renommée de certains artistes mis à part. Et puis, exceptions faites des oeuvres proposées en extérieur qui quant à elles ne paraissaient pas trop déplacées, le principe de la présentation sur grands panneaux de bois façon décors de théâtre retenu pour toutes les créations du rez-de-chaussée, apparaissait d'emblée pour ce qu'il était. A savoir un pis-allé, une manière à peine camouflée d'avouer une incapacité à donner à voir pareils travaux en pareil lieu.

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Exit donc la création contemporaine, le street-art perçu comme prolongement actuel du graffiti... Dans ces conditions, que restait-il à voir ? J'aurais tendance à dire : l'essentiel. Ou tout au moins ce qui était, ne nous y trompons pas, le vrai projet de cette exposition à savoir le récit historique des origines du graffiti traité de manière didactique voire pédagogique.
Ainsi grâce à de nombreux documents d'époque allant de procès verbaux émanant des forces de l'ordre aux premiers numéros d'IGTimes (première publication sur le sujet à la maquette plus proche des fanzines punk que des magazines graff d'aujourd'hui) en passant par les pochettes de disques et autres flyers et cartons d'invitation imaginés par les grands noms du genre avant qu'ils n'entrent définitivement dans la légende, le visiteur était à même de suivre pas à pas, de manière à la fois ludique et précise, les origines new-yorkaises du graffiti.
En outre, les deux installations imaginées par Evan Roth (Graffiti Taxonomy et Graffiti Analysis) tout comme une amusante vitrine réunissant le petit nécessaire du parfait graffeur offraient quant à elles une première compréhension du graffiti du point de vue technique.
Enfin de nombreux films projetés (dont notamment le très rare Mur murs d'Agnès Varda - bientôt disponible en dvd à l'occasion de la sortie d'une intégrale de la cinéaste - ou encore le passionnant Pixo de Joao Wainer et Roberto T. Oliveira) élargissaient quant à eux le propos en offrant des aperçus fort intéressants sur les prolongements de ce mouvement à travers le monde.
On pourrait également évoquer pêle-mêle, au nombre des belles surprises proposées, les quelques oeuvres originales sur différents supports ponctuant cette partie de l'exposition, les carnets de croquis laissant deviner les premières ébauches de créations qui allaient bientôt se retrouver bombées sur les rames du métro, les photographies originales de Martha Cooper et d'Henry Chalfant comme celles tout aussi indispensables de Jon Naar (disponibles en recueil chez Prestel) ou encore... les chiottes de la Fondation transformés par les visiteurs en véritables grottes de Lascau des temps modernes !

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On le voit, le principal atout de l'exposition était sa réelle richesse iconographique. Grâce aux multiples documents collectés, "Né dans la rue" permettait tout à la fois de revenir aux origines du mouvement graffiti et de feuilleter les premières et plus prestigieuses pages de son histoire : le passage du simple tag, de la simple signature vite torchée en bordure de terrain de sport aux masterpieces version whole-car ; l'évolution plastique entre les premières signatures à la graphie hésitante sinon puérile (qui étaient de fait pour l'essentiel l'oeuvre de gosses de 13 ans !) et leurs versions beaucoup plus élaborées avec contours et fioritures en tout genre ; le dialogue réel entre ce mouvement de rue et certains de ses représentants qui auront su le faire reconnaître par le milieu établi de l'art au prix de certaines mutations synonymes, pour certains, de dénaturation, pour d'autres d'enrichissement...

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Pour sa part, pourvu des mêmes atouts que l'exposition qu'il accompagne, le catalogue (Né dans la rue - Graffiti, Fondation Cartier pour l'art contemporain, 242 pages dont 460 illustrations, format à l'italienne, préface de Richard Goldstein) s'avère être un livre aussi esthétiquement réussi que passionnant. Sa lecture est d'autant plus indispensable qu'il ajoute à son sommaire, par rapport à l'exposition, un grand nombre d'entretiens avec quelques acteurs historiques du mouvement : Coco 144, P.H.A.S.E.2, Mare 139, Seen ou encore Lady Pink.
On regrettera d'ailleurs à ce sujet que la création contemporaine, reléguée à quelques pages au terme du volume, ne profite pas de ce traitement. Toutefois, si ce chapitre a effectivement tendance à s'avérer insuffisant pour les mêmes raisons que la partie de l'exposition relative à ce qu'il est convenu d'appeler le "post-graffiti" (trop peu d'oeuvres et trop peu d'artistes pour faire sens dans la mesure où il s'agit de décrire, sinon un courant artistique, du moins un mouvement), il s'en tire cependant bien mieux. Il profite en effet d'une bonne idée éditoriale absente de la scénographie de l'exposition, à savoir le fait de proposer, en plus de la reproduction de certaines oeuvres des artistes retenus, des photographies prises par ces mêmes artistes donnant à voir les stigmates laissés par la culture du graff dans leur ville de résidence ou de prédilection. Ainsi découvre-t-on avec curiosité le New York d'Evan Roth (et ses superbes photos de portes taguées), le Sao Paulo de Vitché, le Stockholm de Nug, l'Amsterdam de Boris Tellegen (aka Delta) ou encore le San Francisco de Barry McGee... L'idée est tellement bonne qu'elle aurait mérité à elle seule un plein volume plutôt que d'être ainsi reléguée aux dernières pages d'un livre dont le principal intérêt est ailleurs.

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Ces quelques restrictions mises à part, le livre Né dans la rue - Graffiti se montre tout à fait à la hauteur de l'exposition qu'il accompagne. Comme pour l'exposition, si l'on veut bien se contenter d'en attendre ce qui constitue son véritable objet, à savoir l'histoire du graffiti, nul doute qu'il prend place parmi les trop rares titres français constituant des ouvrages de référence sur la question.


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