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Histoire d’un traducteur libéré

Par Tradonline

Un roman qui fait plaisir…l'histoire d'un traducteur réglant ses comptes avec un auteur…

Certains de nos traducteurs nous le disent parfois…"Stoopppp ! Au secours. Je n'en peux plus de ce texte…". Et bien, voilà un bon moyen de s'échapper et de se faire un petit plaisir…Comme le dit l'auteur "Oui, je fais un coup d’état. Et je dois avouer que c’est plutôt jouissif d’inverser les rôles…"

Brice Matthieussent, par ailleurs traducteur, essayiste, éditeur…le dit haut et fort : "Un bon traducteur est un acrobate de la langue".

A la question posée par Lémi sur l'excellent site Article 11 "N’est-ce pas parfois frustrant d’être toujours dans l’ombre de l’écrivain, rarement reconnu pour votre travail ?", Brice Matthieussent répond : "Cela change un peu depuis une vingtaine d’années, notre travail est un peu plus reconnu. Il y a vingt ans, on parlait du traducteur uniquement pour dire du mal de lui. La politique des critiques était simple : si le livre était formidable, c’est parce que l’auteur avait écrit un livre extraordinaire ; s’il y avait des défauts dans l’écriture, c’était la faute du traducteur.
….
Mais la manière de traduire a aussi changé. Il y a quelques temps, les traductions pouvaient friser l’adaptation, la réécriture, voire le caviardage de parties compliquées. Ça passait inaperçu, alors que maintenant il y a des exigences de rigueur. Je pense d’ailleurs que l’université y a contribué via la création de masters de traduction."

Pour en revenir à notre activité, la traduction dite "commerciale" est généralement assez éloignée de la traduction littéraire, non en termes de qualité ou précision de la langue mais en termes de contenu, de processus de traduction et de délais impartis (et sans oublier le modèle économique). Pourtant, il arrive souvent que la traduction de rapports " à teneur politique, polémique ou hautement stratégique" ou de documents de communication ou marketing, s'apparente à de la traduction littéraire où toute la finesse du traducteur, sa proximité (son intimité même) avec le sujet ou les auteurs, sa maitrise du "entre les lignes" sont incontournables.

Pour vous apporter un second point de vue sur ce roman, nous reproduisons ci-dessous un article que vous pourrez retrouver sur le site du journal L'humanité ici.

La Vengeance
du traducteur, Zorro, ou le traducteur masqué

  Se révolter contre un écrivain abusif peut mener loin un de ces indispensables hommes de l’ombre. Premier roman, virtuose de Brice Matthieussent, « passeur » célèbre. Éditions POL. 310 pages

 Ce qu’on demande au traducteur  ? Se faire oublier. Dépenser des trésors de savoir, de sensibilité, d’habileté pour se rendre transparent, mieux  : invisible. Placer son honneur dans la non-existence. La note de bas de page, par suite, devient une marque d’infamie. Elle est pourtant, parfois, indispensable, et la plupart du temps reste le seul espace où le traducteur peut sortir de la clandestinité. Sous le prétexte de signaler un « jeu de mots intraduisible », une tournure régionale ou une allusion érudite, il peut succomber à la « tentation d’exister » et investir ce sous-sol de la page sous couvert des (NDT), notes du traducteur.

Le traducteur règle ses comptes avec l’auteur

Le narrateur du roman de Brice Matthieussent est ainsi un traducteur qui craque et tente de se mettre à son compte, de régler ses comptes avec l’auteur qu’il traduit et au passage avec les auteurs, en bloc. Mais contrairement au « vrai » Brice Matthieussent, traducteur reconnu des plus grands écrivains américains, son héros ne franchit pas le Rubicon. Il ne passe pas au roman, ne revendique pas un statut d’auteur à part entière. À l’abri sous la ligne noire qui sépare le domaine du traducteur de celui de l’auteur, le passeur devenu parasite cherche à étendre son domaine au détriment de celui qu’il sert.

Tel est le thème du premier roman de Brice Matthieussent, dont l’Humanité avait publié les bonnes feuilles pendant l’été. Un traducteur français s’attaque à un roman américain dont la situation est symétrique de la sienne. Ce texte, Translator’s revenge, montre en effet un Américain, David Grey, entreprenant de traduire N.d.T. le roman d’un original auteur français, Abel Prote. Un dispositif où, d’emblée, la couleur est annoncée. Jeu de miroirs, mise en abîme, symétries et inversions, le mystère de la traduction est au cœur de ce roman d’aventures dont le lieu central est un souterrain qui conduit à des amours illégitimes et multilingues. La traduction comme passage secret, le traducteur comme vengeur, voilà de quoi dynamiter les lieux communs sur la « traduction trahison » et le « traducteur passeur ».

Le système des noms lui-même participe de cette jubilation ingénieuse. Abel, premier homme assassiné, est aussi tout en haut de la liste des prénoms. Le nom de Prote, qui désigne le chef d’équipe des typographes, signifie « premier » en grec. Mais il renvoie aussi à Protée, multiforme dieu grec des métamorphoses, manière de signaler la prééminence de l’auteur, son empire sur la forme et le sens de l’œuvre, face au gris effacé de « Grey ». Mais ce David vient d’engager le combat face à l’auteur Goliath. Premières escarmouches  : il fait la chasse aux adjectifs et aux adverbes, élague les métaphores, sabre dans les indications scéniques. Après quoi, il insère des images de son cru. Puis des passages entiers. Et, transgression majeure, il transforme complètement un personnage  : la dévouée secrétaire d’Abel Prote, Doris, devient une volcanique muse vénale. Tout bascule. On ne sait plus qui est qui, ni dans quel niveau de la fiction on se situe. On aura côtoyé des célébrités, Dolorès, la Lolita de Nabokov ou de la traduction, dont un Maurice-Edgar qui rappelle furieusement un célèbre traducteur. Tout cela devient un grand roman virtuose, où le Z de Zorro signe la vengeance du traducteur masqué. (Article de Alain Nicolas – L'Humanité)


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