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Un pou d'orgue (mini-feuilleton en 17 épisodes)

Publié le 18 janvier 2010 par Christian Cottet-Emard

Pou.jpgLa version 2009 intégrale de ce mini-roman humoristique que j'ai écrit en 2008 est parue en édition pré-originale dans la revue des éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.

Image de pou prise ici

1

D’un geste impatient, l’organiste Edgar Portevent  sortit ses partitions d’un sac à dos informe et pointa sans mot dire son index sur le cadran de sa montre.
— Désolé, j’ai oublié l’heure, s’excusa le diacre Maximin Bedon en plaquant un dernier accord, je vous laisse la place.
— Oui, il est plus que temps, ronchonna l’organiste.
Il s’assura que le diacre avait bien descendu l’escalier en colimaçon et s’installa aux claviers. Il ne commença à jouer qu’après avoir entendu le choc sourd de la porte latérale se répercuter dans la nef. Le diacre avait enfin vidé les lieux. Edgar Portevent travailla une bonne heure mais le sans-gêne du diacre qui se débrouillait toujours pour lui grignoter dix minutes de son temps l’avait déconcentré. Il préféra donc écourter la répétition et quitta la tribune. Avant d’aller cacher la clef à sa place habituelle, il leva les yeux vers une sculpture représentant un petit démon en train de déféquer et marmonna en pensant au diacre : « débarrasse-moi de ce pou d’orgue ! » Lorsqu’il revint s’exercer le lendemain à la même heure, il trouva portes closes à l’abbatiale. À l’entrée principale, une pancarte indiquait Fermeture pour cause de travaux.
2

