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Yuki et Jinhee

Par Alainlecomte

Il semble qu’à part les Etats-Unis – et l’Inde bien sûr, pour une production essentiellement interne – le nombre de pays développant un cinéma indépendant soit restreint, parmi eux : la France, le Japon, la Corée. Pas étonnant dans ces conditions de voir apparaître des coproductions entre ces pays, qui sont parfois très séduisantes. Ainsi de deux films vus récemment, qui ont beaucoup de liens entre eux d’ailleurs (et que Jean-Marie a déjà commentés sur son blog cinéphile ) : Yuki et Nina, signé par le tandem franco-japonais Hyppolyte Girardot – Nobuhiro Suwa, et Une Vie toute neuve, de la franco-coréenne Ounie Lecomte.

Dans ces films sensibles et émouvants, on peut voir les traces, les influences de tendances a priori étrangères les unes aux autres, mais qui se rencontrent pour produire des effets singuliers, sortes de mélanges de l’esprit de Truffaut (pour ce qui est de la justesse de la description d’un monde enfantin) et de celui de Murakami (pour Yuki et Nina), pour le saut soudain, sans avertissement, dans le fantastique, à partir de la quotidienneté la plus banale. Ces deux films semblent se répondre de manière symétrique : il s’agit dans un cas d’une petite fille, Yuki, dont les parents, formant un couple franco-japonais, divorcent, et qui ne veut à aucun prix suivre sa mère au Japon, et dans l’autre cas, d’une autre petite fille, Jinhee, que son père a abandonnée dans un orphelinat catholique dans le but qu’elle se fasse adopter, et qui ne veut en aucun cas quitter son pays, la Corée.

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Yuki et son père

La petite Yuki va développer des trésors d’ingéniosité, aidée en cela par sa copine parisienne Nina, écrivant une lettre « anonyme » à sa mère signée du « dieu de l’amour », pour tenter de la convaincre de rester avec le père ou, tout simplement, fuguant avec Nina vers une forêt qui pourrait être celle de Fontainebleau. Et là se produit l’étrangeté : au cœur de la forêt se trouve un point mystérieux d’échange entre France et Japon. Voilà qu’on sort dans une clairière… côté japonais. Ainsi, parti d’un climat bien parisien à la Klapish, nous retrouvons le thème de la forêt si cher aux Japonais (voir par exemple Kenzaburo Oe et ses « Mystères de la forêt »). Le verso de la feuille n’est heureusement pas moins séduisant que son recto : côté Japon, c’est simplement un autre univers enfantin, où les grands-mères font aussi des crêpes à leurs chérubins. Et la technologie Internet est là pour réduire le drame de la séparation, par Skype sans doute, Yuki donne à Nina sa première leçon de langue japonaise.

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la forêt

“Une Vie toute neuve” est plus dramatique. La réalisatrice, qui met ainsi en scène sa propre autobiographie, parvient, pour son premier film, à nous faire ressentir le drame de l’amour filial trahi. La petite Jinhee est longtemps murée dans sa douleur. Ses rages éclatent en refus d’accepter les dons (une scène terrible la montre détruisant rageusement les poupées offertes) et elle va jusqu’à simuler de s’enterrer vivante dans le jardin de l’institution.

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Le film est rythmé par le ballet des limousines noires qui amènent les étrangers faire leur choix de fille adoptée, jusqu’à la fin, lorsque c’est le tour de Jinhee, dont on devine qu’elle prend l’avion pour Paris, avec à l’arrivée un couple Français qui l’accueille. Si c’est autobiographique, ça finit bien, puisque la petite fille est devenue cinéaste et que son film a été invité au dernier Festival de Cannes, hors compétition. Ce film le méritait : outre l’émotion qu’il dégage et l’observation d’un monde de l’orphelinat toute en nuances (où tous les adultes font de leur mieux, on est loin des caricatures et des outrances des « Choristes » !), sa valeur documentaire est importante : nous avons tous eu l’occasion de rencontrer des personnes adoptées d’origine coréenne, mais nous ne connaissions pas « l’autre côté », comment cela se passait en vérité côté coréen. Dans une interview lue dans Libé (je crois), Ounie Lecomte raconte à quel point la situation était culpabilisante : on les persuadait qu’ils avaient beaucoup de chance alors qu’eux souffraient et ne se sentaient pas autorisés à souffrir (en photo: la réalisatrice).


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