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Jeux croisés

Par Liliba

Marie SIZUN

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« Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison » Pascal

C'est avec un plaisir immense que j'ai retrouvé l'écriture fine et sensible de Marie Sizun. Ses deux précédents romans, à caractère très autobiographique, ont été des coups de coeur : La femme de l'Allemand et Le père de la petite, qui tourne depuis un an en livre voyageur et que vous semblez aimer tout autant que moi.

Ici, point de récit alimenté par le passé de l'auteur, mais une vraie fiction. Et qui commence mal :

"Il est parti.
Elle l'a vu se diriger vers la porte, mais elle n'a pas bougé. Il a posé la main sur la poignée, en se retournant à demi vers elle un instant, juste un instant, mais elle est restée où elle était, debout, à quelques pas, silencieuse. Elle a entendu la porte s'ouvrir et se refermer, mais elle n'a rien fait. Elle a juste pensé brièvement qu'elle pouvait encore le rejoindre, le retenir, mais elle n'a rien fait ; elle n'a été capable d'aucun mouvement, d'aucune parole. Mal dans le corps, dans la tête. Oui, il y a eu ce temps mort, ce temps immobile, où elle pouvait encore agir et où elle n'a rien fait.
Bruit de l'ascenseur arrivant au palier ; grille qui s'ouvre, se referme dans un claquement sec ; chuintement de la cabine qui redescend.
Cette fois, c'était fini.
Pourtant, une seconde, elle se dit qu'elle pourrait encore descendre en courant les deux étages, comme ça, sans même fermer la porte de l'appartement ; elle le rattraperait dans le hall, ou même dans la rue, elle l'empêcherait de monter dans sa voiture, d'arriver à sa voiture - il avait dû la garer en bas, rue de la Glacière, comme d'habitude -, elle peut encore l'arrêter, lui dire que ce n'est pas possible, cette chose-là, cette chose terrible, qu'il la quitte ainsi, sans qu'ils se soient vraiment parlé, qu'il y a un malentendu - comme dans cette nouvelle de Kipling où, elle ne l'a jamais oublié, une femme abandonnée, devenue folle, parle à un affreux malentendu, oui ce mot-là, si juste -, car c'est bien d'un malentendu qu'il s'agit, entre eux, d'une erreur ; elle va lui montrer qu'il se trompe, qu'il n'a pas compris, que cela ne peut se passer de cette façon absurde.
Mais elle ne fait rien. Elle reste là. Bouger, elle ne peut pas
."

C'est ainsi que Marthe se retrouve seule, vide, abandonnée par son mari. Elle devient comme le zombie d'elle-même, avale des cachets pour dormir, des cachets pour ne pas pleurer, sombrer, trop de cachets qui la maintiennent dans un état cotonneux dans lequel les pointes de la douleur semblent moins acérées.

Un sursaut avant de sombrer lui fait pourtant décider de partir en Bretagne, dans sa maison, "la petite maison du bout du monde", la maison de Marguerite, sa grand-mère adorée qui l'a quasiment élevée et auprès de laquelle elle s'est toujours sentie aimée, comprise. Elle entasse donc en vitesse quelques affaires et décide de passer au supermarché faire des provisions, car elle arrivera sur place dans la nuit, tout sera fermé, et surtout elle n'a pas envie que ses voisins sachent qu'elle sera sur place.

Mais parvenue dans ce grand magasin, les lumières, la foule, le bruit, tout l'agresse et elle ne parvient pas à remplir son caddie, à effectuer des gestes anodins, normaux. Elle est tétanisée, elle veut fuir mais n'y arrive pas, elle n'a plus de goût à rien puisqu'elle réalise alors vraiment que Pierre ne reviendra pas, qu'il est parti pour de bon. Elle est dégoûtée, dégoûtée des tonnes de victuailles qui s'entassent dans les rayons, dégoûtée de sa vie, dégoûtée d'elle-même...

.

Pendant ce temps, Alice rumine un peu sur son quotidien tout en s'occupant de son bébé, le petit Ludo de 8 mois. Alice est une bonne maman et elle aime son petit garçon tout mignon, mais c'est si dur de se lever le matin, d'être toujours aux ordres des cris de l'enfant, de devoir se priver de sorties parce qu'il est là, d'être obligée de garder ce travail qu'elle déteste avec cette patronne désagréable alors qu'Alice ne rêve que d'une chose : se promener sur ses hauts talons, rencontrer des garçons de son âge, boire un verre ou deux, s'amuser, et surtout ne plus sentir sur ses jeunes épaules le poids de la responsabilité de l'enfant. Alice a 18 ans...

Alors Alice pousse son caddie au supermarché, en ayant installé le bébé sur le siège devant elle. Elle aime bien les grands magasins, Alice. Elle regarde, elle inspecte, elle croise des gens, elle choisit quelques articles, mais pas trop car son budget est serré, mais elle peut rêver devant les rayons, elle peut imaginer une autre vie... Le petit Ludo est bien sage, il regarde aussi de ses yeux grands ouverts cette débauche de couleurs, ouvre ses oreilles à la musique, aux voix, c'est un enfant tranquille. Au détour d'un rayon, Alice croise un ancien flirt, elle a laissé le caddy un peu en arrière, elle n'y fait plus tellement attention, toute concentrée qu'elle est sur sa rencontre avec ce garçon. Et le petit Ludo, toujours assis dans le caddy, mais que des gens pressés ont un peu poussé hors du passage, ne voit plus sa maman et se met à pleurer, d'abord doucement. Mais il est perdu, le visage connu et aimé n'est pas là, il ne reconnaît plus les alentours et bientôt il hurle.

C'est alors que débute vraiment cette histoire incroyable dont je ne vous dirai pas un mot de plus... Autour de ce bébé, le sort de ces deux femmes que tout oppose va se lier. Chacune d'elles, engluée dans sa vie, dans sa tristesse, va commettre un geste de folie. Le bébé va focaliser tous les désirs, toutes les envies, mais aussi les remords. Grâce à lui, ces deux femmes vont aller au bout d'elles-mêmes, de leurs interrogations, de leurs doutes, de leurs peurs aussi, et prendre conscience de leur vie, l'accepter même, peut-être.

Un livre absolument poignant qui se lit comme un thriller psychologique et que je vous recommande grandement !

Plusieurs lecteurs déjà répertoriés sur BOB. Et j'envie Sylire qui a rencontré l'auteur deux fois !


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