Si l’organiste Edgar Portevent avait pu accéder à la tribune de l’orgue en cette belle journée du mois d’août, il aurait vu monter vers lui les regards horrifiés du curé, de sa femme de ménage, cuisinière et grenouille de bénitier, la vieille Jacinthe, du maire, de son premier  adjoint, le pharmacien Adolphe Hénol, du garde champêtre, d’un petit groupe de pompiers professionnels et de gendarmes bientôt rejoints par le patron des établissements Carfardo (désinfection et dératisation). Mais on avait pris soin d’interdire l’accès à l’abbatiale dont l’orgue donnait aujourd’hui un affreux spectacle. Accroché aux tuyaux, un insecte géant se laissait tranquillement caresser par les reflets multicolores des vitraux. La première à avoir vu le monstre était la vieille Jacinthe qui avait poussé un hurlement. Le curé en avait poussé un autre puis avait téléphoné au maire. Le maire tremblait tellement qu’il ne parvenait pas à composer le numéro du garde champêtre sur son portable. Le garde champêtre prévint les pompiers et les gendarmes puis arriva en même temps qu’eux. Avant de verrouiller toutes les issues de l’église, les gendarmes contactèrent le patron des établissements Cafardo et lui demandèrent d’apporter la pancarte Fermeture pour cause de travaux. Toute la troupe tenta de retrouver ses esprits en constatant que le monstre se tenait parfaitement immobile. Passés les premiers instants de stupeur, le garde champêtre parla le premier : « c’est une blague ! Ah ça, il est bien imité ! Bon, on va le décrocher et on n’en parlera plus. » D’un pas conquérant, le garde champêtre se dirigea vers la porte ouvrant sur l’escalier en colimaçon qui menait à la tribune de l’orgue et actionna bruyamment la clef que le curé venait de lui confier. L’insecte changea aussitôt de position et l’on entendit ses puissants crochets griffer l’étain des tuyaux.
— Revenez immédiatement ! beugla le maire.
Le garde champêtre ne se fit pas prier et rejoignit en courant le petit groupe pétrifié de frayeur. Les gendarmes étaient prêts à dégainer. « On pourrait l’avoir d’ici » bredouilla l’un d’eux.
— Vous êtes fou ! cria le pharmacien, vous allez nous démolir l’orgue !
— Monsieur Cafardo, dit le maire, il faut éliminer cette vermine. Je compte sur vous.
À la fin de la matinée, on ouvrit les deux battants de la grande porte de l’abbatiale, juste le temps de laisser entrer un petit camion équipé d’une nacelle utilisé par les services techniques de la commune pour changer les ampoules de l’éclairage public. Les gendarmes établirent un périmètre de sécurité autour de l’église mais en ce mois d’août, la bourgade s’était vidée de ses habitants et l’on put refermer sans être dérangé par un passant. Un pompier équipé d’un gros pulvérisateur fourni par Cafardo monta dans la nacelle.  Pendant la manœuvre, les gendarmes avaient mis l’insecte en joue. Lorsque la nacelle parvint à la hauteur des tuyaux de l’orgue, le pompier revêtu d’une combinaison de protection réservée aux interventions chimiques vida le pulvérisateur en direction du monstre et fit signe à tout le monde de sortir. La nacelle redescendit et le pompier ainsi que le conducteur de l’engin coururent rejoindre les autres sur le parvis de l’abbatiale. Cafardo regarda sa montre et dit qu’il ne fallait pas rentrer dans l’église avant au moins une heure. Les gendarmes se postèrent à toutes les issues de l’abbatiale et une ambulance des pompiers se gara derrière le monument. Une heure après, l’insecte était toujours dans la même position.
— C’est comme si on avait eu dans l’idée de pisser  dans un violon ! gémit la vieille Jacinthe après une quinte de toux.
— Votre mixture, c’est surtout efficace contre nous, siffla le maire à l’intention de Cafardo en s’essuyant les yeux avec son mouchoir.
— Monsieur le maire, je fais ce que je peux. D’habitude, j’ai affaire à des animaux de taille normale. D’abord, on ne sait même pas ce que c’est ce machin-là.
— Ça ressemble à un pou, dit la vieille Jacinthe. Dans le temps, on avait dans l’idée de leur envoyer de la Marie-Rose et basta !
— Faudrait savoir ce que c’est pour le zigouiller, dit le garde champêtre.
— Alors je ne vois qu’une solution, répondit le maire. Une solution qui ne va pas vous plaire, mon cher Adolphe... Mais vous savez de qui je veux parler...
— Alastair Bang ! Ah non, pas lui ! Ce... Cet immonde... Ce... Cette ordure ! explosa le pharmacien.
— Calmez-vous, Adolphe ! Chacun sait bien ici que vous ne portez pas le professeur Bang dans votre cœur mais nous sommes face à un cas de force majeure, il en va de l’intérêt général. Alors vos vieilles querelles...
— Ce... Cet immonde... Ce... Ce... Cette ordure !
— Dites donc, Adolphe, vous ne croyez pas qu’il y a prescription après trente ans ? Et puis elle est revenue votre femme !
— Mais je ne vous permets pas, Monsieur le maire !
— Hénol ! Vous savez comme moi que malgré ses mauvaises manières, je vous l’accorde, le professeur Alastair Bang est un entomologiste de renommée internationale. Il a vécu longtemps dans notre région et nous avons la chance de connaître cette sommité de la science. Lui seul peut nous aider.
— Mais il vit à Stockholm, objecta le curé.
— Et alors ? s’impatienta le maire, nous lui payerons l’avion et il viendra nous aider. Avez-vous une meilleure idée ?
— Je refuse de le voir, dit le pharmacien.
— Eh bien vous ne le verrez pas. Vous n’aurez qu’à rester dans votre boutique pendant qu’il nous apportera ses lumières, coupa le maire. Monsieur le curé, avez-vous des messes, des mariages, des enterrements cette semaine ?
— Pas de mariage et pas encore d’enterrement. Pour les messes, je m’arrangerai.
— Très bien. Nous avons un atout : les vacances. La ville est calme. Mais ne traînons pas. Je téléphone immédiatement au professeur.

À suivre... Prochain épisode mardi 19 janvier 2010.

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2009.


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